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vous attendons. L'Espagne, après toutes ses tribulations, a soif de liberté. Je crois mon parti nécessaire, mais je ne me crois pas indispensable à mon parti. L'horizon politique a grand besoin d'être éclairci. Il faut préciser les relations entre le parti libéral et le parti conservateur. Vous avez le devoir de parler clair ».

Il était évident que les conservateurs ne pouvaient cacher une mauvaise humeur née de leur indécision même. Fort tentés par la perspective de reprendre le pouvoir, ils n'osaient faire cependant les gestes définitifs en considérant la lourde succession de M. Canalejas et l'hostilité de l'opinion.

M. Dato, premier lieutenant de M. Maura, essaya tout au moins de préparer les voies par des voyages de propagande, notamment en Catalogne où il n'hésita pas à prononcer de nombreux discoursteintés de régionalisme.

Mais le parti conservateur n'était décidément pas encore le maître de l'heure. On le vit bien, au début de mars, lorsque, par suite de la démission de M. Gasset, M. Canalejas fut contraint de faire appel une fois de plus à la confiance royale avant de renouveler son Cabinet.

Dans la séance du 7 mars aux Cortès, M. Gasset, ministre des Travaux Publics, violemment attaqué par l'opposition en raison des dépenses que devait entraîner l'exécution de son grand plan de travaux, assez mollement défendu par le Chef du Cabinet, n'avait dû son salut qu'à une sorte de condescendance de M. Maura. C'était reculer pour mieux sauter; car, le 12 mars, M. Gasset, en désaccord avec plusieurs de ses collègues, se retirait, et M. Canalejas en profitait pour reconstituer le Ministère sur les bases suivantes : Présidence, M. Canalejas; Affaires étrangères, M. Garcia Prieto ; Justice, M. Arias Miranda, Finances, M. Navarro Reverter; Intérieur, M. Barroso; Guerre, le général Luque; Marine, M. Pidal; Travaux Publics, M. Villanueva; Instruction Publique, M. Alba. Les modifications avaient porté sur les portefeuilles des Travaux Publics, de la Justice et des Finances; et la crise entraînait la suspension momentanée des travaux des Cortès.

Pendant ce répit parlementaire, le Cabinet travailla principalement à mettre sur pied le projet du budget de 1913. La chose n'alla pas sans discussions vives au sein du Ministère.

Le Conseil des ministres,tenu le 18 avril, précisa même un antagonisme sérieux entre le ministre Navarro Reverte qui voulait exonérer son budget de toute charge nouvelle et le ministre des Travaux Publics, M. Villanueva, qui réclamait pour son département une augmentation de 34 millions sur les chiffres de l'exercice précédent. Enfin l'accord se fit suivant le point de vue du ministre des Finances;

et celui-ci put faire à la presse les déclarations suivantes : « Depuis 1907, les dépenses augmentaient d'année en année dans des conditions telles que nos finances n'auraient pu résister longtemps. Il fallait couper le mal à la racine. C'est ce que j'ai tenté de réaliser pour le budget de 1913. Je n'ai pas voulu me présenter au Parlement sans un budget sincère, un budget d'ordre et de liquidation. Il n'y a pas de problème politique, comme on l'a dit ces jours-ci, car tous les ministres sont d'accord sur le plan d'économies que j'ai proposé. Il faut dire la vérité au pays. L'état actuel des finances n'a rien qui m'effraye. J'ai vu plusieurs fois des millions sortir du Trésor pour les guerres coloniales. Nous aurons peut-être à recourir à des crédits extraordinaires, mais pas pour le moment. »

En effet, le 1er mai, à la réouverture des Cortès, M. Navarro Reverter donna lecture de son projet de budget pour 1913, lequel fixait les recettes à 1.167.400.000 pesetas et les dépenses à 1.146.900.000 pesetas, soit un excédent de recettes de 20.500.00 pesetas.

Les réformes prévoyaient, outre des économies telles que la suppression de la capitainerie générale de Melilla, une surtaxe transitoire appliquée à certains articles d'importation, un impôt sur le sel de 0,25 centimes par kilo et un impôt sur le timbre.

Mais les dépenses pour le Maroc n'étaient inscrites que pour 50 millions de pesetas répartis entre les différents ministères. C'était là le point faible de l'édifice; ces crédits devaient fatalement être insuffisants en raison de l'extension de l'expédition marocaine et on allait se trouver acculé aux crédits extraordinaires, aux emprunts déguisés ou non. Grever l'avenir est toujours une imprudence. Pourtant le budget du ministre des Finances fut assez favorablement accueilli les difficultés allaient venir d'ailleurs.

L'ancien ministre des Travaux Publics, M. Gasset, ne s'était pas, en effet, retiré sans rancœur. Cet homme à idées vastes et sans doute excellentes pour la mise en valeur du sol national, avait vu ses plans contrecarrés par tel et tel de ses collègues du ministère. C'est pourquoi il était parti.

Redevenu libre, il se fit l'adversaire déclaré du Cabinet et notamment du ministre de l'Intérieur, M. Barroso, contre lequel il mena une campagne violente dans l'Imparcial. M. Barroso avait, déclarait-il, alors qu'il détenait le portefeuille de la Justice, usé de son autorité pour arrêter les poursuites dirigées contre un de ses parents prévenu de fraude électorale. L'affaire fut portée aux Cortès, dans la séance du 3 mai, par le ministre de l'Intérieur lui-même qui estima opportun d'aller au-devant de l'accusation. Son discours, ferme, quoique modéré, ne produisit cependant pas toute l'impression espérée, car M. Gasset maintint ses dires en les appuyant de

la lecture de certains documents. Malgré une intervention énergique du député conservateur, M. Sanchez Guerra, dont l'élection était précisément en cause, le scandale causé par les révélations de l'ancien ministre des Travaux Publics fut énorme, et l'on affirmait dans les couloirs de la Chambre, après la séance, que les attaques de M. Gasset étaient déplorables, non seulement pour le Ministère, mais pour le régime lui-même.

Cette rude escarmouche permit tout au moins aux leaders des groupes antimonarchiques, républicains et socialistes, d'attaquer avec plus d'autorité les libéraux au pouvoir. MM. Azcarate et Melquiadez Alvarez, puis M. Pablo Iglesias dénoncèrent la faillite du programme libéral. Après plus de deux années de gouvernement, M. Canalejas n'avait réalisé aucune de ses promesses. La question religieuse demeurait en suspens ainsi que celle de l'enseignement; au point de vue économique, les octrois, supprimés en droit, subsistaient partiellement en fait sous forme d'une taxe des poids et mesures; en matière militaire, malgré la loi sur le service obligatoire, de nombreux privilégiés gardaient la possibilité, moyennant finances, de n'être astreints qu'à de courtes périodes d'instruction. Et puis que devenait la réforme de la « loi des juridictions » réclamée par les républicains et d'autres démocrates?

Au fond, les leaders antimonarchiques, quoique bruyants, ne souhaitaient nullement la chute de M. Canalejas. La crainte de M. Maura les retenaient. Mais ils n'étaient pas fâchés de mettre des bâtons dans les roues du Ministère.

La motion de confiance qui clôtura le débat sur la politique générale fut donc votée le 11 mai par 180 voix contre 73. Le Cabinet, grâce à la divergence des antagonismes et par l'habileté de son chef, gardait un ferme équilibre.

Les partis anti-constitutionnels ont vraiment, pendant quelques mois, perdu de leur mordant. En septembre dernier, la conjonction républicaine-socialiste partait en guerre contre le Gouvernement. Répression de la grève générale, suspension des garanties constitutionnelles, envoi de troupes à Melilla, décisions prises contre les journaux républicains, dissolution de syndicats ouvriers, autant de mesures qui soulevaient l'indignation de l'extrême-gauche et semblaient lui insuffler des forces pour une lutte sans trève. Or, la belle fougue des premières semaines faiblit notablement au commencement de 1912 et il faut croire que la grâce accordée aux condamnés de Cullera fut pour beaucoup dans l'apaisement subit des

partis anti-monarchiques. Même le socialiste Pablo Iglesias étonna par la modération relative de son discours du 20 janvier.

Quant à M. Lerroux, le chef de la minorité radicale, que certains de ses anciens coreligionnaires politiques accusaient d'avoir lié partie avec M. Canalejas, il semblait de plus en plus décidé à ne gêner en rien le Gouvernement.

Si pourtant, malgré ces symptômes, le feu couva sous la cendre, ce fut en grande partie par la faute de la guerre marocaine.

Là-dessus toute l'opposition anti-constitutionnelle se retrouve d'accord; depuis M. Pablo Iglesias, jusqu'à M. Lerroux, en passant par MM. Soriano, Azcarate et Melquiadez Alvarez, tous proclament cette guerre néfasle aux intérêts du peuple espagnol. Le Président du Conseil a bien pu déclarer dans la séance du 20 janvier : « Nous n'allons pas à une guerre de conquête, mais nous devons appliquer les traités publics et secrets. C'est pour nous une question d'honneur ». Républicains et socialistes n'en jugent pas ainsi et sans doute, ils ne sont pas les seuls en Espagne.

Dès les premiers jours de mars, le député Azcarate engageait les républicains à prendre part à des meetings contre la guerre. Aux Cortès, M. Soriano interpellant le Gouvernement, s'écriait : « Pourquoi sommes-nous allés dans leRif? Je n'ai jamais vu de pays si pauvre et si misérable. Nos soldats sont obligés d'emporter avec eux jusqu'au foin et à l'eau. Ils ne vont pas là-bas de bon cœur. Certains embarquements de troupes m'ont rappelé ceux des forçats qu'on amenait à Ceuta dans la péninsule. Les précautions prises étaient identiques. Personne ne veut la guerre. L'expédition ne contribuera en rien à grandir notre prestige. Ce n'est qu'une question de frontières. Tant qu'existera Gibraltar, notre frontière sera la limite de portée des batteries anglaises ». Et le député républicain révélait que, depuis deux ans, les frais de l'expédition avaient atteint le chiffre de 250 millions de pesetas. « Je n'accepte pas la responsabilité d'abandonner l'unique terre promise à l'expansion de l'Espagne » répliqua le Président du Conseil.

Cette phrase, et la première citée plus haut, expliquent les deux motifs profonds de l'action espagnole au Maroc motifs que l'opposition anti-constitutionnelle estime insuffisants.

L'opinion générale semblait d'ailleurs être une lassitude non déguisée de la lenteur des négociations avec la France et de la prolongation des opérations dans le Rif. M. Canalejas lui-même déclarait, dans la demi-intimité d'un banquet, qu'il souhaitait que « le plus tôt possible prît fin cette guerre maudite, cent fois maudite. » El Im

parcial, el Liberal, la Manana laissaient percer leur découragemen!, et il fallait une note officieuse du Heraldo, dressant le spectre de la France, pour galvaniser un peu l'opinion. En même temps, le sénateur Maestre soutenait un projet de loi qui tendait à répartir entre les soldats, sous-officiers et officiers du corps expéditionnaire les territoires conquis sur les tribus hostiles du Rif.

Les nouvelles provenant du théâtre de la guerre étaient d'ailleurs peu satisfaisantes. Les positions de Samar et de Tumiat, occupées en octobre et novembre par les Espagnols, avaient été abandonnées; les troupes devaient soutenir des combats corps à corps même dans la zone d'occupation militaire; en somme, la conduite des opérations flottait visiblement.

Le 25 mars, le Président du Conseil offrit, en l'honneur de l'armée, un banquet à la suite duquel il fit plusieurs déclarations importantes « Aux gouvernants, d'où qu'ils viennent, affirma-t-il, s'impose le devoir de reconstruire la flotte et d'augmenter nos forces terrestres dans les limites de l'effort maximum que peuvent consentir nos finances ». Et, parlant de l'Espagne, il haussa le ton et s'écria « Cette grande nation est confiante dans son nir, fière et généreuse, pas assez humble pour dépendre de la condescendance d'autrui, pas assez hautaine pour constituer une menace et troubler le monde, mais résolue à être respectée. »

ave

La phrase put sembler belle; était-elle opportune? Ne voyait-on pas là toutes choses avec un verre grossissant? Qui donc voulait humilier l'Espagne? Semer la méfiance du voisin, suppose que l'on n'aura jamais soi-même besoin de la confiance de ce voisin.

En tous cas, les meetings contre la guerre n'en continuèrent pas moins; et, le 31 mars, à Tolède, les républicains se montrèrent particulièrement énergiques dans leur protestation.

El Heraldo de Madrid reflétait l'état d'esprit général lorsqu'il publia, le 2 avril, cette note très commentée : « Plusieurs mois d'incertitude et de soucis, fréquemment aggravés par les mauvaises nouvelles de la campagne, rendent nécessaire un calmant qui apaise la colère du pays,colère qui s'est manifestée par la propagande commencée vendredi dernier contre la campagne du Rif. Les exigences économiques de l'action militaire, chaque jour plus pénibles pour le Trésor, demandent une solution quelle qu'elle soit. Ou bien il faut réduire le sacrifice à des proportions plus tolérables, ou bien il faut préciser l'objectif d'une politique qui constitue une inconnue pour le pays, en insistant autant que le permettent les nécessités diplomatiques des négociations marocaines. Qu'on dise à la nation la vérité, si grave qu'elle soit, qu'on lui fasse connaître les limites de l'action de l'Espagne et les engagements de toute nature qui l'at

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