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devenu secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Elle avait adopté un costume spécial uniformes bleus, chapeaux bleus, cravates bleues, chaussettes bleues. Dans un des grands parcs de Baltimore, ces délégués multicolores se disposèrent en lignes droites, obliques ou circulaires, dessinant les lettres du nom de Knox, K. N. O. X, et offrant ainsi aux badauds une image inoubliable de leurs préférences politiques.

Au reste, toutes ces délégations sont venues pour avoir ce qu'on appelle en anglais «< a good time », c'est-à-dire pour s'amuser de leur mieux. Elles installent leur quartier général dans quelque hôtel confortable. Les candidats sont encore mieux installés. A Chicago, Roosevelt avait tout l'étage d'un des principaux hôtels et toute une troupe de secrétaires, de sténographes, un bureau pour les distributions des billets d'entrée, une grande salle de gala, connue sous le nom de « salle florentine », pour les grandes réunions. C'est dans cette salle florentine que le dimanche matin, 23 juin, après l'échec de Roosevelt, ses amis se réunirent, au nombre de près de 500, pour jeter les bases d'un nouveau parti dans une sorte de serment du jeu de paume, marqué par des prières et une solennité tout à fait religieuse.

Tandis que les chefs et leurs secrétaires sont enfermés dans le quartier général à conférer et à discuter sur la tactique à suivre, la masse des délégués se répand à travers la ville, envahit les corridors des hôtels, prend d'assaut les grands bars et occupe de son mieux, en bavardages et en gamineries, les instants qui ne sont pas occupés par les séances. Tout cela forme une foule joyeuse et bon enfant et remplit la ville de l'éclat des parades et de la musique populaire. On peut penser si les indigènes accueillent avec bienveillance cette invasion de politiciens, de leurs acolytes et de leurs familles, qui s'installent chez eux pendant une semaine entière et leur apportent de l'argent de tous les points de l'Union, de Porto-Rico jusqu'à l'Alaska et aux Philippines. Aussi s'ingénient-ils à multiplier les prévenances. Non seulement on pavoise les maisons, mais à Denver, en 1908, on avait transporté aux portes de la convention de la neige des montagnes pour rafraîchir les esprits durant les chaleurs estivales !

Venons-en maintenant à la routine ordinaire des séances de la convention. L'ordre des opérations est minutieusement réglé et voici, en gros. comment les choses se passent :

Le premier jour, les délégués et leurs remplaçants évenfuels, les « alternés », comme on les appelle, se rendent dans l'édifice réservé aux débats et se rangent, d'après les Etats d'où ils viennent, dans les sections qui leur ont été réservées. Les invités, porteurs de billets obtenus souvent à grand'peine ou à grands frais (les souscripteurs aux frais généraux ayant naturellement la préférence), remplissent les galeries et beaucoup d'entre eux vont se conduire comme s'ils étaient chez eux, en applaudissant, huant, chantant, sifflant, et contribuant, pour une large part, au tumulte général. Sur l'estrade, décorée de drapeaux, sont assis les membres du comité national et les personnages tout à fait influents.

La séance est ouverte par le président du comité national et la première chose qu'il fasse est de présenter le pasteur, curé ou rabbin chargé de faire la prière. La prière ! Concession curieuse aux traditions d'un pays qui reste, malgré toutes les immigrations et tous les changements, frappé à l'empreinte anglo-saxonne et fidèle à la mentalité religieuse des ancêtres.

Parmi ces milliers de politiciens, il y en a à peine cinquante pour cent, peut-être, qui, dans leur vie personnelle, sentent la nécessité de la prière et pratiquent pour leur compte. Mais lorsqu'ils sont assemblés au nom du peuple souverain, ils se sentent moralement liés par les scrupules religieux des uns, les habitudes séculaires des autres. Non seulement un ministre du culte ouvre la séance d'inauguration, mais d'autres ministres suivent, à chacune des séances ultérieures ; et c'est une des tâches du comité d'organisation de s'assurer le concours de ministres des différentes sectes afin de n'offenser personne. Sans doute pour faire plaisir aux catholiques, secte remuante et ambitieuse, les deux conventions de cette année ont été ouvertes par un prêtre, celle de Baltimore ayant le privilège d'un prince de l'Eglise, en robe rouge, le cardinal Gibbons. Chose naturelle, d'ailleurs, puisque la partie la plus active du parti démocrate, dans le Nord, tout au moins, est composée d'Irlandais. (Il est caractéristique de

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l'esprit des Américains, soit dit en passant, qu'ils consentent à faire toutes les politesses aux catholiques, mais qu'ils n'ont pas encore consenti à présenter un de leurs coreligionnaires à l'élection présidentielle.) Il faudra bien quelque jour qu'ils se rendent compte du caractère illogique de ce mélange du sacré et du profane dans un état censément neutre. Déjà, des signes annoncent des changements possibles. Sans doute, l'assemblée se lève pour écouter la prière et garde une attitude respectueuse. Mais quand les prières sont trop longues, des manifestations d'impatience se font jour ; à Chicago, quelqu'un fit entendre deux petits sons de mirliton à la fin d'une invocation qui avait trop duré; il y a quatre ans, on avait exprimé quelque surprise que la convention eût applaudi une prière dont la brièveté avait plu. Cette année-ci, des applaudissements se sont produits, à Baltimore comme à Chicago, après des prières où des sentiments avaient été exprimés qui plaisaient à la foule. A Baltimore, un pasteur baptiste avait, en effet, prié le Tout-Puissant de prêter son appui à la liste démocrate.

Une fois la prière terminée, le président du comité national propose à l'assemblée le nom d'un président temporaire qui présidera la convention jusqu'à la vérification complète des mandats. Le nom du président temporaire, qui passe souvent sans incident, a causé, cette année, une controverse sérieuse, à Chicago comme à Baltimore. Dans les deux conventions, le président proposé semblait à l'opposition être d'une teinte trop pâle, et ce n'est qu'après de vifs débats que M. Root triompha des résistances du parti Roosevelt, et M. Parker, de l'hostilité de M. Bryan. Puis, on fait l'appel provisoire des délégués cet appel « est provisoire » parce que beaucoup de ces délégués risquent d'être bientôt invalidés par la commission de « la vérification des pouvoirs ». chargée de vérifier si les délégués sont bien les représentants authentiques de leur parti. La grande bataille à Chicago s'est livrée justement sur ce terrain-là et c'est après avoir constaté que les partisans de Taft validaient sans scrupule des délégués jugés frauduleusement élus, que les partisans de Roosevelt ont opéré la scission. Autant que l'élection du président provisoire, le rapport de la commission de vérification

et le vote qui suit le dépôt de ce rapport, annonce d'avance de quel côté la majorité va pencher. Cette année, c'est en invalidant tous les délégués Roosevelt, même ceux dont les mandats paraissaient les plus solides; en 1896, c'est en validant les délégués partisans de la frappe libre de l'argent que les deux conventions ont, dès les premières séances, montré leur parti-pris. Une fois que la vérification des pouvoirs est terminée, le bureau permanent est élu avec président, secrétaire, « sergent armé », etc., toutes fonctions qui sont similaires, dans le fond et la forme, aux fonctions de toutes les assemblées législatives d'Amérique et d'Angleterre. Le président permanent est généralement le même que le président temporaire. Comme chaque président, à son entrée en fonctions, est obligé de prononcer un grand discours, longuement préparé, cette économie de présidents n'est pas à négliger cela fait un discours de moins.

Les deux événements saillants de la convention, si l'on excepte les incidents inattendus et les escarmouches personnelles, sont, d'une part la discussion ou plutôt la lecture de la «< plateforme » et, d'autre part, la présentation des candidats. La « plateforme » ou programme politique du parti, a été préparée par la « commission des résolutions » et est généralement adoptée sans grand débat c'est sur ce programme que le candidat devra faire sa campagne. Il est donc essentiel de le corser autant que possible de tout ce qui peut plaire à l'électeur. Il arrive parfois que la minorité de la commission présente un rapport spécial pour souligner ses divergences, comme firent les progressistes républicains en 1908; cette année, ils ont fait un pas de plus en formant un autre parti.

La présentation, ou « nomination », des candidats est le clou de la convention. Même lorsque les chances de succès sont accaparées par un ou deux candidats très connus, il y a toujours une poignée de gloires locales qui sont présentées à la convention par leurs partisans, lesquels votent pour elles, au premier tour, quittes à se rallier au gagnant, au deuxième ou troisième tour.

Cette année, la convention républicaine ne comprenait que deux candidats supplémentaires en plus de Taft et de Roosevelt; la convention démocrate, au contraire, en comptait jusqu'à sept, et tous avaient des partisans enthousiastes. Ces candidats sont présentés à la convention dans des discours spéciaux, connus sous le nom de discours de présentation. On fait l'appel de chaque Etat et quand vient le nom de l'Etat qui a un candidat préféré, généralement un « enfant du pays », un des délégués monte à la tribune et fait en termes emphatiques l'éloge de « l'homme qui, l'homme dont, l'homme à qui ». Ces discours, qui sont souvent suivis d'un autre dit «discours d'appui », sont tous coulés dans le même moule et doivent, d'après la rhétorique du genre, ne contenir le nom du candidat que dans la dernière phrase, ce qui permet à la claque de faire une bruyante et souvent interminable ovation.

Cette année-ci, aucun ne sortait de la banalité. Le discours en faveur de M. Taft, prononcé par un de ses compatriotes de l'Ohio, pourrait presque être cité comme le modèle de ce genre, tant il est ampoulé et incongru. A cet honnête homme, sans prétentions le thuriféraire officiel attribua toutes les vertus qui ont caractérisé les plus populaires des présidents américains, la «< patience » de Lincoln, la « modestie » de Grant, la «< modération » de Hayes, le «< patriotisme» de Garfield, la « courtoisie » d'Arthur, la « science juridique » de Harrisson, la « sympathie » de Mac Kinley et « l'esprit de progrès de... son prédécesseur.

L'opération décisive est alors le vote. Il se fait à haute voix. Le secrétaire appelle chaque Etat à tour de rôle, commençant par l'Alabama et finissant par le Wisconsin. Le chef de chaque délégation se lève et, à haute voix, annonce le vote de ses collègues.

Quand la discipline est bonne et que les marchés conclus entre les factions ont été complétés en dehors de la salle, il n'y a guère qu'un vote ou deux. Taft a été nommé au premier tour de scrutin. A Baltimore où, conformément aux usa

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