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raélites. Il faut néanmoins savoir gré à M. Kokovtsov de résister, dans certains cas, aux exigences outrées de l'extrême droite. Les ultra-nationalistes n'ont pas oublié, semble-t-il, la formule at tribuée à l'ancien procureur du Saint-Synode, Pobêdonostsev, qui proposait, dit-on, une solution très simple de la question juive : un tiers des israélites disparaîtra, un tiers se convertira, un tiers émigrera!

Le moyen de faire disparaître les juifs, c'est de pousser les populations ignorantes au massacre, à ces tragiques pogroms, qui ont plus d'une fois ensanglanté la Russie. Tout récemment, après l'assassinat de Stolypine par un socialiste-révolutionnaire d'origine israélite, en septembre 1911, il a fallu toute la calme énergie et toute la promptitude d'action de M. Kokovtsov pour écarter les menaces trop certaines de représailles antijuives. Tout est bon, aux yeux des réactionnaires nationalistes, pour exciter la populace contre Israël. Ils n'hésitent pas à ressusciter, par une honteuse calomnie, la vieille légende des « crimes rituels ». C'est ainsi qu'ils accusent actuellement les juifs de Kiev d'avoir assassiné le jeune chrétien Iouchtchinski! L'opinion européenne a justement protesté, en Allemagne et en France notamment, contre ces odieuses accusations.

Pour échapper à ces véritables persécutions, beaucoup de juifs essaient d'acquérir, par des conversions plus ou moins sincères, les droits civils et politiques dont ils sont privés. Mais le gouvernement se méfie de cette tactique opportuniste. C'est ainsi que le département des Cultes a prescrit aux pasteurs luthériens de soumettre à une longue et sévère épreuve tout israélite voulant embrasser la religion protestante.

Le gouvernement favorise au contraire par tous les moyens le mouvement d'émigration. N'est-ce pas un triste aveu d'impuissance? En 1909, par exemple, 61.000 juifs ont quitté la Russie, principalement à destination de l'Amérique. L'administration russe s'oppose, par contre, au reflux des israélites naturalisés Américains. Les consuls de Russie leur refusent impitoyablement le passeport nécessaire pour pénétrer sur le territoire de l'Empire. Les Etats-Unis soutiennent au contraire que leurs nationaux de toutes confessions doivent être libres de circuler ou de séjourner en Russie. On sait le grave conflit diplomatique que vient de susciter cette polémique internationale. La grande République américaine dénonça le traité de commerce de 1832. Si des négociations n'aboutissent pas à un nouvel accord avant le 1er janvier 1913, il en pourra résulter, pour la vie économique russe, d'assez

graves conséquences. Rien ne démontre mieux l'aveuglement des nationalistes, qui sacrifient les intérêts permanents du pays à leurs passions de race.

Combien sous ce rapport, l'impérialisme est supérieur au nationalisme proprement dit (1)! Les impérialistes à l'anglaise repoussent toute politique d'assimilation administrative, religieuse ou linguistique; ils exaltent l'idée majestueuse d'Empire au-dessus de l'idée mesquine de race et cherchent à grouper les nationalités autonomes en un tout puissant, au lieu de les irriter par des vexations stériles.

Comme le disait tout récemment M. Merkoulov, dans sa conférence au Club national de Saint-Pétersbourg, les Russes qui veulent rattacher à l'Empire proprement dit certains districts du Royaume de Pologne ou du Grand-Duché de Finlande sont atteints d'une véritable myopie politique. Ces territoires ne font-ils pas déjà partie de l'Empire, sous une autre dénomination, et peut-on rien concevoir de plus vain que cette conquête de la Russie sur elle-même ? Au lieu de s'hypnotiser sur la Pologne et la Finlande, les patriotes russes feraient mieux de se tourner vers l'ExtrêmeOrient, où le territoire de l'Amour et la Province Maritime notamment, sont menacés d'un péril beaucoup plus réel, par suite de l'infiltration croissante des commerçants chinois. C'est là qu'un véritable impérialiste fixerait bien plutôt ses regards.

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La stabilité du ministère Canalejas.

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Les partis anticonstitutionnels et le Maroc.

Voilà six mois bientôt que le Cabinet Canalejas est entré dans sa troisième année d'existence. Le fait mérite d'être souligné, car l'Espagne se montre habituellement prodigue de changements ministériels, surtout quand il s'agit de cabinets libéraux. Il faut toutefois remarquer que si la raison sociale du Cabinet Canalejas est demeurée la même depuis le commencement de 1910, des avatars ont eu lieu avec elle et que les titulaires de plusieurs portefeuilles ont changé.

La langue russe possède deux adjectifs qui traduisent assez bien cette opposition. «Rousskaia politika » signifie « la politique russe » au sens national, tandis que « rossiiskaia politika » pourrait désigner cette même politique au sens impérial.

Quelles sont donc les causes de cette stabilité relative, assez rare dans la politique espagnole ? Est-ce parce que les libéraux, considérant M. Canalejas comme leur dernière carte actuellement, restent fidèlement massés autour de lui? Doit-on voir dans les embarras de la politique extérieure la raison du peu d'empressement des conservateurs à reconquérir le pouvoir? La tenacité bien connue du président du Conseil donne-t-elle la clef de son succès, ou bien les sympathies du Roi ?

Il nous semble que ces différents éléments et d'autres encore entrent chacun pour leur part dans la réponse cherchée. En tous cas, voici la suite des faits.

Dès la fin de décembre, on prêtait à M. Canalejas un projet de remaniement ministériel avant la rentrée des Cortès. Un geste généreux du Roi, conforme aux idées personnelles du président du Conseil, mais en opposition avec l'attitude politique précédemment prise par le Cabinet, amena une sorte de crise théorique plutôt qu'effective et d'ailleurs solutionnée rapidement par le retour aux affaires du même ministère. Il s'agissait de la grâce accordée aux révolutionnaires de Cullera (1) condamnés à mort par le conseil de guerre de Sueca. Un seul d'entre eux, Chato Cuqueta, n'avait pas bénéficié de la mesure de clémence. Il était considéré comme le plus coupable et le gouvernement jugeait nécessaire pour l'exemple de laisser ici la justice suivre son cours. C'est alors que le Roi, ému par l'attitude de la femme et de la mère du condamné, fit appeler au Palais le Président du Conseil pour le prévenir qu'il était résolu à faire grâce encore.

M. Canalejas, tout en s'inclinant devant la volonté royale et en faisant préparer le décret de grâce, estima que le Cabinet ne pouvait se déjuger et présenta au souverain sa démission. La crise était ouverte; mais, quelques heures après, Alphonse XIII, sur l'avis unanime des chefs des différents partis, confirmait sa confiance à M. Canalejas en le priant de reprendre le pouvoir. Chato Cuqueta n'en avait pas moins profité d'un acte de clémence que tous les habitants de Valence acclamèrent.

Le Ministère revint aux affaires sans la moindre modification, si bien que certains journaux qualifièrent la crise de « fausse sortie >> et même de « farce politique » (2).

Quelques jours plus tard, une autre « fausse sortie » du ministère, bien plus étrange encore allait se produire.

L'ouverture des Cortès avait eu lieu le 19 janvier. On s'attendait

(1) Dans la province de Valence.

(2) Universo, 15 janvier 1912.

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à un débat mouvementé sur la politique générale, nombre d'interpellateurs s'étant fait inscrire, mais la situation confirmée de M. Canalejas semblait de celles qui résistent à tous les orages. Ce fut le député républicain Zulueta qui commença l'attaque. Il reprocha au Gouvernement à la fois son attitude durant les dernières grèves. l'exécution des mutins de la « Numancia » et la campagne de Mé lilla; il conclut en blåmant énergiquement la récente crise ministérielle.

M. Canalejas répondit en faisant ressortir le caractère de rebel lion de la grève de septembre, puis il déclara que bien qu'il fût un chaud partisan de l'abolition de la peine de mort, il estimait que l'heure de cette réforme n'était pas encore venue, que d'ailleurs, dans le domaine de la justice militaire, une pareille suppression semblait inapplicable; enfin il justifia la campagne de Melilla par la nécessité des circonstances.

Au député radical Albornoz qui dénonçait l'autoritarisme du Gou vernement, le Président du Conseil répliqua que, depuis son arrivée aux affaires, il avait été tenu librement dans le royaume 2.500 meetings contre le ministère. Trois jours plus tard ce fut au tour du socialiste Pablo Iglesias d'attaquer avec violence le gouvernement : mais aucun des discours prononcés ne semblait en somme devoir renfermer ni attirer la foudre.

Quelle ne fût donc pas la stupeur générale, quand on apprit, le 24 janvier, que M. Canalejas s'était rendu au Palais avec le ministre de la Guerre pour présenter au Roi la démission du Cabinet. M. Maura avait, disait-on, amené dans la coulisse, par une sorte d'ultimatum au souverain, le retour des conservateurs au pouvoir. D'autres rumeurs représentaient Alphonse XIII et M. Canalejas. comme lassés tous deux des perpétuels dissentiments nés au sein du Ministère. Certains officieux affirmaient que le motif de la crise était la non acceptation par le général Luque d'un projet de loi déterminant la juridiction compétente pour les délits politiques des membres du Parlement. Bref, chacun parlait, mais personne ne comprenait. Parlementaires, journalistes, simples profanes sentaient peser une atmosphère de désarroi. « Dans cette politique de surprises qu'est la politique habituelle de l'Espagne, déclarait El Imparcial, aucune n'a dépassé celle-ci. Le Gouvernement a pour lui une majorité qui n'a jamais montré de défaillance. Il n'a rencontré aucune protestation véritable chez ses adversaires. Personne donc ne peut approuver des événements qui poussent les citoyens à se demander qu'arrivera-t-il ? »

Et l'opinion se fixait sur ce point qu'il était inadmissible de voir

une crise ministérielle se produire en dehors du Parlement, alors. que les Chambres siégeaient et qu'aucune des conditions requises. par la Constitution n'avait été remplie. D'ailleurs les conservateurs avaient-ils fait connaître leur volonté de reprendre le pouvoir? Leurs chefs avaient-ils adressé la moindre demande d'interpellation à un gouvernement jouissant de la confiance du Parlement ? En définitive, tout s'expliqua, ou plutôt on s'efforça de tout expliquer en arguant de malentendus grossis et colportés.

Alphonse XIII, au sortir d'une réception donnée au Palais, s'entretint avec M. Canalejas des bruits mis en circulation et lui demanda « ce qu'il en était exactement ». A quoi le ministre répondit qu'il ne savait rien, sinon que partout on annonçait sa chute, et que, devant la persistance de ces bruits, il était vraiment disposé à ce qu'il en fût ainsi ». Aussitôt de Roi de répliquer : « Pour ma part, je désire qu'il n'en soit rien ». La phrase et l'accent mettaient fin à l'incident.

Fausse crise sur fausse crise; cela à quelques jours d'intervalle! On pouvait vraiment, sans parti-pris, se livrer à des réflexions comme la suivante: Après la grâce des condamnés de Cullera, considérée par les conservateurs comme un acte de faiblesse déplorable, n'aurait-on pas accepté de part et d'autre, explicitement ou tacitement, de tåter en quelque sorte l'opinion, en laissant présenter comme imminent le retour de M. Maura aux affaires. Puis, l'opinion ayant répondu de telle façon que les conservateurs ne devaient conserver la moindre illusion, il ne restait plus qu'à considérer la manœuvre comme nulle et non avenue ce qu'on avait fait.

Certains dépits remontèrent à la surface quelques jours plus tard aux Cortès. Le carliste Mella, après avoir fait un grief aux libéraux de la chute du Cabinet Moret, puis de la grâce des condamnés de Cullera, fut amené à parler d'une intervention de M. Maura dans la dernière crise ministérielle.

Le chef des conservateurs, ainsi mis en cause, en profita pour monter à la tribune et faire une charge à fond contre le Ministère. «L'existence de la monarchie déclara-t-il en substance est compromise par les complaisances de M. Canalejas pour les partis avancés. Les conservateurs refusent de partager la responsabilité d'une telle politique. En somme, le Cabinet n'a songé qu'à se maintenir sans tenir compte des véritables intérêts du pays, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur; et le budget n'a même pas été présenté aux Cortès. »

Le Président du Conseil répliqua aussitôt avec calme : « Si vous nous croyez dangereux pour la monarchie, combattez-nous nous

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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