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En ce qui concerne le chemin de fer Tanger-Fès, l'arrangement est des plus malaisés. Les Espagnols répugnent, paraît-il, à l'idée d'une compagnie unique. Mais si l'on forme deux compagnies distinctes, n'est-il pas à craindre qu'il ne se produise au Maroc la même chose que pour le Transpyrénéen ? Alors que la ligne française est presque terminée, les Espagnols n'ont pas même commencé la leur.

Reste enfin la grosse question de Tanger, où l'Espagne, l'Angleterre, la France ont à se mettre d'accord. Les représentants des trois puissances discutent sur l'organisation internationale de cette ville. Tout n'est pas complètement terminé. Mais, ici encore, on a l'impression que l'accord est prochain.

La guerre italo-turque et la situation en Orient. Cette interminable guerre, par le fait même qu'elle intéresse de moins en moins les militaires, préoccupe de plus en plus les diplomates.

En ce qui concerne les faits d'armes, dans l'Archipel ou en Tripolitaine, il n'y a, comme on dit, rien à signaler, le mois dernier. Mais la tranquillité est moins grande dans les chancelleries. On se demande tout naturellement, comment finira ce conflit que les belligérants, laissés à eux-mêmes, ne veulent ou ne peuvent terminer.

A défaut d'une solution militaire, on cherche une solution diplomatique. Le malheur est que cette dernière ne se laisse pas découvrir aisément.

Toute initiative, prise par une seule des puissances, ou même un seul des deux groupes qui s'équilibrent en Europe, risque d'avoir un effet entièrement opposé de celui qu'on chercherait. Au lieu de clore rapidement la guerre, elle pourrait bien avoir pour unique résultat, d'en étendre considérablement le champ.

La péninsule balkanique est, pour ainsi dire, dans un état d'équilibre instable. Chacun des petits Etats chrétiens, la Bulgarie surtout qui possède de beaucoup la meilleure armée, remué de rêves ambitieux, possédé du désir de s'agrandir des dépouilles ollomanes, est retenu exclusivement par la peur de voir les puissants voisins, l'Autrichien ou le Russe, s'adjuger tous les bénéfices d'une guerre qu'ils n'auraient point autorisée. Cette crainte-là, jointe aux défiances réciproques du Bulgare envers le Roumain, le Serbe et le Grec, à la considération qu'ils éprouvent tous pour l'armée

turque dont la valeur et la solidité ne sont pas contestables, les empêche de se jeter dans les aventures.

Mais au moindre signe d'encouragement venu de Vienne ou de Saint-Pétersbourg, nul doute que tout cela ne changeât. Les diplomates autrichiens et russes le savent parfaitement. Cela seul leur impose la plus grande prudence.

Le vieil empereur François-Joseph a donné de trop grandes preuves de sa sagesse, de son esprit pacifique pour se laisser entraîner à une politique belliqueuse. En 1909, au plus fort de la crise causée par l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, il y avait dans sa capitale et même dans son palais un parti tout-puissant qui poussait de toutes ses forces à la guerre : « Il faut conquérir la Serbie, disait-on. C'est le seul moyen de résoudre la question slave pour vingt ans !» Le vieux monarque se mit résolument en travers de ces menées guerrières; il fit prévaloir alors une solution pacifique. Il n'y a aucune raison de croire que ses intentions soient maintenant changées.

Reste la Russie. On a voulu voir un danger pour la paix dans les sentiments si vigoureusement italophiles manifestés ces derniers mois par M. Sasonof.

On a prétendu que la Russie nourrissait de graves desseins, qu'elle allait profiter des circonstances présentes pour tomber sur la Turquie, régler la question des Dardanelles, celle du Caucase, elc., etc.

Rien dans l'attitude du gouvernement russe n'autorise de pareilles suppositions. L'amitié, l'intimité italo-russe ne datent pas d'aujourd'hui. Elles remontent à l'entrevue de Racconiggi entre le Tzar et le roi d'Italie. Les deux souverains éprouvent l'un pour l'autre une très vive sympathie; les deux cours sont unies par de nombreux et puissants liens les princesses monténégrines dont l'une est reine d'Italie et deux autres grandes duchesses servent tout naturellement de trait d'union. Ajoutez à ces raisons dynastiques des raisons politiques non moins fortes. L'Italie et la Russie redoutent, dans la péninsule balkanique le même adversaire : l'Autriche. Cette crainte-là toute seule les obligerait à s'entendre. La Russie désire naturellement que l'Italie ne sorte point de la guerre actuelle trop affaiblie par ce que son affaiblissement laisserait la voie libre à l'Autriche. Il y a aussi la méfiance des Russes à l'égard des Jeunes-Turcs, méfiance assez explicable, il faut bien le reconnaître car, cédant aux suggestions d'un nationalisme intempérant et tracassier, les Jeunes-Turcs n'ont pas manqué d'inquiéter les Russes par de perpétuels empiètements sur la

frontière caucasienne, beaucoup plus encore qu'ils ne le faisaient à notre égard sur la frontière tunisienne.

Toutes ces raisons-là expliquent suffisamment l'attitude prise par le Cabinet de Saint-Pétersbourg. Il est injuste, croyons-nous, de lui attribuer des arrière-pensées qu'il n'a point, de prétendre qu'il cherche à provoquer une conflagration balkanique dans l'espoir d'ouvrir les Dardanelles ou de mettre la main sur Constantinople. La Russie a besoin de la paix pour achever la réorganisation de son armée qui n'est pas encore remise des dommages éprouvés en Mandchourie. Elle a besoin de la paix pour améliorer encore sa situation économique, déjà exceptionnellement bonne, pour se donner l'outillage industriel dont elle a besoin. Une guerre faite maintenant lui ferait perdre tous ces bénéfices certains; rien n'est, par contre, plus problématique que les avantages qu'elle pourrait en retirer. L'Autriche est en bien meilleure posture qu'elle, tant au point de vue militaire qu'au point de vue géographique pour s'approprier la meilleure part des dépouilles ottomanes, si dépouilles il y avait.

Il est impossible que ces considérations ne s'imposent pas à l'esprit des hommes d'Etat russes. Leur vive sympathie pour l'Italie, jointe à la crainte de voir la guerre, en se prolongeant, provoquer quelque grave conséquence dont ils seraient les premiers affectés, les pousse tout naturellement à déployer leurs efforts, afin de terminer cette guerre le plus rapidement possible et au mieux des intérêts italiens. De là, les différents projets de médiation qui ont été mis en avant par M. Sasonof. La France et l'Angleterre ne demanderaient pas mieux que de s'y associer. Mais, leur désir d'être agréables à la Russie ne saurait leur cacher les grandes difficultés auxquelles se heurtent ces tentatives de médiation. Quels moyens a-t-on de contraindre les Turcs à finir une guerre qui ne les gêne pas après tout très considérablement, dans laquelle il faut bien le dire, l'adversaire n'a pas encore remporté d'avantages décisifs? Surtout quand l'Allemagne et l'Autriche demeurent en dehors de cette tentative des puissances.

La prochaine entrevue du kaiser et du tsar dans les eaux finlandaises aura-t-elle pour résultat de gagner l'Allemagne à ces projets russes? Il est certain que, même après le départ du baron Marshall, l'Allemagne garde à Constantinople, une influence prépondérante; mais rien ne prouve que le gouvernement germanique acceptera d'employer énergiquement cette influence dans le sens de la paix au risque de désobliger les Turcs.

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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L'Italie, par un développement de ses opérations militaires et surtout navales, peut-elle contraindre la Turquie à céder? La grande période des chaleurs interdit pour le moment toute opération importante en Tripolitaine. Dans l'Archipel, les Italiens peuvent occuper de nouvelles îles, notamment Chio, Lesbos, Lemnos, à proximité des Dardanelles, ce qui obligerait peut-être les Turcs à fermer, une fois encore, le détroit. Or, la fermeture des détroits, portant un grave préjudice aux intérêts économiques des puissances et plus particulièrement de la Russie, forcerait la diplomatie européenne à prendre cette affaire en main.

Les Italiens ont évidemment songé à ce moyen. C'est là une excellente carte qu'ils ne se sont nullement interdit de jouer. On a dit que les Cabinets de Vienne et de Berlin, pressentis par celui de Rome avaient opposé leur veto à une telle extension des hostilités. Présentée de la sorte, la nouvelle est peu vraisemblable et nos renseignements nous permettent de dire qu'elle n'est pas vraie. Il semble bien que l'Autriche et l'Allemagne se sont bornées à signaler à leurs alliés les inconvénients possibles d'une telle action.

Certains organes influents de la presse italienne, adjurent leur gouvernement d'agir sans retard, en ne tenant aucun compte des susceptibilités internationales. Il se peut que ce gouvernement, obligé de faire quelque chose, s'y résolve.

Les difficultés éprouvées par la Turquie et par-dessus tout ses embarras financiers sont aussi un élément dont il faut tenir grand compte. Le gouvernement turc éprouve sous sa forme la plus cuisante cette douleur familière à Panurge qui s'appelle le manque d'argent. Les revenus de l'Etat sont grandement diminués par la guerre. C'est avec la plus grande peine qu'il réussit à payer son armée. La Banque Ottomane lui a consenti naguère une petite avance, mais ce n'est là qu'un secours passager. La difficulté n'est pas résolue, elle n'est que différée.

RAYMOND RECOULY.

REVUE DES QUESTIONS POLITIQUES CONTEMPORAINES

REVUE DES QUESTIONS MILITAIRES

Par SIMON ROBERT

que.

III.

IV. La

I. La leçon des événements de Fez et l'organisation des troupes d'Afri-
II. Premiers résultats d'une bonne méthode de travail.
Nouvelle retouche à l'organisation du haut commandement.
Liberté d'écrire. V. La communication des Notes.
velle loi des cadres de l'Infanterie.

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VI La nou

I. La leçon des événements de Fez et l'organisation des troupes d'Afrique. Les événements, qui se sont passés à Fez dans la deuxième quinzaine d'avril 1912, ont montré la fragilité de l'édifice constitué par l'armée chérifienne sous la direction d'instructeurs français.

Dans l'organisation de cette armée, il n'avait été tenu aucun compte des enseignements du passé ni même de ceux du présent. Il y a longtemps que nous employons des indigènes musulmans dans nos troupes d'Afrique et ce n'était pas la première fois que des Marocains se trouvaient sous les ordres d'officiers.

En 1902, dans la province d'Oran, le 2o régiment de tirailleurs algériens recruta, comme engagés volontaires, trois cents Marocains appartenant aux tribus les plus turbulentes des bords de la Moulaya.

Ces Marocains se conduisent parfaitement et les désertions furent très rares parmi eux.

Le fait n'a rien d'étonnant quand on sait comment sont encadrées nos troupes indigènes d'Algérie et de Tunisie. Dans chaque compagnie de tirailleurs, l'élément français comprend trois officiers sur cinq, cinq sous-officiers sur neuf, quatre caporaux sur douze et sept soldats destinés à occuper les emplois qui exigent un certain degré d'instruction.

Dans un escadron de spahis, la proportion des sous-officiers

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