Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

« dans une enceinte fortifiée). Cette disposition aura lieu dans le «< cas même où les dites machinations ou intelligences n'auraient << pas été suivies d'hostilités. »>

Il faut remarquer tout d'abord que, dans le cas du moins où les objets ou documents livrés n'ont qu'une importance secondaire, il y a, si coupable que soit l'intention, disproportion manifeste entre ce fait et l'incrimination de l'article 76. Ne serait-il pas excessif de soutenir par exemple que la livraison du journal de mobilisation de tel régiment stationné loin de la frontière, procure à l'étranger, les moyens de faire la guerre ?

« Pour bien comprendre cette disposition, dit M. Garçon dans son code pénal annoté, il faut se souvenir qu'elle a été insérée dans le code pénal de 1791 pour saisir les menées des émigrés qui excitaient alors les gouvernements étrangers à faire la guerre à la France pour étouffer la révolution » (1).

Le rapprochement de l'article 76 avec les articles 81 et 82 permet au surplus de mesurer nettement la portée du premier de ces articles.

Admettons pour un instant qu'il ait le sens très compréhensif qu'on veut lui attribuer; on devra donc l'appliquer à la livraison faite par un Français à l'étranger de plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades et comment expliquer alors que ce fait, spécialement prévu par les articles 81 et 82, soit puni de peines infiniment moindres, (quand du moins la puissance en cause n'est pas une puissance ennemie), que celles prévues par l'article 76? Comment, si le fait visé par les articles 81 et 82 est juridiquement contenu dans la formule générale de l'article 76, comment et par quelle aberration, le législateur l'aurait-il puni de la détention, on de l'emprisonnement suivant le cas, alors que l'incrimination dans laquelle il serait englobé, avait pour sanction la peine capitale? Pour que le Français auquel sont imputés les actes prévus par la loi de 1886 ou par le projet de loi, tombe sous le coup de l'article 76 du code pénal, il faut (et c'est à l'accusation qu'il appartient d'en faire la preuve) « qu'il ait eu pour but direct et principal, de provoquer la puissance étrangère à déclarer la guerre à la France » (2).

Si le coupable n'a obéi par exemple qu'à une vulgaire pensée de lucre, s'il n'a été poussé au crime que par des besoins d'argent, et si d'ailleurs les documents livrés ne rentrent pas dans la catégorie prévue par l'article 81 du code pénal (3), il n'encourra pas

(1) GARÇON. Code pénal annoté, sur l'article 76, no 11.
(2) GARÇON. Code pénal annoté, sur l'article 76, no 15.

(3) C'est-à-dire les plans de fortifications, arsenaux, ports ou rades.

d'autres peines que celles de la loi de 1886, c'est-à-dire l'emprisonnement et l'amende (1).

Nous arrivons maintenant au deuxième cas, celui du Français qui, dans le but de les livrer à une puissance étrangère, se serait procuré ou aurait tenté de se procurer des documents secrets.

Remarquons que cette intention n'implique pas nécessairement que le coupable ait été préalablement en rapport avec les agents d'une puissance étrangère. Elle pourra être établie, soit par les confidences faites à une tierce personne, soit par des brouillons de lettres, des adresses relevées sur un calepin, etc., soit même par les aveux de l'intéressé. Mais l'un des éléments essentiels qui caractérisent le crime prévu par l'article 76 du code pénal, à savoir les machinations ou les intelligences avec les puissances étrangères ou leurs agents fera défaut (2).

On peut être porté à croire que le fait de s'être procuré des documents, avec intention de les livrer, constitue un commencement d'exécution, une tentative passible des mêmes peines que le crimelui-même. (C. pén. art. 2). Dans le remarquable rapport fait au nom de la commission du Sénat, M. Morellet mettait en garde contre cette erreur (3).

« En cherchant à se procurer des documents dans le but de s'en « servir contre son pays, il (le coupable) se prépare assurément « à devenir un traître; il ne l'est pas encore; il ne le deviendra que « le jour où il aura remis le produit de ses recherches à une puis«sance étrangère ou aux personnes qui agissent dans l'intérêt de « celle-ci. Jusque-là, il conserve la possibilité de faire un retour sur « lui-même et de ne pas glisser jusqu'au bout de la pente crimi« nelle sur laquelle il s'est engagé. La situation est comparable à « celle de l'individu qui, dans un but homicide, cherche à se pro<«< curer l'arme dont il compte faire usage. Dans cette seule recher« che, personne ne verra l'homicide ou la tentative d'homicide; il « n'y a qu'un acle préparatoire. De même ici, il n'y a ni trahison, «ni tentative de trahison; il n'y a qu'un acte préparatoire. »

Dans son traité de droit criminel, M. Vidal dit aussi : « Les actes << préparatoires échappent à toute répression, même dans le cas

Cette énumération est limitative. On ne pourrait donc appliquer les articles 81 et 82 à des plans de mobilisation, par exemple, ou de concentration des forces militaires. (GARÇON, Sur les articles 81 et 82).

(1) Il est même à remarquer que le projet est moins sévère pour le fonctionnaire que ne l'est la loi de 1886. D'après l'article 1er de cette loi, la révocation s'ensuit de plein droit. Le projet en fait, pour le juge, une simple faculté.

(2) GARRAUD. Droit pénal français, t. III, 2e édition, n° 861 a. (3) Sénat, 1896, annexe 192 (insérée en 1897, p. 338).

où la résolution criminelle et le délit projeté sont certains, parce « que ces actes ne prouvent pas d'une manière indubitable, l'irrévocabilité de cette résolution. Il en est autrement lorsque ces actes présentent par eux-mêmes un danger, et la loi en fait alors « des délits spéciaux » (1).

C'est précisément ce délit spécial, ou plutôt ce crime spécial quecréait le projet de 1894, réparant ainsi une grave lacune de notre droit pénal. A défaut des articles 76 et suivants du code pénal, on devra, dans ce cas comme dans l'autre, se contenter des sanctions de la loi de 1886, ou de la loi substituée, c'est-à-dire (art. 3), 6 mois à 4 ans d'emprisonnement, amende de 300 à 3.000 francs.

Il n'est donc pas exact de dire que « tous les cas prévus par la loi de 1886 et le projet déposé rentrent dans le cadre de l'article 76 du code pénal, si le crime est commis par un Français agissant au profit de l'étranger ou à son instigation. >>

Nous croyons avoir surabondamment démontré que le projet de 1894 ne reposait nullement « sur une confusion entre la trahison et l'espionnage ». Ce n'est pas non plus « dans l'exagération des peines à l'égard des étrangers et dans la crainte de représailles de la part des législations étrangères» qu'il faut chercher les raisons de son échec, puisque les peines qu'il prononçait contre les étrangers, étaient notablement atténuées. L'exposé des motifs qui fait l'objet de notre critique se trompe manifestement sur ces deux points.

Ces raisons, il faut les rechercher ailleurs.

Le projet, déposé le 24 décembre 1894, alors que l'émotion causée par un procès retentissant était à son comble, rétablissait, pour les nationaux, la peine de mort supprimée en 1848; la Chambre des députés en renforçait encore la sévérité par l'extension de la compétence des conseils de guerre. Elle déclarait l'urgence et votait sans discussion le projet amendé par sa commission.

Quand la discussion s'ouvrit au Sénat (7 juin 1898), l'émotion était grande encore; mais elle avait changé d'objet.

La crainte qu'une erreur judiciaire eût été commise en 1894 obsédait la conscience de quelques membres du Parlement, angoissés à la pensée que, si la peine capitale avait alors existé, elle eût rendu l'erreur irréparable.

Bien rudes aussi étaient les atteintes qu'avait subies l'autorité des conseils de guerre. Déjà il n'était plus question d'étendre leur

(1) VIDAL. Droit criminel, no 93.

compétence, la commission du Sénat ayant refusé de suivre la Chambre sur ce point; mais fallait-il s'en tenir là ? ne devait-on pas restreindre leurs pouvoirs actuels, ou tout au moins introduire, dans la procédure, des garanties, dans la pénalité, des atténuations qui rendissent cette juridiction moins dangereuse?

Ces appréhensions, peu d'orateurs les portaient à la tribune (1). mais elles étaient visiblement partagées par une fraction importante de l'assemblée et pesaient lourdement sur les délibérations. Aussi personne ne fut-il surpris que, sans opposition, le Sénat revint sur la déclaration d'urgence qu'il avait précédemment votée.

Cependant la ténacité du rapporteur eut raison de toutes les difficultés. La discussion, ouverte le 7 juin, poursuivie le 11 juillet. fut reprise le 19 décembre en deuxième lecture, et le projet de loi voté le 22 du même mois ; mais il ne retourna à la Chambre que pour s'enfouir dans les cartons d'où il ne devait plus sortir. Il n'y avait cependant pas, entre le texte de la Chambre et celui du Sénat, des différences bien profondes et l'accord eût pu aisément s'établir. Mais on était en 1899 : la révision d'abord, puis le procès de Rennes faisaient entrer « l'affaire » dans une nouvelle phase crise aiguë qui détournait le cours des préoccupations: ni le gouvernement ni la Chambre ne paraissent avoir fait d'efforts pour empêcher le projet de loi d'y être submergé. La même cause qui, cinq ans auparavant, avait donné l'éveil, amenait cette fois par la tournure inattendue que les choses avaient prises et par un curieux revirement des esprits, une sorte de lassitude indifférente.

Il faut savoir gré au gouvernement actuel d'avoir voulu tirer de cette léthargie, une question dont la gravité n'est pas douteuse. Mais a-t-il employé pour cela le meilleur moyen ? N'était-il pas préférable de reprendre le texte du Sénat, texte très étudié et qui, au témoignage d'un maître en droit criminel, M. Garraud, « résolvait d'une manière rationnelle » le problème si ardu et si complexe de la trahison et de l'espionnage ? Depuis le vote du Sénat, diverses réformes ont été introduites dans notre législation, l'application des circonstances atténuantes par les conseils de guerre, l'extension à la juridiction militaire des formes protectrices organisées par la loi du 8 décembre 1897 sur l'instruction préalable —, qui, si elles avaient existé au moment de la discussion, auraient levé toutes les objections.

CRETIN,
Contrôleur général.

(1) M. Trarieux, le 7 juin; M. Clamageron, le 20 décembre 1898.

LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU MOIS

La situation en Russie. L'Entrevue de Port-Baltique et l'alliance franco-russe. La crise turque.

Paris, 2 août 1912.

La situation en Russie. Je viens d'employer quelques semaines à faire une délicieuse croisière dans la Baltique à bord de la Maund, le yacht de mon excellent ami James Hyde: Copenhague, l'ile suédoise de Gotland, la Finlande, Saint-Pétersbourg, Stockolm.

Nous avons passé une dizaine de jours, ancrés sur la Néva, au coeur de la capitale russe, en face des quais, non loin du Palais de l'Amirauté, de la cathédrale d'Isaac, de la statue fameuse de Falconet qui représente Pierre le Grand lançant fièrement son cheval vers ces eaux, ces lagunes où son génie veut fonder la plus grande ville de son Empire.

La dernière fois que j'étais venu en Russie, c'est, il y a six ans, en mai, juin et juillet 1906, durant la session de la première Douma. Le pays se trouvait alors dans un état d'incroyable désordre; la violence, l'anarchie étaient partout. Les grèves succédaient aux grèves, quelques-unes d'une étendue, d'une gravité telle qu'on pouvait se demander si la vie économique de la Russie n'allait pas être complètement paralysée; pas un jour ne se passait sans qu'on n'eût à signaler l'assassinat d'un gouverneur, d'un général, d'un préfet de police. Dans les campagnes, en de très nombreux endroits, les paysans croyaient que le moment était enfin venu de prendre, par la force, toute la terre des grands propriétaires : ils brûlaient les granges et pillaient les châteaux. Les provinces baltiques, la Pologne, le Caucase, semblaient être à deux doigts d'une insurrection.

Cette anarchie du pays se réflétait dans la Douma, la première assemblée constitutionnelle de la Russie. Le parti qui la dirigeait, les Cadets (constitutionnels démocrates), étaient manifestement incapables de faire face aux effroyables difficultés du moment. Entre eux et le Gouvernement, aucune confiance. Et le Gouvernement lui-même paraissait indécis, débordé. Engagerait-il une lutte vigoureuse contre les réformateurs et les révolutionnaires? Ou, au contraire, cèderait-il à certaines de leurs revendications,

« AnteriorContinuar »