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On ne peut dire non plus que si les mines du Nord et du Pas-de-Calais ont tiré, en 1911, 26.100.000 tonnes de leurs puits, tandis que toutes les houillères du Centre n'en ont pas donné huit millions, si les premières sont ainsi en mesure de faire la loi aux secondes, la faute en soit aux tarifs de chemins de fer.

Tandis que le particularisme des divers réseaux et de leurs tarifs semble avoir permis aux Bassins secondaires de prendre un peu partout le développement dont ils sont susceptibles, des tarifs uniformes auraient sans nul doute provoqué l'écrasement de ces Bassins secondaires sous la double concurrence des houillères du Nord et des charbons anglais; à moins toutefois qu'on eût adopté pour tarif uniforme des tarifs progressant rapidement avec les distances et assez élevés pour limiter par l'exagération même de leurs prix la puissance d'expansion de chaque Bassin; c'est-à-dire à moins qu'on eût sacrifié le consommateur, l'éternel oublié dans tous ces conflits.

INDUSTRIE SIDÉRURGIQUE

Des arguments d'un ordre tout à fait différent et non moins primordial, comme on le verra, interviennent ici pour réfuter la thèse simpliste de l'unification des tarifs de chemins de fer. Tout le monde sait que depuis les dernières et profondes transformations de l'industrie sidérurgique, surtout depuis la découverte du grand champ métallifère de la région de Nancy et des Ardennes, un déplacement complet s'est effectué dans cette industrie.

La fabrication des produits courants abandonnée par le plus grand nombre des anciennes usines de la Loire, de Saôneet-Loire, de l'Allier, etc., s'est concentrée pour la plus grande partie en Meurthe-et-Moselle, dans les Ardennes et dans une proportion moindre dans le Nord.

Sur un total de 3.574.000 tonnes de fontes produites en France en 1909, 2.429.000, soit plus des 2/3, l'ont été en Meurthe-et-Moselle, 376.000 dans le Nord.

Sur 3.039.000 tonnes de lingots, blooms et billettes, 1 million 434.000, près de la moitié, l'ont été en Meurthe-et-Moselle 648.100 tonnes dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Pour les rails par exemple, exemple des produits courants, sur 420.000 tonnes, 224.800 tonnes ont été produites dans Meurthe-et-Moselle, 92.000 tonnes dans le Nord et le Pas-deCalais, 17.300 tonnes dans les Ardennes.

Si on observe que sur la faible partie restante, les usines du littoral Trignac, le Boucau, ont encore donné 45.700 tonnes, on voit quelle faible part, 40.200 tonnes environ, reste aux usines de l'intérieur, et on peut apprécier ainsi toute la portée du changement opéré dans la répartition de cette industrie sur le territoire national.

Mais avec cette répartition nouvelle presque toutes les usi nes se trouvent placées sur les frontières de l'Est et du Nord et il n'est pas besoin d'insister sur le trouble profond que ressentirait leur production dans le cas d'une guerre dans ces régions.

Sans doute la fabrication restreinte des fers et aciers fins que demandent surtout la Guerre et la Marine a subsisté dans un certain nombre de hauts fourneaux du Centre qui traitent les minerais de choix des Pyrénées et d'Afrique.

Mais la production des fers et aciers communs n'en est pas moins nécessaire à la défense nationale et c'est l'intérêt primordial de maintenir cette industrie dans le Centre qu'on opposa récemment comme argument principal aux réclamations soulevées par deux tarifs communs entre l'Est et le P.-L.-M. pour le transport sur les usines du Centre des minerais de l'Est et des demi-produits fontes, lingots, blooms, des hauts fourneaux et aciéries de cette même région.

A la vérité, ce transport des minerais à pareilles distances et la reconstitution dans le Centre de hauts fourneaux comparables à ceux de l'Est pour l'importance et le prix de revient, paraît bien improbable ; d'autre part, une guerre qui arrêterait la production et l'expédition des produits finis, arrêterait aussi bien celle des minerais et des produits demi finis.

Quoi qu'il en soit de ces observations, la discussion de ces deux tarifs a mis en lumière l'intérêt considérable et vérita

blement national qui s'attache à la préservation des industries qui, dans la Loire, le Gard, l'Aveyron, le Périgord, etc., maintiennent encore avec les minerais locaux, loin des troubles d'une guerre possible, des fabrications essentielles pour la défense du pays.

Cette discussion récente n'a fait d'ailleurs que reproduire en les accentuant les arguments de même sens formulés au cours de la discussion plus ancienne d'un tarif de la Compagnie d'Orléans.

Il est bien clair, en effet, que si l'existence de ces usines du Centre est reconnue nécessaire à la vie nationale, il faut alors leur donner de l'air, il faut réserver ou trouver des débouchés pour leurs produits commerciaux.

C'est ce qu'avait entrepris la Compagnie d'Orléans au moyen de tarifs applicables spécialement au départ de ces usines pour leur permettre d'aborder les régions de l'Ouest que le Nord desservait par la voie maritime et d'atteindre en particulier le grand marché de Paris.

Or, les usines de l'Est réclamèrent alors avec la plus vive insistance la réciprocité de ces prix ainsi établis sur Paris, c'est-à-dire la faculté de retourner ces tarifs réduits pour porter leurs produits dans le Centre, dans la zone d'action propre de ces usines de l'intérieur.

C'était la ruine pour celles-ci; mais ce ne fut pas seulement dans leur intérêt particulier, ce fut en invoquant surtout les intérêts supérieurs de la Défense Nationale que cette réclamation fut écartée par le Comité Consultatif et l'Administra tion Supérieure.

Au Comité Consultatif, en raison des difficultés qu'elle soulevait, l'affaire fut remise à l'examen d'une Commission; or, dans le rapport de cette Commission, on relève la phrase sui

vante :

Pour l'industrie sidérurgique en particulier personne ne contestera le danger qui naîtrait du fait de sa concentration exclusive dans les départements frontières.

et dans la conclusion de ce rapport:

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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La Commission estime que toute mesure pouvant compromettre l'existence des usines du Centre serait contraire à l'intérêt général.

Après ces exemples si frappants, est-il utile de rappeler les polémiques et jusqu'aux incidents parlementaires qui ont fait écarter l'extension aux envois des vins du Midi sur les régions de l'Est d'un tarif en vigueur sur les autres réseaux? Il semble également superflu d'évoquer le souvenir des discussions entre fabricants d'engrais et agriculteurs pour l'extension aux réseaux P.-O. et P.-L.-M. des prix de transport en vigueur sur les autres réseaux pour les superphosphates; les agriculteurs insistaient naturellement pour la réduction des tarifs de transport; les industriels craignaient, non sans quelque raison, la ruine ou l'affaiblissement de leurs usines, à cause des facilités données à la concurrence étra gère appelée ainsi à dominer notre marché intérieur.

De tout ces faits anciens ou nouveaux se dégage tout d'abord cette impression que le maniement des tarifs de chemins de fer réclame un soin, une vigilance dont les Compagnies de chemins de fer, à cause du lien de leurs intérêts avec ceux de leurs régions, contrôlées d'ailleurs de très près par l'Administration Supérieure, sont plus capables que tout autre organisme.

Quant à l'unification des tarifs qui fait spécialement l'objet de cette étude, bien que séduisante pour les esprits simplistes, il semble cependant qu'on n'en saurait plus faire maintenant un thème sérieux de revendications.

Le peu de fondement de cette thèse formulée à priori par des économistes ou des administrateurs peu avertis apparaît avec évidence; en particulier pour les producteurs dont on a invoqué l'intérêt, cette unification serait dans bien des cas la cause de ruines capables d'atteindre ou de compromettre la vie nationale elle-même.

Bien plus, ces exemples démontrent qu'au moins dans les cas envisagés, il eût été funeste à l'intérêt général lui-même d'avoir eu, dès l'origine des chemins de fer, cette tarification uniforme dont on a évoqué le tableau enchanteur; il n'est pas douteux, en effet, qu'elle eût étouffé beaucoup d'initiatives

au détriment d'intérêts qu'on peut sans doute taxer de particuliers, mais qui sont ici d'une manière certaine le fondement de l'intérêt général.

Nous voudrions revenir sommairement et à un autre point de vue sur une des conclusions que nous venons de présenter pour l'appuyer de quelques constatations propres, semble-t-il, à offrir quelque intérêt.

Il a été dit, en effet, que les Compagnies de Chemins de fer à cause de leurs liens d'intérêts avec les industries de leurs régions, étaient particulièrement en situation de susciter ou seconder ces industries au moyen de leurs tarifs de transport. On va voir que pour les industries houillères et sidérurgiques en particulier, elles n'ont pas failli à ce devoir.

Il a été de mode pendant un certain temps d'écraser les Compagnies françaises par la comparaison du prix moyen. de leurs transports avec celui des Chemins de fer allemands; on écartait d'ailleurs systématiquement de ces comparaisons les charges spéciales aux transports allemands du fait des frais accessoires, des prélèvements des groupeurs, etc., systématiquement aussi on fermait les yeux sur les différences considérables existant dans la composition des trafics des deux pays, sur la part dans le trafic allemand, des matières pondéreuses houilles, minerais, matières premières dont l'énorme proportion faisait baisser sa taxe moyenne.

Cependant, sous des démonstrations répétées ces comparaisons ont cessé; si on ne veut pas encore convenir ouvertement que malgré son trafic kilométrique inférieur, ses frais plus grands d'établissement, de traction, etc., le réseau français offre des tarifs généralement inférieurs, on observe au moins le silence à cet égard.

Aussi ne paraît-il pas inutile d'appuyer encore ces démonstrations par de simples comparaisons des tarifs le plus réduits applicables dans les deux pays aux transports des matières premières de l'industrie sidérgique, comparaisons que présentent les tableaux ci-après :

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