Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les engagements que l'inscription maritime leur impose; les armateurs méconnaissent leur intérêt en réclamant la disparition de cette puissante organisation.

Les uns et les autres feront bien de ne pas trop récriminer : car le service coûte cher à l'Etat, et la tentation pourrait être grande, d'alléger le budget en supprimant les crédits nécessaires pour le service de l'inscription, et les subventions accordées à la caisse des Invalides de la marine et à la caisse de prévoyance des marins français. Paie-t-on trop cher les avantages assurés par l'inscription maritime? Je ne le crois pas. Mais d'autres dénoncent le chiffre énorme du crédit, montrent les populations maritimes, attendant dans l'oisiveté, les secours de la marine, les demi-soldiers, valides encore, vivant paresseusement d'une pension de retraite trop largement accordée.

Il est indéniable que la partie maritime de la population est le plus individualiste, le plus facilement livrée, comme on l'a dit, à une sorte de « fatalisme stérile ». Mais n'est-ce pas justement une raison pour combattre ces mœurs par des institutions de prévoyance, faire pénétrer l'esprit d'association dans des masses rebelles à toute idée de solidarité, obliger à l'assurance des hommes qui finiraient dans la misère, une vie usée par les fatigues du métier. Si c'est là un socialisme d'Etat, avouons qu'il est bienfaisant. L'inscription maritime maintient dans ses villages, ses occupations, ses habitudes, toute une partie de notre population, elle crée des familles de marins, nourries de traditions, façonnées par l'atavisme.

Je ne vois nul profit à détruire une organisation sociale ancienne et durable, pour lui substituer un régime de liberté mal conprise, et laisser les hommes débattre dans l'incertitude, des intérêts dont ils ne sont pas toujours les meilleurs juges.

Ce qu'il faut combattre sans trêve, c'est ce détestable esprit d'égalité et d'unification qui dénonce comme une faveur tout régime exceptionnel. Que les autres métiers conquièrent leur statut, s'ils le veulent. La profession de marin a le sien.

Il peut et doit être conservé par la soumission de tous, volontaire ou forcée, aux devoirs et aux exigences de la profession.

GEORGES RIPERT.

Professeur à la Faculté de Droit

de l'Université d'Aix-Marseille.

LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU MOIS

Le problème marocain. -Les négociations franco-espagnoles. guerre italo-turque et la situation en Orient.

Paris, 1er juillet 1912.

La

Le problème marocain. C'est sous le triple aspect militaire, administratif, diplomatique que se présente à nous le problème marocain.

Actuellement, le côté militaire est, de beaucoup, celui qui nous préoccupe le plus. Mais ne perdons pas de vue les deux autres : aussi bien, les difficultés diplomatiques et administratives ne sontelles point négligeables; tant s'en faut.

Le général Lyautey a pris, dès son arrivée à Fès, une vue extrêmement nette de la situation. Tous ses efforts tendent, non point à occuper de nouveaux territoires, mais à tenir solidement, à organiser ceux que nous occupons déjà. Il s'agit, avant tout, de dégager les environs de la capitale et d'assurer fortement la sécurité et la ligne d'étapes entre Fès et le littoral de l'Atlantique.

De ces deux tâches, la première a été confiée au général Gouraud, le brillant vainqueur du combat de Hayra-el-Kohila, le 1er juin, qui débloqua littéralement la capitale. Le Résident lui a donné le commandement d'une forte colonne, aussi forte que l'état de nos effectifs a permis de la constituer six bataillons et demi, trois escadrons et quatre sections d'artillerie français, une compagnie, un escadron et deux sections d'artillerie chérifiens. Il lui a donné de plus pleins pouvoirs, une complète liberté de manoeuvre et d'action. C'est l'habitude du général Lyautey, quand il a une fois choisi un agent en qui il a pleine confiance, de s'en remettre entièrement à lui. C'est une habitude excellente qui favorise, au plus haut point, l'esprit d'initiative et de décision.

Le général Gouraud s'est mis en marche dans la direction de Taza, en remontant la vallée de l'Oued Innaouen. Il est déjà, remarquons-le, en train d'opérer dans une région où les troupes

chérifiennes ne s'aventuraient guère. Les obstacles auxquels il se heurte sont considérables. La nature très escarpée du terrain favorise, au plus haut point, celle guerre de surprise et d'embuscades, à laquelle excellent les Berbères. Ajoutez que les tribus de cette région sont parmi les plus belliqueuses et les plus insoumises du Maroc.

Tout cela n'empêche pas le général Gouraud d'avoir déjà obtenu des résultats appréciables. Un certain nombre de tribus sont prêtes à faire leur soumission. Le Marocain se soulève avec la plus grande facilité, mais la fureur qui l'anime tombe assez vite, surtout quand il se trouve en présence d'un ennemi qui tient le coup sans faiblir, qui menace ses douars et ses champs.

Le général Dalbiez, lui, opère à l'ouest de Fès et cette action concordante assurera, nous n'en doutons pas, la pacification de toute la région occupée par nous. Du côté de la Moulouia, le général Alix, sur les instructions du général Lyauley, installe solidement le nouveau poste de Guercif, situé sur la rive gauche du fleuve. Ses colonnes rayonnent tout autour, tantôt remontant le cours du fleuve, jusqu'à la hauteur de Debdou, tantôt se dirigeant vers Kasba en Msoun qui n'est qu'à une faible distance de Taza. Préparée de la sorte, l'occupation de cette ville, qui, d'ailleurs, ne présente aucun caractère d'urgence, se fera, espérons-le, sans trop de difficulté. Les soldats de Gouraud viendront rejoindre ceux d'Alix et la communication sera enfin établie entre la capitale du Maroc et l'Algérie.

Certains journaux français et plus encore certains députés, au cours des interpellations sur le Maroc au Palais-Bourbon, ont agité la question des renforts et brandi, à tort et à travers, les plus gros chiffres, en guise d'épouvantail pour le pays. Ils ont parlé de cent mille hommes. Nous sommes convaincu que ces chiffres-là sont tout ce qu'il y a de plus exagéré. Le général Lyautey a, dès son arrivée à Fès, réclamé certains renforts que le gouvernement s'est empressé de lui expédier (environ six bataillons). Il est possible qu'il en demande prochainement quelques autres, afin de constituer à Fès, une solide réserve, capable de faire face à toute éventualité. Mais il ne s'agit là que de quelques bataillons.

La question administrative et économique, commence aussi à préoccuper le nouveau résident. Il faut créer, au plus tard, un rudiment d'organisation administrative, procéder à l'exécution des travaux publics les plus urgents, chemins de fer et ports. La tournure beaucoup plus satisfaisante, prise ces temps derniers, par les

négociations franco-espagnoles permet d'entrevoir enfin la conclusion prochaine de l'accord. On pourra commencer aussitôt la construction du chemin de fer Tanger-Fès, le premier à mettre en adjudication aux termes de l'accord franco-allemand. D'autres lignes qui nous sont absolument indispensables, celle de Tanger à Rabat et Casablanca devront suivre immédiatement. Les observateurs les plus compétents estiment que le meilleur moyen de pacifier le Maroc, c'est d'y construire au plus tôt des chemins de fer. Cela résoudrait, en tout cas, un des problèmes qui absorbent le plus les autorités militaires : le ravitaillement de la capitale et la protection de la ligne d'étapes. Une voie ferrée qui permettrait de transporter, en quelques heures, les troupes françaises sur tel ou tel point menacé, simplifierait considérablement le problème militaire. Elle donnerait, en outre, aux indigènes, le moyen d'écouler leurs produits et de gagner de l'argent c'est là une considération à laquelle ils ne sont nullement insensibles. Restent les difficultés diplomatiques, qui ne sont point négligeables, la question des protégés indigènes qui nous créera de très gros embarras, les réclamations des puissances étrangères qui ne nous manqueront pas. On m'assure, que depuis novembre dernier, dale de l'accord franco-allemand, l'Allemagne, à elle seule, n'aufait moins de trente réclamations relatives au Maroc. C'est un chiffre qui donne à réfléchir.

rait

pas

M. de Saint-Aulaire, délégué des Affaires étrangères auprès du résident, aura surtout à s'occuper de ces affaires. La grande compétence qu'il a des questions marocaines, son activité et son tact nous inspirent pleine confiance. Le gouvernement ne pouvait pas faire un meilleur choix. M. de Saint-Aulaire vient de partir pour Rabat, où il résidera, pour le moment, auprès du sultan qui a énergiquement et obstinément demandé de se rendre dans cette ville, en attendant le fameux voyage à Paris, objet de ses convoitises.

**

Les négociations franco-espagnoles.

On nous assure qu'elles vont enfin se terminer, que le mois ne se passera pas sans que l'accord ne soit signé. Acceptons-en l'augure et réjouissons-nous de tout cœur. Vraiment, il ne serait que temps. « Les négociations aboutiront bientôt, a dit M. Poincaré, à moins d'incidents imprévus.» Espérons que la vigilance des négociateurs et la bonne volonté des gouvernements sauront éviter les incidents imprévus !

Pendant près de trois mois, les négociations sont restées, comme on sait, accrochées à la question de l'Ouergha. L'Espagne, dans cette vallée qui est hors de sa zone d'action et qui nous est à nous indispensable puisqu'elle commande la route de Fès à Taza, nous refusait toute concession sérieuse. Après des discussions interminables, on est enfin arrivé à se mettre à peu près d'accord sur cette épineuse question. L'Espagne nous abandonne une partie du territoire que nous demandons; elle se réserve seulement le droit de communication non interrompue entre ses postes d'El Ksar et Alhucemas dans le Rif.

M. Guiot, chargé de discuter avec les délégués espagnols, les questions techniques, est aussitôt réparti pour Madrid. Parmi ces questions particulières, il y a celle du chemin de fer Tanger-Fès, celle des douanes, des religieux franciscains espagnols, la nomination du Khalife, représentant du sultan dans la zone espagnole.

Certaines de ces questions sont d'une extraordinaire complexité. Pour les douanes, par exemple, comment, sans créer une double ligne, assurer les droits de la France ? Comment taxera-t-on les marchandises qui seront débarquées dans la zone espagnole pour être expédiées ensuite dans la zone française ? La difficulté semble presque insoluble elle ne peut guère être réglée que d'une manière approximative et par un compromis.

On nous dit que les délégués français et espagnols sont sur le point de se mettre d'accord là-dessus, mais sans nous expliquer comment. Or, les moindres détails de cette affaire ont une grosse importance. Les finances marocaines reposent, en grande partie, sur les recettes douanières. Supposez que, dans un des ports du littoral, la surveillance se relâche ; la contrebande s'y fera aussitôt, avec une intensité considérable et ce sera autant de pris sur les revenus du budget marocain. N'oublions pas que nous sommes maintenant responsables de ce budget. S'il y a un déficit. nous aurons à le combler.

Ce n'est pas tout. Les commerçants étrangers ne manqueraient pas d'expédier leurs marchandises de préférence dans les ports où ils sauraient que les droits douaniers, tout en étant théoriquement les mêmes qu'ailleurs, sont pratiquement moindres, parce qu'il est avec le douanier, des accommodements. Mais alors, nos ports à nous, Casablanca notamment, se trouveraient dans une situation nettement désavantageuse.

Il y a là possibilité de gros inconvénients contre lesquels nous ne saurions trop prendre nos précautions.

« AnteriorContinuar »