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avec celles de l'Egypte et de l'Inde. C'était un classement social, comme celui des prêtres, des nobles et des guerriers.

Il y avait des marchands sans doute ; ces intermédiaires sont nécessaires à l'existence de toute société organisée, si rudimentaire qu'en soit l'organisation. Mais les marchands japonais constituaient, bien au-dessous des guerriers ou samurais, loin encore après les cultivateurs et les artisans, la caste la moins honorée. Il en était d'eux, dans leur pays, malgré la similitude de race, de religion et d'existence, un peu comme des marchands juifs dans l'Europe moyenàgeuse. Encore est-il que ces maltraités n'avaient jamais su grouper leurs efforts, tandis que les marchands chinois, d'ailleurs appréciés chez eux, offrent de lointains exemples de congrégations pratiquant le crédit et l'appui mutuels. Honnis, traqués, spoliés, les marchands japonais opposaient la mauvaise foi au mépris, la ruse à la force. C'est par ces déplorables pratiques, en partie du moins, que l'on peut expliquer les traditions d'amoralité, d'insécurité dans les transactions, dont le commerce japonais montre encore trop souvent aujourd'hui de fàcheuses réminiscences.

L'agriculture et l'industrie étaient limitées par le peu de richesse du pays, la difficulté des communications intérieures, et corrélativement par l'absence de besoins.

La sobriété des Japonais était parfaite; elle est toujours remarquable.Du riz, quelques légumes confits dans la sauce pimentée et saumurée dont le noir liquide s'appelle shoyiu, le haricot, le navet, long, cylindrique, énorme, du poisson que la mer côtière prodigue à qui veut en prendre, voilà les bases de la nourriture pour les riches et pour les pauvres. La boisson nationale est le thé, qui a gardé son nom chinois de tcha. La seule boisson fermentée était le saké, sorte d'eau-de-vie de riz, pesant de 13 à 14 degrés d'alcool, et pouvant donner une ivresse assez légère.

La viande était une rareté et le développement du bétail au Japon a commencé il y a quelques années à peine. Les prairies du pays sont impropres à l'élevage du mouton. Un petit nombre de boeufs dans la grande île, des buffles un peu partout, pour le labourage des rizières, des chevaux utilisés comme animaux de selle et de bât, composaient tout le troupeau japonais.

Au riz et au poisson, ajoutons l'appoint de quelques légumes et fruits, des confiseries dont le kombu ou chou de mer, algue marine longue, épaisse et large, fait presque tous les frais, n'omettons pas le poulet bouilli dans l'eau sucrée et nous verrons que Kojin, dieu de la cuisine, ne devait pas avoir de préoccupations

bien considérables. Aussi Kojin est-il resté une divinité sans importance.

S'il fallait peu de choses pour nourrir les Japonais, nulle exigence excessive ne leur était non plus venue dans la recherche des vêtements. Le chanvre, très abondant et cultivé partout, les fibres du mûrier, plus tard le coton, rude et rugueux, introduit au XVIe siècle, fournissaient le nécessaire à l'habillement commun. La paille du riz servait à faire les sandales et les manteaux de pluie. La soie était un luxe, le cuir, une rareté, la laine, une chose ignorée.

Les besoins engendrés par le logement n'étaient point compliqués et trouvaient aisément satisfaction dans les ressources du pays. La construction ordinaire ne comportait que l'usage du bois et les bois du Japon sont variés et fort beaux. Il fallait donner aux maisons une élasticité très grande pour résister aux convulsions sismiques qui font frémir périodiquement le sol. La même nécessité limitait à un étage la hauteur des habitations.

Les lignes de construction de la maison japonaise sont géométriquement simples. On n'y retrouve pas les dispositions tarabiscotées de la maison chinoise. Le rectangle domine partout. Des cloisons à coulisse forment les parois extérieures, tendues de papier translucide en guise de vitres. De semblables cloisons séparent ou réunissent à volonté les chambres de même niveau. On couvrait les toits en chaume ou en bois. Certains conifères se fendent en petites plaquettes qui s'imbriquent comme des tuiles. Les formes curvilignes ne se rencontrent avec les ornements que dans les édifices religieux, de construction rituelle inspirée par le boudhisme, ou bien à un degré moindre par le culte shintoiste. Ce dernier, ainsi que son rival, accuse de multiples influences chinoises.

La pierre était employée quelquefois dans les soubassements des temples, mais presque exclusivement réservée à la construction des châteaux forts, ou shiros, qu'il fallait rendre aussi résistants que possible. Pas de taille de la pierre. Les murs épais s'édifiaient en opus incertum, formant deux parois parallèles dont l'intervalle était rempli par un blocage de pierres sèches.

Les Japonais se passaient fort bien de meubles et font encore de même aujourd'hui pour la plupart. Quelques coffres à vêtements, des boîtes merveilleuses d'ajustage, de petits coffrets, suffisaient à tous les besoins.

La construction navale n'exigeait que du bois. Les jonques étaient de petite taille, assez puissantes pour les relations des iles du Japon entre elles et avec les pays voisins, Chine et Corée.

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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C'est à peine si l'on y perd la côte de vue. Ilôts et rochers jalonnent les routes maritimes.

Le cuivre abondant et facilement exploitable a toujours permis d'exécuter les ustensiles, simples et peu nombreux, que demandent les usages domestiques. D'habiles fondeurs moulaient le bronze en cloches aux sons graves. A cire perdue, ils façonnaient les vases qui retiennent notre admiration. Le fer est rare au Japon. On en trouvait assez cependant pour armer les daïmyos et les samouraïs; son unique emploi était la guerre. Les Japonais furent d'étonnants forgerons d'armures. L'acier des lames est d'une trempe parfaite. Des artistes ciselaient et niellaient le fer des gardes de sabre, aussi finement que des bijoux.

Un peuple ayant si peu de besoins ne pouvait avoir aucune industrie organisée. On n'y rencontrait que des petits métiers. Le travail est encore resté, bien après la Restauration de 1868, le fait d'ouvriers isolés le plus souvent, ou groupés dans un atelier exclusivement familial. Le peu de force motrice nécessaire était donné par les cours d'eau, pas très importants, mais innombrables dans cette terre montagneuse où chaque paysage est sillonné par le ruban d'argent d'un ruisseau. Les moulins à eau ne sont pas extérieurs, mais équilibrés au milieu de la construction qui les abrite. Une des curiosités du pays, et qui va disparaissant, est le pilon, actionné par une auge alternativement remplie et vidée sous le jet d'un filet d'eau, dans un mouvement de bascule. Ces pilons servaient surtout à décortiquer le riz.

Les petits métiers suffisaient à tout. Ils ont fourni au grand peintre Hokusai la matière de plusieurs albums où, saisis sur le vif, se campent tous les gestes, se fixent toutes les attitudes du travail japonais. Le chanvre se rouit au ruisseau, se broie au maillet de bois, se file au rouet horizontal, que les pieds font mouvoir par l'intermédiaire d'une courroie croisée, et ses écheveaux vont aboutir au métier à tisser le plus simple. Ce métier est bien proche de celui que l'on rencontre encore dans quelques coins perdus de la Normandie et de l'Auvergne. Assis à l'extrémité de l'appareil, dans la longueur duquel court la chaîne, le tisserand actionne les lisses d'une pédale et de l'autre, tandis que ses mains font courir la navette de la trame et, d'un claquement répété, ramènent le battant qui serre chacun des fils.

Le coton, bien plus tard venu et peu développé, les fibres du mûrier, matière première de toiles grossières, se travaillent par des procédés aussi primitifs. Les soins plus raffinés étaient réservés à la soie. L'éducation des vers à soie était l'œuvre des fa

milles de paysans, dans les provinces du centre et du nord de la grande île de Hondo. Le tirage des cocons et la torsion des fils se faisaient à la main, sans le secours des tours ou asples que l'Europe a mis en pratique depuis plusieurs siècles. Un dévidoir, supportant un nombre de fuseaux en rapport avec la force que l'on voulait donner aux fils, servait au bobinage de la trame et de l'organsin, mis en mouvement, quand il se pouvait, par le ruisseau voisin. Le métier à tisser était sensiblement le même que celui du chanvre, mais les navettes étant plus nombreuses quand le tissu cessait d'être uni, deux ouvrières au moins les faisaient jouer, se partageant le travail du fond et le tracé du dessin.

Les papiers japonais, ainsi que les chinois, destinés à de multiples usages, étaient de plusieurs sortes. Ce que nous appelons papier de riz, très injustement, est la moelle découpée en tranches minces et parallèles à l'axe d'un arbre de la famille des artocarpus, l'aralia papyrifera. Les papiers les plus répandus au Japon étaient fails d'une pâte de chanvre, et surtout de l'écorce du murier blanc, le Broussonnetia papyrifera, appelé kaji par les Japonais. Les fibres sont hachées, traitées par la chaux et l'eau bouillante, puis dans une lessive de cendres. La pulpe broyée forme ensuite une pâte délayée que l'on met sécher, par surfaces restreintes, sur de fins treillages en bambou. C'est à peu près le mode de traitement du chiffon que nous employons pour obtenir le papier à la cuve.

Une industrie devenue très japonaise, après avoir été empruntée aux potiers chinois et coréens, a été et reste encore la céramique. Le nombre des centres de production, l'abondance des artistes dont les noms ont été pieusement conservés, la variété de leurs tendances, depuis surtout le xvI° siècle, montrent que la fabrication des poteries a toujours fait l'objet de très petites industries locales. Au demeurant, nous touchons ici à une véritable forme d'art et les potiers les plus renommés furent plutôt des artistes protégés par les grands seigneurs que des producteurs d'objets destinés à la vente.

L'état rudimentaire et localisé de l'industrie et du commerce s'est prolongé pendant quelques lustres après la Restauration de 1868. Mais, dès son entrée en relations suivies et amicales avec l'étranger, le peuple japonais a tendu sa volonté et prodigué ses efforts vers ce but faire de même, plus et mieux. Qu'il ait entièrement réussi dans ses ambitieux projets serait une affirmation exagérée, mais, s'il lui reste beaucoup à faire, on ne saurait nier les progrès énormes qu'il a déjà réalisés.

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Depuis cinquante années, le Japonais s'est instruit avec une admirable ardeur. Il doit à l'Europe les premiers rudiments de son enseignement moderne. D'une politesse exquise, curieux et admiratifs, sachant écouter docilement et retenir, les Japonais ont tout visité sur le vieux continent et en Amérique usines, fabriques, manufactures, arsenaux. Ils ont accepté avec force merciements les dessins et les plans dont on leur prodiguait les offres, ont acheté ce dont ils croyaient ne pouvoir se passer, et, de retour dans leur pays, ont appliqué tous leurs efforts à reproduire ce qu'ils avaient vu, à égaler, à dépasser ces barbares, dont ils repoussaient l'approche avec tant d'horreur quelques années plus tôt.

Cette volonté de tout faire par eux-mêmes, cetle doctrine du jara da se, domine le développement économique et commercial du Japon contemporain. Elle est d'ailleurs énergiquement soutenue par le gouvernement japonais. C'est une des formes du loyalisme et du patriotisme.

L'étranger n'est plus aujourd'hui, pour le Japon industriel, qu un collaborateur subi plutôt que toléré. Mais l'extension industrielle de ces dernières années éprouve un temps d'arrêt du fait de l'insuffisance des capitaux. Le Gouvernement ne peut créer et subventionner d'une manière indéfinie. Il n'est d'ailleurs pas prouvé que l'industrie d'état soit au Japon plus productive et rémunératrice que dans les autres pays. Les grandes firmes, qui ont organisé ou soutenu les industries naissantes et concentré le grand commerce, trouvent des limites à leur extension. Le développement ultérieur du Japon, pour être rapide, exigera des ressources qu'il faudra demander à l'emprunt. Or, l'argent ne peut venir que des barbares étrangers. C'est à eux que les Japonais en demanderont pour les battre, ce qui se réalisera fort bien sans doule, car c'est l'histoire de tous les emprunts entre différents peuples.

Les besoins du Japon ne se sont pas accrus en proportion égale à sa production économique, surtout en matière de produits occidentaux. La consommation de ces produits, développée pendant les périodes de prospérité qui ont suivi les guerres sino et russojaponaise, a beaucoup diminué depuis que l'économie est devenue une nécessité. Cela n'empêche que le commerce extérieur du Japon, parti de zéro, ou à peu près, il y a cinquante ans, s'est chiffré, en 1909, à l'importation par 394.198.863 yen, à l'exportation par 413.112.511 yen, ce qui correspond au joli total de 2.082.813.293 francs.

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