des affaires étrangères, M. Augusto de Vasconcellos, à faire des déclarations, de nature, semble-t-il, à calmer l'opinion, au moins pour quelque temps. Selon M. de Vasconcellos, l'alliance avec l'Angleterre, qui remonte au quatorzième siècle, continue à être la base de la politique extérieure du Portugal. Le fait même que ce traité d'alliance, si souvent confirmé, a été renouvelé pour la dernière fois encore en 1899, montrerait bien qu'il est incompatible avec la fameuse convention secrète de 1898, dont on a tant parlé et par laquelle la GrandeBretagne et l'Allemagne auraient prévu le partage du domaine colonial portugais. « Je puis garantir, a ajouté le chef du gouvernement à la Chambre des Députés de Lisbonne, qu'aucun traité n'existe entre l'Angleterre et l'Allemagne contenant quoi que ce soit de nature à menacer l'indépendance, l'intégrité ou les intérêts du Portugal ou d'une partie quelconque de ses possessions coloniales... >> Cependant, il n'est pas douteux que cette convention existe. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler ici (1). Les journaux allemands n'ont jamais cessé, ces dix dernières années, d'y faire de fréquentes allusions; et, tout récemment, le Grafic de Londres publiait à son sujet des données précises, qui méritent d'être reproduites: « Lorsqu'au moment du raid Jameson, le gouvernement anglais demanda à Lisbonne la permission de débarquer dans la baie de Delagoa les forces en route pour Pretoria, il devint évident pour M. Chamberlain que l'on complait sur la faiblesse du Portugal pour faire échec à sa politique. En conséquence, il soumit au cabinet de Lisbonne un projet de développement des colonies portugaises de l'Afrique du Sud avec l'aide des capitaux anglais. Ce projet devait rendre l'Angleterre maîtresse effective du pays, tout en respectant la suzeraineté du Portugal. « Au dernier moment, pour des raisons qu'il n'est pas nécessaire de révéler pour le moment, le cabinet portugais déclina cette offre. Là-dessus le gouvernement allemand profita très habilement des circonstances pour proposer un autre (1) Voir notre article de la Revue Pol. et Parl. du 10 juin 1909 et notre ouvrage le Portugal et ses colonies (Alcan, 1912), p. 58 et suiv. plan à l'Angleterre, qui aurait pour effet de partager à l'avance entre les deux pays les colonies portugaises et d'assurer à l'Angleterre la main libre dans toute la région située au sud du Zambèze. « M. Chamberlain fut enchanté naturellement de cette proposition, mais M. Salisbury y fut hostile et laissa toutes les négociations dans les mains de M. Balfour, qui, après avoir négocié le traité, le signa de ses initiales avec le comte Hatzfeld-Wildenburg. Ce traité fut signé un peu plus tard, quoique à contre-cœur, par lord Salisbury. « Le résultat le plus tangible de cet accord fut la neutralité bienveillante de l'Allemagne pendant la guerre anglo boer. « Le traité porte sur le partage du Mozambique et de l'Angola, mais comme au Mozambique l'Angleterre n'obtient rien de plus que ce qu'elle avait déjà par le traité anglo-portugais de 1891, elle a une compensation dans l'Angola, où elle reçoit la partie de la colonie au nord du 15° parallèle. En outre, toutes les îles faisant partie du domaine colonial portugais lui sont également attribuées... » Donc, le traité a bien été signé. Que M. de Vasconcellos l'ait nié,et d'après ses propres déclarations «< avec l'assentiment des gouvernements de Londres et de Berlin », cela no doit pas nous faire illusion. C'est qu'en effet, selon la remarque du Grafic, «le Portugal n'a jamais connu officiellement ces négociations et n'est en aucune façon lié par le traité... » L'éventualité d'un partage était subordonnée au cas où le Portugal « voudrait, de son propre mouvement, aliéner une partie de ses possessions ». L'expression est jolie comme si l'on pouvait parler de la libre volonté d'un Etat, dont les finances sont si gravement obérées, et la situation internationale si compromise! La vérité est qu'aucun des deux pays, qui ont signé la convention de 1898, ne la considère comme définitive. L'un et l'autre estiment qu'elle devrait être revisée. « La baie de Delagoa, écrit encore le Grafic, cesse de nous être d'une nécessité aussi capitale qu'en 1898, et, d'autre part, la côte ouest devient chaque jour plus importante à la fois au point de vue stratégique et au point de vue commercial. Le chemin de fer de la côte ouest deviendra, dans un avenir prochain, la grande route vers l'Amérique du Sud, et la voie ferrée actuellement en construction entre Benguela et le Katanga sera, dans quelques années, la voie la plus courte et la plus directe pour se rendre au Transvaal... » Et la Gazette de la Croix remarquait, de son côté, vers la même époque : « L'Angle. terre a un droit de préemption sur le Mozambique, l'Allemagne sur l'Angola... Mais il est à craindre que le prix qu'on réclame à l'Allemagne pour l'Angola ne soit très élevé. Si l'Angleterre demande, pour sa part, le sud de l'Angola jusqu'à Benguela, afin de pouvoir construire un chemin de ler Benguela à la Rhodesia, cette voie couperait la colonie de l'Angola et du sud-ouest africain. L'Angola perdrait de ce fait sensiblement de sa valeur pour l'Allemagne. Un établissement de l'Angleterre dans l'Angola du Sud encerclerait la colonie allemande du sud-ouest africain. Il est impossible. L'Angleterre, dans son projet de partage africain, réclame la prépondérance dans la région du Mozambique et le consentement de l'Allemagne à la construction de la ligne du Cap au Caire à travers tout l'Etat du Congo et la colonie allemande du sudest africain... >> «Toutes ces circonstances - concluait le journal allemand -ne permettent pas d'être très optimiste à l'égard des négociations anglo-allemandes...>> Ces négociations ont, en effet, échoué, ou du moins, elles ont été ajournées. S'il faut en croire un organe, qui ne se distingue pas d'ordinaire par ses sentiments francophiles, le Daily News (1), la faute en serait à notre pays, «< qui craindrait que si l'Allemagne réduisait ses dépenses navales, elle n'augmentât proportionnellement ses dépenses militai res... >> Si tant est que ces négociations aient échoué du fait de notre diplomatie, nous ne saurions, pour notre part, en faire grief à notre gouvernement. Sa sagesse contrasterait heureusement avec certaines paroles inquiétantes de M. Caillaux, qui semblait envisager, de gaîté de cœur, dans les derniers (1) Du 23 avril. mois de 1911, de nouveaux remaniements de la carle d'Afrique. Mais la responsabilité de l'ajournement des pourparlers revient, en réalité, à l'Angleterre elle-même. On comprend -nous l'avons nous-même montré (1) qu'elle n'ait aucune hâte à provoquer le morcellement de l'Empire portugais, dont elle tire, d'ores et déjà, le plus grand profit. C'est ce que répétait, tout récemment encore, un ancien ministre du gouvernement provisoire de la République portugaise, M. Affonso Costa, lors de son passage à Paris : « L'Angleterre a un domaine colonial trop étendu pour l'accroître sans nécessité absolue. Du moment que le Portugal est son allié, elle n'a absolument aucun intérêt à assumer des charges considérables, sans parler des difficultés que lui causerait la prise de possession d'une partie des possessions de son allié, où elle serait voisine immédiate de sa rivale l'Allemagne, et où celle-ci exercerait son influence économique, tandis que l'influence anglaise est favorisée économiquement sur les territoires portugais... » (2). Or, si l'Allemagne acceptait de réduire ses armements navals, c'était à la condition d'obtenir, en retour, quelque chose de concret. On a parlé, à ce sujet, de concessions anglaises en Perse et en Chine ou dans l'affaire du chemin de fer de Bagdad. Il a été question également d'une rectification de la frontière de l'Ouganda dans le sud-ouest africain, et de la cession de la Walfish-Bay, en échange de la pointe de Caprivi. Mais il ne s'agit là que de points secondaires. La grosse affaire qui préoccupe et qui passionne les Allemands, ce sont les colonies portugaises. Et l'on comprend, dans ces conditions, que les Anglais se soient montrés si peu empressés d'aller plus loin, d'autant que l'opinion, de l'autre côté du détroit, n'aurait pas accepté de céder quelque chose de définitif, en échange d'un arrangement provisoire : et quelles garanties lui aurait-on données que d'ici quelques années le gouvernement allemand n'exigerait pas un nouveau pourboire? (1) Voir le Portugal et ses colonies, p. 70. (2) Déclaration au Temps (18 mars). A Berlin, on ne se tient pas cependant pour battu, et, tandis qu'on étudie, paraît-il, de nouvelles « combinaisons >> coloniales dont le Portugal doit faire tous les frais et sur lesquelles la mission du baron Marshall de Bieberstein jettera vraisembablement quelque lumière, les manœuvres des flibustiers contribuent à aggraver la situation déjà si critique de ce malheureux petit pays. Vers la fin d'avril, le consul portugais à Pontevedra, dans la province espagnole de Galice, saisissait cent caisses de « Mauser » et dix-huit caisses de cartouches, qui venaient d'y être débarquées par un navire allemand. Et, il y a quelques semaines, la police belge mettait la main, au môle de Zeebrugge, sur trois fourgons chargés d'armes et de munitions, destinées aux royalistes portugais, et qui arrivaient, par la voie d'Anvers,... directement de Berlin! Le cabinet de Londres n'ignore pas, d'autre part, que la question du partage des territoires africains est seulement ajournée, et, en attendant, il use de son influence prépondérante à Lisbonne pour mettre le plus d'atouts dans son jeu, en vue de cette hypothèse. C'est ainsi que le Portugal vient, d'accord avec la Grande-Bretagne, de décider l'installation, dans un but stratégique, à Madère, aux Açores et au Cap Vert, de stations radiotélégraphiques du système Marconi, qui est celui existant à bord des navires de guerre anglais. C'est ainsi également que les Anglais s'efforcent d'obtenir de nouvelles exploitations agricoles à Sao-Thomé et de nouvelles concessions de chemins de fer dans le Mozambique. Quant à la France, si le partage des colonies portugaises venait à se réaliser, elle ne devrait, certes, pas être prise au dépourvu. On a déjà fait remarquer que deux de ces colonies, celle du Cabinda, au sud du Gabon, et la Guinée portugaise, d'autre part, sont enclavées dans notre empire africain. Le gouvernement français devrait donc obtenir, le cas échéant, que ces deux enclaves fussent comprises dans notre sphère d'influence économique. |