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l'héroïsme et à l'entraînement de leur marine. Ils ont essayé d'aller torpiller les cuirassés ottomans, sous les canons des forts qui barrent le détroit. Ils s'en sont tirés sans trop de mal, mais ils n'ont rien pu faire aux cuirassés turcs, de sorte que cette expédition aventureuse n'a pas produit le moindre résultat.

Les chances en faveur de la conclusion de la paix demeureraient donc ce mois-ci aussi faibles qu'elles étaient le mois dernier. Seulement la situation intérieure de la Turquie, qui était déjà bien loin d'être bonne, vient de s'aggraver considérablement. Pour conjurer le péril, qui est des plus inquiétants, les Turcs ont fait appel à tout ce qu'ils ont de meilleur, de plus expérimenté et d'illustre, en fait d'hommes d'Etat. En remplacement du ministère Saïd Pacha démissionnaire, ils sont parvenus à constituer un ministère Mouktar pacha, qu'on peut à juste titre appeler un grand ministère. Mais avec le changement de cabinet, la crise est bien loin d'être conjurée. A moins d'être affligé d'un extraordinaire optimisme, comment ne pas voir et ne pas signaler les difficultés, les contradictions et les désordres au milieu desquels se débat la Turquie ?

Le régime constitutionnel, tel qu'il s'était tant bien que mal, organisé, après la Révolution, était une façade, rien de plus. Sous l'apparence d'un sysème parlementaire, le pays se trouvait soumis, en fait, à une dictature militaire. C'est l'armée, comman dée par un homme énergique et entreprenant. Mahmoud Chevket Pacha, qui tenait tout. Un comité occulte ayant en son pouvoir une armée docile aux ordres d'un seul chef, telle était l'ossature de ce système. Or, ce chef, qui avait donné la mesure de son énergie, vient d'être renversé, le comité a perdu de son autorité, et est obligé de se démettre; l'armée apparaît divisée. tiraillée en des directions opposées; les ordres reçus d'en haut ne sont plus obéis. Un groupe important d'officiers en voulaient mortellement à Mahmoud Chevket, le ministre de la Guerre et aux membres les plus influents du comité. Ce sont leurs attaques et leurs menaces qui ont précipité la crise et obligé leurs adversaires à démissionner.

Pour le moment, ils se tiennent tranquilles et n'exigent pas davantage, ayant obtenu cette première et importante satisfaction. Mais qui prouve que leurs exigences s'arrêteront là, ou que leurs adversaires vaincus cette fois, n'essaieront pas de prendre leur revanche, au risque de provoquer une guerre civile ? L'équilibre obtenu ainsi à grand peine apparaît donc comme singulièrement instable.

Cette affaire a commencé exactement comme la Révolution d'il

y a quatre ans qui détruisit l'Ancien Régime, par une mutinerie militaire en Macédoine, la révolte d'un bataillon qui a gagné la montagne, un grave soulèvement en Albanie. Mahmoud Chevket a voulu tout de suite réprimer ce mouvement par la force. Mais l'instrument de répression n'obéissait plus. Non seulement en Macédoine, mais en d'autres points de l'Empire, l'armée a marqué, de la façon la plus claire, qu'elle faisait cause commune avec les révoltés, qu'elle était corps et âme avec eux.

Le ministre de la guerre, directement visé, n'avait plus qu'une chose à faire donner sa démission afin d'apaiser par là les révoltés. Les raisons invoquées par lui pour expliquer sa retraite étaient des plus paradoxales: « ayant fait voter dernièrement, expliquait-il, une loi interdisant aux officiers de s'occuper de politique, il jugeait plus expédient et plus sage, de laisser, à un autre le soin d'appliquer cette loi ».

L'argument ne manque pas de saveur. Comme si, depuis quatre ans, l'armée, en Turquie, ne s'est pas toujours occupée de politique, comme si elle n'a pas été constamment mêlée aux luttes électorales et à la bataille des partis. Seulement, jusqu'à présent. elle soutenait, dans sa grande majorité, la politique de Mahmoud Chevket et du comité. Maintenant elle leur retire son appui.

Les raisons de ce changement, les causes de cette désaffection, sont assez malaisées à déterminer. Il y a la colère, assez explicable chez un certain nombre d'officiers, contre les hommes au pouvoir qu'ils accusent d'avoir laissé la Tripolitaine sans défense, d'avoir ainsi préparé au pays les déboires et les humiliations de la guerre actuelle. Il y a les inévitables froissements et les rancunes provoquées par un gouvernement à poigne, par une dictature qui ne connut jamais aucun ménagement, les sentiments de jalousie et d'envie excités chez quelques-uns qui désiraient arriver au pouvoir eux aussi. Quand une armée est livrée à la politique, comme c'était le cas pour l'armée turque, comment échapperait-elle aux dissensions et aux luttes qui sont, dans tous les pays, le complément inévitable de la politique?

Mahmoud Chevket gouvernait son département de la guerre en autocrate qui ne rend de comptes à personne; il devait faire sentir très durement son autorité à tous. Rien d'étonnant que les colères se soient amassées contre lui.

A peine avait-il démissionné qu'on a connu toute l'étendue, toute la gravité de la crise qui s'ouvrait. Il a été impossible de le remplacer. Mahmoud Mouktar pacha, fils du Ghazi et un des plus terribles anti-Français qui soient parmi les Jeunes-Turcs, avait d'abord accepté le ministère de la Guerre. Au dernier mo

ment, ce replâtrage a échoué et le cabinet tout entier a dû se retirer, par suite des discussions qui se produisaient dans son sein.

A qui allait-on faire appel? Le Sultan a presenté Tewfik pacha, ambassadeur à Londres. Celui-ci n'acceptait, semble-t-il qu'à la condition qu'on lui accorderait la dissolution immédiate de la Chambre, trop inféodée au Comité. Le sultan a reculé devant une mesure aussi radicale.

Il s'est alors adressé à l'illustre vétéran de l'arinee turque, au chef chargé de gloire et d'ans qui a reçu le surnom du Ghazi, le Victorieux, Ahmed Mouktar pacha. Ce héros de la guerre russoturque, a réussi à grouper autour de lui les hommes les plus marquants de l'Ancien Régime, Kiamil pacha, l'homme de l'Angleterre, détesté par les membres du Comité Hilmi pacha, ancien grand vizir, ancien inspecteur général des réformes en Macédoine, Nazim pacha qui reçoit le portefeuille de la guerre, Noradounghian, un Arménien qui a déjà fait partie d'un ministère jeune-turc, Mahmoud Mouktar pacha, fils du Grand Vizir. On avait compté sur le concours de Ferid pacha, qui est Albanais et, à ce titre, capable d'exercer une heureuse influence sur ses compatriotes révoltés. Mais il a refusé d'entrer dans la combinaison.

Le trait essentiel de ce ministère et aussi son principal mérite, est de ressusciter un certain nombre d'hommes d'Etat que les Jeunes-Turcs du Comité s'étaient un peu trop hâtés d'enterrer.

De quelque côté qu'on l'examine, la situation apparaît comme singulièrement grave: il y a la pénurie extrême du Trésor, les grandes difficultés financières que l'on ne résout que par des expédients au jour le jour; il y a le soulèvement albanais, beaucoup plus sérieux, beaucoup plus inquiétant que tous les soulèvements précédents; il y a enfin la guerre italo-turque et toutes les préoccupantes questions qu'elle pose, celle des îles de l'Archipel, par exemple, questions qu'il faudra bien un jour ou l'autre liquider.

Le problème marocain. Deux questions méritent actuellement de préoccuper le gouvernement et l'opinion, en ce qui con cerne le Maroc 1° celle de l'abdication probable et même prochaine du sultan Mouley Hafid et son remplacement; 2° celle des renforts nécessaires pour assurer, dans les conditions les meilleures, la pacification du pays.

Le général Lyautey vient de quitter Fez, pour se rendre à Ra

ne

bat, auprès du Sultan, plus résolu que jamais, semble-t-il, à se démettre du pouvoir. On pouvait croire que soustrait aux facheuses influences de son entourage à Fez, sa nervosité s'apaiserait, qu'il renoncerait à des projets d'abdication. Mais il n'en est rien, semble-t-il. Mouley Hafid ne veut plus être sultan et nous saurions le condamner éternellement à jouer le rôle du Sultan malgré lui. Puisqu'il est si désireux de s'en aller, qu'il s'en aille. Notre gouvernement doit seulement veiller à ce qu'il ne demeure pas au Maroc, à Tanger pas plus qu'ailleurs. Sa simple présence faciliterait toutes sortes de menées et d'intrigues auxquels nous ne devons ni ne pouvons nous prêter.

Quant au choix de son successeur, divers noms ont été déjà mis en avant Abd-El-Aziz, son frère détrôné, un autre de ses frères, son jeune fils. Il nous semble que le retour d'Abd-el-Aziz présenterait de multiples inconvénients. Abd-El-Aziz a exercé le pouvoir absolu. Comment, même après l'expérience de ces dernières années et les leçons de l'adversité, s'accommoderait-il du système de protectorat et de la situation toute nouvelle? A cette situation nouvelle, il faut des hommes nouveaux. Mieux vaudrait choisir un des tout jeunes fils du sultan actuel, assisté d'un régent désigné par nous.

La tranquillité paraît à peu près rétablie dans la région immédiate de Fez. Mais c'est une tranquillité instable. Dans la région de Marrakech, au contraire, la situation est très troublée le général Lyautey, n'ayant pas le désir ou les moyens de faire en ce moment l'expédition de Marrakech, a fort sagement décidé de faire évacuer cette ville par tous les Européens. L'occupation se fera un peu plus tard.

Pour cette occupation, pour celle de Taza qu'on ne saurait indéfiniment différer, pour la pacification complète des régions tenues par nous, il faudra évidemment de nouveaux renforts. C'est au Résident général qu'il appartient d'en fixer le chiffre. Nous pouvons d'ailleurs faire ces sacrifices, sans compromettre notre défense nationale. Pouvant le faire, nous avons tout intérêt à nous y décider le plus tôt possible.

RAYMOND RECOULY.

REVUE DES QUESTIONS POLITIQUES CONTEMPORAINES

I.

REVUE DES QUESTIONS DE TRANSPORTS

Par C. COLSON

Les chemins de fer aux Etats-Unis. Nous n'avons pas entretenu depuis longtemps les lecteurs de la Revue de la situation des chemins de fer aux Etats-Unis. Il n'est pas de pays cependant où leur rôle soit plus considérable et où les questions qui les concernent soient plus agitées, se présentent sous des aspects plus curieux, ni passionnent davantage l'opinion.

L'essor des chemins de fer aux Etats-Unis est peut-être l'œuvre industrielle la plus grandiose et la plus féconde que présente l'histoire de l'humanité. La surface de l'Union (non compris l'Alaska et les colonies), atteint 7.800 mille kilomètres carrés, approchant de celle de l'Europe qui est de 10.200 mille kilomètres carrés environ; mais la population ne dépassait pas 92 millions d'habitants en 1910, au lieu de 453 millions, et elle n'atteignait, il y a 35 ans, que la moitié de son chiffre actuel. Cependant le réseau des chemins de fer s'étendait à la fin de 1910 sur 390.000 kilomètres, alors qu'il n'était pour l'Europe entière que de 350.000 environ. On peut dire que la colonisation a suivi le rail, a pénétré avec lui dans cet immense continent où aucune voie de communication ne préexistait, sauf quelques grands fleuves; la navigation intérieure, dont on cherchait à étendre le champ par de nombreuses constructions de canaux avant l'essor des chemins de fer, a été à peu près complètement délaissée (sauf sur les grands lacs, où elle a un caractère quasi maritime, et sur quelques voies exceptionnellement situées), dès qu'un mode de transport plus perfectionné a été connu. C'est le chemin de fer qui a permis de mettre en valeur avec une rapidité sans exemple cet immense continent, d'y développer les cultures dont les produits, expédiés jusque dans le vieux monde à des prix prodigieusement abaissés, y ont provoqué, il y a trente ans, la baisse de prix constituant la crise agricole, puis d'y répandre une population qui

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