doit être exécuté. Ces deux dernières formes d'intervention, à la différence de la première, se justifient par des considérations très sérieuses. Nous laisserons de côté, dans cette étude, tout ce qui concerne les travaux publics (1), nous limitant à l'examen de la question au point de vue de l'industrie privée, sous quelque forme qu'elle s'exerce (usine ou manufacture, petit atelier, industrie à domicile ou travail en chambre) (2). § 1er. LE PRINCIPE DU MINIMUM LÉGAL. A LA TARIFICATION. OBSTACLES L'intervention de l'Etat dans la fixation des salaires ou des prix n'est certes pas une nouveauté. Pendant de longs siècles, l'Etat s'est attribué le droit et le pouvoir de réglementer les salaires, mais dans l'intérêt des patrons. M. Levasseur, dans son Histoire des classes ouvrières avant 1789, nous rapporte que Dioclétien fixa un maximum de salaires, et ce, à peine de mort! Malgré la barbarie exorbitante de la peine, la loi ne fut pas exécutée; les ouvriers obtinrent des salaires (1) V. notre Traité, nos 949 et s. (2) Bibliographie. La question du minimum de salaire a suscité, dans ces dernières années, un très grand nombre de travaux en France et à l'étranger. La majeure partie de ces études est citée en note dans notre Traité, édit. de 1912 (p. 777, note 1). Aussi, nous bornerons-nous à mentionner ici les travaux récents les plus importants: Bouge, Les conditions du travail et le collectivisme (Rev. pol. et parl., août et sept. 1896); Deschanel, Lettre sur l'article de M. Bouge (ibid., oct. 1896); Bauer, Vers le minimum de salaire (Quest. pratiques de lég. ouvr., 1909, p. 137 à 181; Jay, Protection légale des travailleurs, 2o éd. 1910, p. 291: Boyaval, La lutte contre le sweating system; le minimum légal de salaire, l'exemple de l'Australie et de l'Angleterre (préf. de M. de Mun, et bibliographie détaillée), 1912; Broda, La fixation légale des salaires, expériences de l'Angleterre, de l'Australie et du Canada, 1912; Mercier, Le minimum de salaire,th. 1912. V. aussi Sagot, Salaires minima en Australie (Mouv. socialiste, juin 1909); Bochrenger, Die Lohnämter en Victoria, Leipzig, 1911. Cf., sur les lois anglaises Pic, Les audaces de la démocratie sociale anglaise. (Quest. pratiques, 1909, 345); Holcombe, The british minimum wages act of 1909 (Quarterl. J. of Economy, mai 1910; Corbett, La loi anglaise sur les conseils d'industrie (Doc. du Progrès, avril 1910); de Seilhac, Revue des questions ouvrières (Rev. polit. et parlem., juin 1912). plus élevés, et les successeurs de Dioclétien durent rapporter la loi. Mêmes pratiques au moyen âge. En France, en Angleterre, en Allemagne, en Espagne, les lois ou les règlements locaux fixaient le taux des salaires (1). Il ne paraît pas qu'ils aient été beaucoup mieux observés. Même échec, en 1793, pour la tarification du prix des denrées et objets de consommation courante, édictée par la Convention. - Aujourd'hui, nul ne s'aviserait plus de demander la fixation d'un taux maximum dans l'intérêt des patrons; l'on ne réclame plus guère non plus, sauf pour le pain et la viande, le retour aux lois du maximum; mais l'on demande à l'Etat ou plus généralement aux pouvoirs publics d'empêcher la dépression des salaires par la fixation d'un taux minimum, au-dessous duquel le salaire ne pourrait jamais descendre, les parties restant libres de fixer un taux contractuel supérieur. Les obstacles à la tarification légale. Nous craignons que les partisans de cette tarification légale ne s'exagèrent singulièrement la toute-puissance du législateur. Nous n'insisterons pas, comme le font certains auteurs, sur le point de vue, théorique et abstrait, du droit de l'Etat. N'ayant point érigé le principe de la non-intervention en dogme intangible, nous ne lui contesterions pas le droit d'intervenir dans le contrat de salaire pour maintenir l'égalité, rompue au détriment du travail sous le régime de la libre concurrence, si nous n'estimions, d'une part, que cette intervention serait plus nuisible qu'utile, et, d'autre part, que les travailleurs ont, dans le développement organique du mouvement syndical, un remède beaucoup plus efficace à la dépression des salaires. Le grand obstacle à la tarification légale est son défaut de (1) Sur les règlements édictés au XVI° siècle, en France, par le roi Jean, en Angleterre, par Edouard III, cons. Levasseur, op. cit., t. Ier, p. 398 ; Henri Hauser, Ouvriers du temps passé. Dès 1562, les compositeurs lyonnais revendiquaient l'établissement d'un tarif de salaire « fixé par un nombre égal et pareil des maîtres et compagnons plus anciens, qui savent et connaissent le labeur ». — Sur les lois du maximum en 1793, v. Bouge, op. cit. (Rev. polit. et parl., sept. 1896, p. 539 et s.) Cf. notre Traité, no 280. souplesse, d'adaptation facile aux conditions essentiellement mobiles et fluctuantes du milieu commercial ou industriel. Nous admettons volontiers que le travail n'est pas une marchandise ordinaire, et que le souci de la dignité humaine impose au législateur des devoirs spéciaux au regard du locateur ou vendeur de travail. Mais il n'en reste pas moins que le taux du salaire est éminemment variable suivant la nature du travail, l'état du marché, la cherté des matières premières, l'importance plus ou moins grande des commandes intérieures ou de l'étranger; le salaire varie également dans la même profession, de province à province et de ville à ville; en un mot, il est essentiellement mobile, de même que les profits, sur lesquels il se règle plus ou moins, et dont il suit dans une certaine mesure toutes les alternatives de hausse ou de baisse (1). Cette variabilité du taux normal du salaire rend extrêmement difficile toute tarification rationnelle; et l'on peut affirmer que presque toujours le tarif légal serait supérieur au faux qui résulterait de la libre convention des parties, ou inférieur à ce taux. Si le minimum légal est inférieur au taux courant, la tarification est superflue; si, au contraire, le minimum légal se trouve être supérieur au taux normal, l'application de la loi aboutirait, si elle était possible, à une ruine irrémédiable du patron. Dire, en effet, que le minimum légal est supérieur au taux normal, c'est dire que, le salaire légal une fois prélevé, l'industriel sera en perte ou ne retirera de l'exploitation qu'un produit net insignifiant, insuffisant pour faire face aux risques de l'entreprise. Si la loi oblige les entrepreneurs à travailler ainsi à perte, elle les ruinera, et la ruine de l'entreprise réduira les ouvriers au chômage et à la misère. Si l'autorité, après avoir dûment constaté l'impossibilité d'appliquer le tarif sans ruiner le patron, ferme les yeux et ne tient pas la main à l'exécution de la loi, celle-ci tombera aussitôt dans un discrédit mérité, et les ouvriers ne manqueront pas de (1) V. les graphiques joints à l'étude approfondie de M. H. Denis, sur La dépression économique et l'histoire des prix, 1 vol. avec diagrammes, 1895. protester vivement contre la trahison ou l'impuissance de l'Etat. Un autre écueil de la tarification légale, c'est la surenchère. Vainement les partisans du minimum imposé allèguent-ils que leur objectif est bien plutôt d'empêcher l'avilissement des salaires que d'en provoquer artificiellement la hausse; leurs affirmations sont trop souvent démenties par les faits, et le parti socialiste ne dissimule pas ses intentions de surélever artificiellement le salaire, en attendant la suppression du salariat (1). Et, d'ailleurs, cette tendance est une conséquence fatale du principe même du salaire familial. D'une part, en effet, la somme qui constituerait un salaire élevé pour un célibataire est tout au plus suffisante pour faire vivre un ouvrier marié et père de famille. D'autre part, il ne saurait être question d'instituer un salaire progressif, variant suivant les charges de famille, attendu qu'une protection aussi maladroite irait diamétralement à l'encontre des intérêts respectables que l'on entend sauvegarder; préoccupés du prix de revient, les patrons préféreraient forcément les célibataires aux ouvriers mariés, et les ouvrers mariés sans enfants aux ouvriers chargés de famille ! De toute nécessité, le tarif doit donc être uniforme, et assez élevé pour faire face aux charges moyennes d'une famille ouvrière. L'on a cherché, il est vrai, dans la plupart des projets déposés, à contrebalancer cette tendance à la hausse par un appel aux intéressés eux-mêmes, qui, après discussion contradictoire, proposeraient un prix courant, ou un minimum, (1) Les besoins impérieux d'un ouvrier célibataire à Paris, d'après M. Cernesson, rapporteur au cons. municip. de Paris, en 1886, sur la question des séries de prix (chiffres cités par Bender, op. cit., p. 148), représenteraient une dépense minima de 5 francs par jour. En tenant compte d'une moyenne de 110 jours de chômage, ce célibataire devrait gagner au moins 9 francs par jour pendant les 225 jours de travail. Et encore convient-il de remarquer que dans ce chiffre (dont on pourrait, il est vrai, sans inconvénient, retrancher quelques menus articles), ne sont compris ni les frais de logement et vêtement, ni les dépenses récréatives, auxquelles les travailleurs désirent, très justement, pouvoir affecter une quote-part de leur salaire. L'on arriverait ainsi aisément, en 1912, à un minimum de 12 francs pour Paris, surtout en présence de la cherté des vivres et de la hausse des loyers (interpell. Aubriot, Ch., s. du 23 févr. 1912). qu'il appartiendrait simplement aux pouvoirs publics de sanctionner et de contrôler (V. supra, le résumé du referendum Bodeux). Présentée sous cet aspect, la réforme semble plus acceptable; et cependant, même avec cette atténuation, nous ne saurions nous y rallier. Pour la combattre, il nous suffira, croyons-nous, de signaler, d'après des documents récents et non suspects, les inconvénients très apparents déjà du régime australasien, précisément basé sur cette coopération des organisations syndicales, patronales et ouvrières, et des pouvoirs publics, à la fixation du tarif des salaires. § 2. LES LOIS ÉTRANGÈRES. A. Le salaire minimum, en Australie et Nouvelle-Zélande. C'est en Australie, dans l'Etat de Victoria, qu'une loi de 1896, amendée les 30 oct. 1903, 6 oct. 1905, 23 déc. 1907 et 2 mars 1909 (Bull. Office internat. du travail, 1909, 320), a introduit le régime du salaire légal minimum. Bientôt après, le régime était étendu à l'Australie du Sud (L. de 1900, amendée le 23 déc. 1908), puis à la Nouvelle-Galles du Sud (24 avr. 1908), et au Queensland (L. 15 avr. 1908). En Nouvelle-Zélande, la loi ne fixe pas directement, sauf pour les jeunes ouvriers, qui tous, doivent recevoir un salaire minimum (Loi 21 oct. 1899, amendée le 8 nov. 1901) le taux des salaires ; mais la loi de 1894, amendée les 8 nov. 1904, 10 oct. 1908 (ibid., 1908, 475), sur l'arbitrage obligatoire (1), aboutit finalement à un résultat identique, puisqu'elle confère aux juges de la Cour arbitrale, dont les parties sont obligées d'accepter la juridiction, le droit de fixer pour l'avenir, en cas de contestation, le taux des salaires ainsi que les autres conditions du travail. Cf. lois sur l'arbitrage des Etats du Commonwealth australien, autres que Victoria et l'Australie du Sud. V. notamment L. 24 avril 1908, Bull. Off. intern., 1908, 328 (1) Sur cette loi, sur les diverses lois australiennes, instituant l'arbitrage obligatoire et sur les projets qui peuvent en être rapprochés, notamment sur le projet Millerand. V. notre Traité,, 4o éd., no 334 et s., 1325 et s. |