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ré, dans des conditions raisonnables, l'encadrement de ces formations.

Mais il ne faudrait pas que cet encadrement soit réalisé, comme maintenant, au détriment de la valeur et de la cohésion des formations actives.

Il semble à cet égard que depuis vingt-cinq ans, on a complètement perdu de vue ce qu'exige le commandement d'un régiment mobilisé. Alors qu'on en faisait une très grosse unité, double de ce qu'elle avait été jusqu'en 1870, on lui enlevait son lieutenant-colonel, ses adjudants-majors, ses adjudants de bataillon, tous organes que le législateur de 1875 avait sagement jugés nécessaires à son bon fonctionnement.

Nous ne saurions mieux faire que de citer ici ce que M. Treignier dit à ce sujet dans son rapport :

De multiples raisons imposent dans un régiment d'infanterie mobilisé la présence d'un lieutenant-colonel. L'effectif de ce régiment va constamment en croissant; il atteint aujourd'hui en chiffres ronds 3.200 hommes, 190 chevaux, 60 voitures. C'est là l'effectif des divisions de Napoléon en 1815, de ses brigades dans toutes ses campagnes. C'est presque le double de nos régiments de 1870. En supprimant le lieutenant-colonel nous laissons donc au colonel seul et, s'il vient à disparaître, à un chef de bataillon, tout le poids d'un commandement pour lequel on jugeait jadis nécessaires un général de brigade, 2 colonels et 2 lieutenants-colonels. C'est aller d'autant plus loin que :

1° La constitution d'un bataillon à 4 compagnies de 250 hommes, au lieu de 8, puis de 6 compagnies à 100 hommes, a déjà singulièrement appauvri l'encadrement général de l'infanterie alors que dans les autres armes cet encadrement a été renforcé.

« 2o Le régiment d'infanterie se bat sur un front et sur une profondeur très supérieurs à ceux d'autrefois, supérieurs même aux fronts et aux profondeurs des divisions napoléonien

nes.

« 3° Au lieu d'être uniquement composé d'infanterie, le régiment comprend maintenant, on peut le dire, toutes les armes (éclaireurs à cheval, mitrailleurs, pionniers prévus par le projet).

«En réalité la suppression du lieutenant-colonel dans les régiments actifs mobilisés n'a jamais été sérieusement étudiée ni justifiée. »

Eh oui! encore une fois, on a eu recours à un expédient. On a pris au colonel son lieutenant-colonel parce qu'on ne trouvait pas d'autre chef à donner au régiment de réserve, en oubliant la nécessité impérieuse de cet officier pour veiller aux détails de la mobilisation, pour décharger le colonel de la surveillance de l'arrière, dans les marches et sur le champ de bataille, pour le remplacer enfin s'il vient à disparaître.

Dans ces conditions, on a laissé au colonel une tâche audessus de ses forces.

Le projet de loi réagit heureusement contre ces errements dangereux. Il laisse au régiment actif, avec son lieutenantcolonel, avec ses adjudants-majors, les éléments de commandement indispensables, tout en donnant au régiment de réserve ceux qui lui sont nécessaires. Nous aurons ainsi deux corps robustes, vigoureux, bien encadrés, qu'on pourra quand on voudra, aligner côte à côte.

Rien ne saurait prévaloir contre cette nécessité d'encadrement.

Il faut l'admettre avec toutes ses conséquences et passer outre aux inconvénients qui peuvent en résulter.

Ces inconvénients sont-ils du reste aussi réels qu'on veut bien le dire? Si l'on en croit les adversaires du projet, ils portent surtout sur la diminution de l'instruction des officiers et de la troupe qui peut résulter de l'adoption de ce projet. Voici le résumé des objections formulées à cet égard :

Ces officiers de complément, lieutenants-colonels, chefs de bataillon, capitaines, indispensables, on ne saurait trop le répéter, à l'encadrement de notre armée de campagne, comment pourra-t-on les occuper, les entraîner et les instruire en temps de paix ? D'autre part, l'instruction de la troupe n'aura-t-elle pas à souffrir elle-même d'un effectif trop faible des unités telles que la compagnie ou le bataillon?

En ce qui concerne les officiers, ces craintes ne sont pas

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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fondées. Un officier, déjà mûri par l'expérience, ne risque pas de se rouiller physiquement et intellectuellement parce qu'on l'enlève quelque temps à la vie intense, presque de surmenage et de fièvre, qu'est aujourd'hui l'existence régimentaire.

Nous pensons même que ce repos relatif est nécessaire à certains moments de la carrière des officiers et qu'il est bon de laisser à ceux-ci quelques périodes de détente, pendant lesquelles ils pourront se recueillir, faire l'inventaire de leurs connaissances, s'instruire personnellement à tête reposée sans avoir la préoccupation immédiate d'instruire les autres, et enfin aller chercher dans les autres armes les enseignements que tout officier supérieur doit posséder aujourd'hui.

Ce serait, du reste, une erreur de croire qu'ils resteront inoccupés; les manœuvres de cadres, les exercices sur la carte existent pour eux comme pour tous; on peut leur donner le commandement provisoire des unités dont les chefs sont absents pour une certaine durée ; la direction des parties de l'enseignement militaire qui ne se donnent pas dans la compagnie leur revient de droit. Enfin les stages d'armes, qui devraient être obligatoires, viendront prélever dix-huit mois environ de cette période soi-disant inoccupée.

Malgré les efforts du projet pour débarrasser les corps de troupe de leurs non valeurs en créant un état-major particulier de l'infanterie, il restera encore bien des missions à confier aux officiers du cadre complémentaire, missions qu'à défaut de ceux-ci, il faudrait donner aux officiers du cadre normal, au grand détriment de leur instruction et de celle de la troupe.

Si l'on veut bien se rendre compte des réalités, on constatera qu'avec deux lieutenants-colonels par régiment, on arrivera tout juste à en avoir un auprès de chaque colonel. Les autres, ou bien seront détachés avec une portion de corps, ou rempliront les fonctions de major de garnison, qui ne sont des sinécures que quand on ne les prend pas au sérieux. Beaucoup seront éloignés du corps pour des stages d'armes ou pour le centre des hautes études. Les conseils de révision qu'il y aurait lieu de rendre à la fois moins solennels et moins rapides, le développement de la préparation militaire qu'il faut diriger

et surveiller, et les trop nombreuses commissions qui ont tout de même leur raison d'être, fourniront encore des aliments à leur activité.

On peut être sans inquiétude sur le travail à fournir par ces officiers qui, assistant comme les autres aux manœuvres et aux évolutions, recevant leurs réservistes au moment des périodes, auront peut-être, au cours de l'année, moins enseigné, mais tout autant appris que leurs camarades.

Reste l'instruction de la troupe. C'est là le grand cheval de bataille des adversaires du projet. Ils émettent avec assurance cet axiome que l'unité d'instruction est la compagnie et que, pour faire de l'instruction, il faut une compagnie de 160 hommes. C'est là assurément un bel idéal, malheureusement il a toujours été irréalisable et il le devient chaque jour davantage. Et puis, la compagnie de 160 hommes n'est pas plus la compagnie de guerre que celle de 125 ou de 110. Quoi que l'on fasse, 160 hommes à l'effectif ne représenteront jamais plus de 140 hommes à l'exercice, et si l'on retranche de ce nombre, les soldats qui tout en allant sur le terrain ont besoin d'une instruction spéciale (élèves-gradés, mitrailleurs, pionniers, tambours et clairons)) nous sommes toujours acculés à la nécessité de jumeler deux compagnies, si nous voulons réaliser l'effectif de guerre.

Heureusement, ce qui importe, ce n'est pas que l'instruction soit donnée par compagnie, par bataillon ou par régiment, c'est qu'elle soit donnée à tous ceux qui doivent la recevoir et ceux-ci constituent des catégories trop nombreuses pourqu'elles puissent toutes être instruites dans la compagnie. Il faut songer à ce que sont ces catégories :

Recrues;

Engagés volontaires arrivant en cours d'année ;

Elèves-caporaux à nommer à quatre mois (brevet d'apti

tude);

Elèves-caporaux à nommer à cinq mois (futurs sergents); Candidats officiers de réserve ;

Elèves-caporaux, à nommer à la libération

Anciens soldats;

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Caporaux ;
Sous-officiers;

Réservistes;

Comment veut-on sérieusement qu'un capitaine, même avec une compagnie forte, puisse se tirer d'une tâche aussi compliquée avec des cadres de sergents non rengagés et de caporaux, qui bien loin d'être des instructeurs, sont eux-mêmes pendant deux ans à l'instruction. Et conçoit-on quelque chose de plus contraire à la logique que d'imposer à douze officiers la besogne qui serait infiniment mieux assurée par un seul, si on la répartissait suivant les besoins et suivant les aptitudes de chacun ?

Ce n'est pas là de la division, mais de la multiplication du travail, et du travail inutile.

Faisons donc, s'il le faut, notre deuil de l'instruction par compagnie en ce qui concerne d'autres éléments que les soldats du rang. On comprend qu'il en coûte à nos capitaines, jeunes, plein d'ardeur, ne demandant qu'à semer et à récolter, mais que faire devant la réalité ? Il est possible à un commandant d'escadron d'instruire son unité de guerre parce que celle-ci se mobilise sans réservistes, presque telle qu'elle est en temps de paix; la situation n'est pas la même pour son camarade de l'infanterie qui ne doit pas se complaire uniquement dans la contemplation de son unité embryonnaire, mais doit toujours penser à celle, autrement forte et aussi intéressante pour lui, qu'il devra conduire à la bataille.

Ce qu'il faut, avant tout, c'est diminuer les non-valeurs, c'est mener, sur les terrains de manœuvres, le plus grand nombre d'hommes possible, c'est débarrasser les compagnies de tous ces soldats, fictifs si l'on peut dire, qui ne paraissent pas à l'exercice parce qu'ils accomplissent des besognes peut-être indispensables, mais qui pourraient être confiées à la maind'œuvre civile, autre nécessité de nos effectifs réduits.

Le projet de loi a fait encore beaucoup dans ce sens en renvoyant dans une compagnie hors rang fortement constituée tous les employés, ou le plus grand nombre possible des employés prélevés jusqu'ici sur les cadres et les effectifs des com

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