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Mais je m'empresse d'ajouter que cette solution ne doit être envisagée par nous que comme un pis-aller. Notre pays n'est pas de ceux qui prétendent user de leur force vis-à-vis des peuples faibles. La théorie du capitaine Mahan de l'expropriation des « races incompétentes » ne saurait trouver de partisans chez nous.

C'est pourquoi, qu'il s'agisse du Portugal ou du Mexique, nous devons être les premiers à souhaiter que ces pays sortent, l'un et l'autre, de la crise où ils se débattent.

Nous pouvons les y aider dans la mesure de nos moyens, de notre diplomatie et de nos finances. Autant que notre réputation mondiale et que notre conception du Droit, c'est la claire compréhension de notre intérêt qui l'exige. Il ne serait pas impossible non plus que nous nous entendions, à cet égard, avec l'Angleterre. La situation actuelle de celle-ci en fait, de toute nécessité, une puissance conservatrice : c'est dire qu'à Lisbonne comme à Mexico, l'« entente cordiale » trouverait, je crois, une heureuse occasion de faire ses preuves.

Pour nous, ce n'est pas je tiens à le répéter de simples considérations économiques, qui nous dictent cette conduite. Je ne sais si l'on peut parler d'une « race latine », mais ce dont je suis bien sûr, c'est qu'il y a une «< civilisation latine », c'est que, d'ores et déjà, on peut observer entre les peuples latins « des affinités spéciales, qui n'existent pas entre eux et les autres peuples », c'est que, comme l'écrit excellemment M. André Lichtenberger dont nous partageons entièrement l'opinion, fille aînée de la latinité, comme elle fut la fille aînée de l'Eglise, la France a non seulement l'obligation de ne pas méconnaître ce que j'appellerai le devoir latin; elle a le plus grand intérêt à le proclamer, à s'en pénétrer, à en rendre la perception plus claire et plus universelle. Car du même coup, elle élargit et rend plus lumineux encore le foyer d'attraction et d'expansion mondiale qu'elle constitue... >> (1).

Certes, la « fraternité latine » a été mise, ces temps derniers, singulièrement à l'épreuve ; et je ne conseillerai pas à notre diplomatie de s'appuyer, en toute confiance, aujourd'hui,

(1) Le rôle de la France dans le monde latin (Opinion du 4 mai).

sur Rome ou sur Madrid. La place prépondérante que nous avons prise parmi les nations latines, nos gloires dans le passé et notre richesse actuelle, sans parler de la situation hors de pair que nous nous sommes créée dans la Méditerranée africaine, excitent pour le moment encore jalousies et trop de susceptibilités de la part de nos « italienne et espagnole,

trop de sœurs >>

En revanche, il n'existe aucune cause de rivalité entre le Portugal et nous, entre l'Amérique Latine et nous. Rien ne nous désunit et tout nous rapproche. J'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il n'y a pas sans doute, dans toute l'Europe, de pays où nous jouissions d'une hégémonie intellectuelle aussi incontestable que celle que nous possédons au Portugal, ni de pays où nous soyons plus sincèrement aimés. Quant aux Républiques Latines du Nouveau Monde, il est inutile d'insister ici sur l'attraction puissante, dans le domaine moral, que nous exerçons sur elles.

C'est pourquoi j'ai tenu à les associer, dans le même article. En m'élevant contre les atteintes portées à la fois contre le Mexique et contre l'Etat lusitanien, au nom d'une théorie qui prétend s'inspirer des intérêts de l'humanité, je n'ai eu d'autre but que de souligner les différences profondes qui séparent notre idéal de celui des Germains et des AngloSaxons et de montrer la nécessité où nous sommes, en présence de leurs continuels empiétements, de nous faire, dans le monde, les champions sinon du Panlatinisme le mot ne me satisfait pas plus que M. André Lichtenberger du moins, de la «< plus grande Latinité... »

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ANGEL MARVAUD.

LES DÉLÉGUÉS ÉLUS

DU PERSONNEL DES CHEMINS DE FER

EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

I

La France, en octobre 1910 et l'Angleterre, en août 1911,ont fait la dure expérience du trouble général que peut apporter dans la vie économique d'un pays, la suspension du service sur ses réseaux ferrés; dans l'un et l'autre cas, la grève avait été organisée par des associations professionnelles d'employés et d'ouvriers de chemins de fer.

Ceux qui ont la charge des intérêts nationaux s'efforçent de trouver le moyen de conjurer le retour de ces crises et, fait notable, en Angleterre comme en France, ils ont orienté leurs recherches exclusivement vers les modes de solution pacifique des différends susceptibles de surgir entre les administrations de chemins de fer et leurs agents. Il est permis de douter qu'ils atteignent par cette voie le but qu'ils poursuivent.

Qu'ils aient nom Briand ou Asquith, les chefs de gouvernement protestent avec éloquence contre la grève dans les entreprises de transports et contestent à leur personnel le droit d'y recourir pour faire triompher ses revendications; mais, empêchés par leurs attaches démocratiques de suivre le développement logique de leurs théories, ils n'osent user contre le mal qu'ils combattent, du seul remède effectif : la répression sévère de la cessation concertée du travail dans les services publics. Ils considèrent comme intangibles les droits d'association, de coalition et de grève dont la limitation serait

pourtant le seul moyen efficace d'empêcher le retour des événements déplorables qui se sont produits sur les chemins de fer français et anglais.

Bien que son exposé des motifs déclare hautement que la grève sur les réseaux ferrés est illicite, le projet de loi déposé le 22 décembre 1910, par MM. Briand, président du Conseil et Puech, ministre des Travaux publics et modifié par la Commission du Travail sur le rapport de M. Millerand, ne l'interdit pas et prétend seulement la prévenir. A cet effet, il rend obligatoire l'organisation sur chaque réseau :

1° De conférences périodiques où les délégués élus du personnel << seront appelés à conférer avec les chefs de service régionaux et avec l'Administration centrale des intérêts professionnels de leurs mandants. » (Art. 1 du projet de loi).

« C'est par l'organisation normale de rapports périodiques et permanents entre patrons et ouvriers, avant que l'ère des difficultés soit ouverte; par la pratique habituelle de conférences au cours desquelles les questions sont étudiées de concert dans une atmosphère de calme, qu'on réussira à prévenir l'explosion de conflits qui, nés fréquemment d'un ordre mal donné ou mal interprété, auraient été évités par une conversation de quelques minutes >> (1).

2o D'un comité de conciliation comprenant des représentants de l'administration du réseau et des délégués élus du personnel, appelé à examiner les différends d'ordre collectif relatifs aux conditions du travail des agents et ouvriers du réseau qui n'auraient pas été réglés au cours des conférences périodiques.

Le projet de loi institue enfin un conseil arbitral qui, en cas d'échec de la tentative de conciliation, sera saisi des différends par un décret rendu soit à la demande de l'une des parties, soit d'office.

On sait qu'en Angleterre une convention du 7 décembre 1907 intervenue entre les représentants des agents et ceux des compagnies, a institué un système de conciliation et d'arbitrage qui, après avoir fonctionné tant bien que mal pendant trois ans et demi, n'a pu empêcher la grève du mois

(1) Rapport de M. Millerand déposé à la séance de la Chambre du 13 novembre 1911.

d'août 1911. Une commission fut alors nommée par le gou vernement avec mission de rechercher les améliorations à ap porter à cet accord elle estima qu'un de ses principaux dé fauts était de n'avoir point stipulé que les demandes du personnel feraient l'objet de conférences entre les agents intéressés et leurs chefs de service avant d'être portées devant les « comités de conciliation ». Le passage devant ces comités n'a été souvent pour les agents qu'une question de forme, leur but étant d'arriver à l'arbitrage. « Si bien qu'on peut presque dire qu'avant le premier débat devant l'arbitre, le personnel n'avait rien compris, même rien entendu des arguments et points de vue de la compagnie et n'avait aucune idée des conséquences de ses demandes (1). »

Aussi dans le nouvel accord accepté par les parties, le 11 décembre 1911, sur leur proposition, les commissaires ont spécifié que toute demande collective du personnel d'une compagnie devrait lui être présentée sous la forme d'une pétition contenant l'indication de délégués des agents. Les chefs de service recevront ces délégués et discuteront avec eux les demandes de leurs mandants. C'est seulement en cas de réponse défavorable ou à défaut de réponse de la compagnie dans un délai de vingt-huit jours depuis l'entrevue, que l'objet de la pétition pourra être porté devant un comité de conciliation. Les raisons établissant la fragilité des accords intervenus dans les réseaux anglais, toutes les difficultés que présenterait l'application à l'industrie des chemins de fer de la conciliation et de l'arbitrage obligatoires, ont été déjà exposées dans la Revue Politique et Parlementaire de telle façon que nous n'y saurions revenir (2) ; quant aux conférences entre les délégués du personnel et les représentants des agents elles ne soulèveraient pas les mêmes objections de principe. Nous voudrions établir cependant par l'examen d'expériences déjà faites chez nous, qu'il ne faut pas en attendre tous les bons effets escomptés par le rapport de M. Millerand.

(1) Rapport de la Commission Royale (The Times, 21 octobre 1911). (2) Revue politique et parlementaire de mars 1912, août 1910 et février 1911.

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