La faute n'en est pas à l'institution elle-même dont les résultats favorables ont été parfois constatés à l'étranger, notamment sur les réseaux de chemins de fer allemands, mais aux conditions dans lesquelles elle a été ou serait appelée à fonctionner, tant en France qu'en Angleterre. Une fraction importante du personnel des réseaux ferrés de ces deux pays est affiliée à des associations professionnelles qui, sous prétexte de poursuivre l'amélioration du sort des cheminots, les provoquent à l'indiscipline: elles ont été en réalité créées exclusivement en vue de la lutte contre les compagnies et ne dissimulent pas que leur principal objectif est la préparation de la grève sur les chemins de fer. Elles se trouvent ainsi être à priori adversaires de toutes les institutions tendant à la solution pacifique des conflits du travail elles empêchent leur création ou elles en faussent le fonctionnement. Loin que ces associations aient été en France entravées dans leur action pernicieuse par les pouvoirs publics, elles en ont parfois reçu des marques de considération; au lieu d'une déclaration catégorique interdisant aux agents de chemins de fer de suspendre leur travail, elles n'ont entendu que des dissertations sur la question de savoir si les agents des services publics ont le droit se mettre en grève; il leur importe peu d'ailleurs, car elles répondent que « le droit de grève ne se demande pas, ne s'accorde pas, qu'il se prend. » (La Tribune de la voie ferrée, 1er janvier 1911). ་་ Aux vaines tentatives pour acclimater utilement sur nos chemins de fer les conférences des délégués du personnel avec leurs chefs de service, nous opposerons le remarquable développement des « commissions d'ouvriers » (Arbeiterausschüsse) créées sur les réseaux allemands où la résistance énergique des administrations à la poussée socialiste a détourné le personnel de chercher dans des moyens violents la satisfaction de ses désirs. II Notre loi du 21 mars 1884 qui a autorisé la formation de REVUE POLIT., T. LXXIII. 30 syndicats entre personnes exerçant la même profession, trouva un terrain favorable à son application dans le personnel des chemins de fer; comme la loi nouvelle ne comportait aucune restriction à l'exercice du droit nouveau dont elle dotait la classe ouvrière, les compagnies ne pensèrent pas devoir invoquer le caractère du service public de leur industrie pour s'opposer à la fondation, dès le 18 avril 1884, « du Syndicat Professionnel des Employés de chemins de fer ». Chacun d'ailleurs se berçait alors de l'espoir que les associations nouvelles atténueraient l'âpreté de la lutte entre le patronat et le salariat. En fait le « Syndicat Professionnel >> n'étant pas sorti de ses attributions, a généralement reçu des compagnies bon accueil pour ses demandes toujours présentées sous une forme modérée. Par contre, dans un récent article de son journal la Locomotive, il se plaignait amèrement de n'avoir jamais trouvé aucun appui près des pouvoirs publics dont toutes les gracieusetés se sont exercées au bénéfice des agitateurs obstinés du Syndicat dit « National ». Celui-ci fondé en 1890 seulement, participe ouvertement aux nouvelles tendances syndicales. On sait combien les nouveaux groupements créés sous l'égide de la loi de 1884 « pour l'étude et la défense des intérêts économiques industriels, commerciaux et agricoles »>, se sont écartés du but qui leur avait été primitivement assigné. Loin d'être des instruments de concorde, ils sont devenus les agents actifs des troubles industriels. Pour eux le seul argument dans les différends entre les salariés et leurs patrons est la grève; leur seule fin est de la préparer en exploitant le sentiment de solidarité développé chez les ouvriers par l'association. Les agents de chemins de fer résistèrent quelque temps à la pénétration des nouvelles doctrines syndicales: cependant le Syndicat National des Travailleurs des chemins de fer de France et des Colonies », s'affirma dès ses débuts comme l'adversaire violent des compagnies en 1891, moins d'un an après sa naissance, il provoqua un mouvement de grève qui fut d'ailleurs rapidement arrêté. Mais il se développa, créant des sections dans chaque réseau, des groupements dans les centres importants de che : mins de fer les compagnies n'avaient aucun moyen de lutter contre le péril qu'elles sentaient grandir elles ne pouvaient que refuser de considérer comme représentant officiel de leurs agents une association qui ne comptait parmi ses membres que la minorité du personnel des chemins de fer. En 1894, le Syndicat National reçut du Parlement sa première marque de faveur M. Jonnart, ministre des Travaux publics, contestant au personnel des chemins de fer de l'Etat comme à tous autres fonctionnaires des services publics, le droit de se syndiquer, avait refusé les congés demandés par les délégués du réseau d'Etat pour se rendre au congrès du Syndicat National M. Jourde, député, estimant que les agents de l'Etat employés aux mêmes services que ceux des compagnies, devaient comme eux, pouvoir prendre part aux assemblées générales d'un syndicat dont personne ne contestait la légalité, interpella le gouvernement. Le Cabinet présidé par M. Casimir Perier démissionna à la suite du vote par la Chambre de l'ordre du jour suivant : « La Chambre considérant que la loi de 1884 s'applique aux ouvriers et employés de l'Etat aussi bien qu'à ceux des industries privées, invite le gouvernement à la faire respecter et à en faciliter l'exécution. » Ainsi muni d'une consécration officielle, le Syndicat National continua sa propagande en faveur des revendications les plus excessives et de la grève comme moyen de les faire aboutir. Tandis que la Chambre favorisait ainsi le désordre et le trouble sur les voies ferrées, le Sénat encore ému de la tentative de grève de 1891 et conscient du danger que ferait courir au pays la cessation du service des transports, s'efforçait d'écarter cette éventualité en 1894, M. Merlin, sénateur, en 1895, M. Trarieux, Garde des Sceaux du Cabinet Ribot, déposèrent une proposition et un projet de loi réprimant pénalement les coalitions formées dans le but de suspendre le travail dans les services publics: ces deux textes furent fusionnés par la commission sénatoriale chargée de les examiner. Au cours de la discussion en séance publique, M. Barthe soutint un contre-projet tendant à la dissolution comme illégales des associations formées par les employés et ouvriers de l'Etat et des chemins de fer il échoua, mais il n'en demeure pas moins qu'il avait peut-être trouvé la véritable voie pour parvenir au but que poursuivait le Sénat. Par contre, l'éloquence de M. Trarieux détermina le vote du projet de la commission. : Cette marque d'énergie des pouvoirs publics n'eut pas de lendemain le projet adopté par le Sénat ne fut jamais mis à l'ordre du jour de la Chambre et nous venons de voir que, malgré les événements récents, le gouvernement n'a pas osé supprimer catégoriquement le droit de grève aux cheminots. Encouragé par le vote de la Chambre de 1894, et malgré celui du Sénat, demeuré platonique, le mouvement syndical s'accentua le Syndicat National organisa une nouvelle grève en 1898 elle échoua encore, mais son Conseil d'administration ne se découragea pas : « Sans doute, écrivait-il en 1899, il n'est plus permis au syndicat de parler de la grève, mais il peut, il doit y penser » (1). Il y pensa si bien qu'il adhéra à la Confédération Générale du Travail. D'autres associations professionnelles, à tendances fort analogues à celles du Syndicat National, se formèrent dans le personnel des chemins de fer. Souvent en rivalité, ces groupements sûrent cependant s'associer pour provoquer le vaste mouvement qui, sous prétexte d'obtenir la hausse des salaires, aboutit à la grève du mois d'octobre 1910. La campagne qui la précéda fut longue et violente les meneurs ne cachaient pas leur but. Au lieu de les arrêter dans leur travail de désagrégation par une attitude énergique, le gouvernement ne cessa de prodiguer au Syndicat National les marques de l'estime dans laquelle il le tenait. Toujours prêt à écouter ses doléances, il n'osa lui imposer de cesser ses menaces il ne retrouva d'énergie que quand la grève eut éclaté. L'évolution du syndicalisme vers la lutte violente contre le patronat n'est pas spéciale à la France: il n'est point de pays qui ne possède au moins une association professionnelle s'étant donné comme tâche de développer l'indiscipline parmi les agents de chemins de fer en Allemagne, le << Deutsche Transportarbeiterverband » préoccupe les divers (1) Rapport du Conseil d'administration publié en 1899. Etats de l'Empire; en Suisse, le « Verband des Personals der Schweizerischen Transportanstalten », en Hollande, la «Nederlansche Vereeniging von Spoor en Tramway personal », en Italie, le « Riscatto ferroviario » et la « Lega dei ferrovieri » ont à leur actif l'organisation de plusieurs grèves. Les Trade Unions anglaises, si vantées jadis pour leur compréhension des nécessités économiques et partant pour leur pondération, sont parties en guerre contre le capitalisme! Participant au mouvement révolutionnaire, qui a déterminé les émeutes de Liverpool au mois d'août 1911, les quatre grandes associations d'agents de chemins de fer se sont alors empressées de déclarer la grève générale. Les événements de 1910 en France, ceux de 1911 en Angleterre démontrent qu'à défaut de la majorité des travailleurs de l'industrie dans laquelle ils se recrutent, les syndicats violents comportent toujours une minorité qui impose sa volonté aux indifférents; l'ineru des pouvoirs publics, leur impuissance à empêcher la chasse aux «< renards » ou aux «< blacklegs », découragent les modérés les syndicats acquièrent ainsi sur la corporation une influence inadéquate au nombre de leurs membres. Comment alors renonceraient-ils à la lutte pour laquelle ils se sont créés? Comment des ouvriers entretenus dans la pensée que la grève est à la fois un droit pour eux et l'ultime argument devant lequel s'incline toujours le patron, pourraient-ils prendre goût aux modes de solution pacifique qu'on leur propose pour les différends nés de leurs revendications? III. Un règlement des chemins de fer de l'Etat français du 12 juillet 1907, a : 1° Organisé la représentation du personnel dans les Commissions chargées de la préparation des notes et propositions d'avancement ou de récompenses de fin d'année. 2o Institué un conseil de discipline, comprenant également des représentants élus des agents. |