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soires, s'il ne s'étaient pas engagés auparavant; les autres ont été entraînés par l'exemple, justement parce qu'ils savent le métier recherché. Que la marine manque d'hommes, on ne trouvera plus d'engagés. Et puis on ne peut compter sur eux pour assurer un recrutement régulier; leur nombre est trop réduit. Il faudrait donc prendre les marins dans la masse du contingent. Ce n'est pas impossible, puisqu'après tout, le recrutement est libre de verser les hommes appelés dans l'arme qui paraît le mieux convenir à leurs aptitudes. Il faudrait, toutefois, recruter exclusivement par engagement volontaire les équipages des stationnaires aux colonies ou des sous-marins.

Mais on devra appliquer à ce nouveau personnel, le service de deux ans. Cette durée est-elle suffisante? Il appartient aux techniciens de le dire. Il paraît à première vue assez impolitique de se priver d'un personnel que l'on peut garder cinq ans à bord, si les circonstances l'exigent, pour le remplacer par un personnel qui ne devra jamais donner que deux ans de service. Nos navires de guerre ne seront-ils pas immobilisés la majeure partie du temps? En tout cas, la durée du service étant ainsi réduite, plus nombreux devront être les hommes appelés au service de la flotte. Que deviendront-ils dans la réserve, puisqu'on se plaint déjà du trop grand nombre de réservistes. J'entends bien que l'on se propose évidemment de changer leur affectation. Mais pourquoi ne pas réaliser dès maintenant cette réforme ? Il n'y a rien de contraire aux principes de l'inscription maritime à affecter les inscrits maritimes durant la période de réserve à un service à terre, le service des forts par exemple. Ainsi disparaîtrait l'un des inconvénients signalés dans notre organisation actuelle.

de

Autre critique il est très inutile, dit-on, de puiser le personnel des équipages de la flotte dans la population maritime. Autrefois, sans doute, les vaisseaux de guerre recevaient avec plaisir un personnel déjà expérimenté ou tout au moins dégrossi par une navigation antérieure, qui, changeant de marine, ne changeait pas métier. Aujourd'hui, le marin expérimenté fera peut-être un bon gabier, mais sera-t-il canonnier, torpilleur, chauffeur, mécanicien, télégraphiste? moins facilement que l'ouvrier d'usine. L'engagé volontaire est plus vite au courant du service que l'inscrit maritime. Et parmi ces inscrits, tous ne sont pas perfectibles : des na turalisés sans moralité, des Bretons, vraiment trop peu instruits encombrent le pont des cuirassés.

La critique n'est pas fausse, mais elle est exagérée: on ne saurait, je le répète, opposer les engagés volontaires aux inscrits:

ou bien ces engagés sont des sujets exceptionnels cntraînés par une vocation, désireux d'une carrière rapide, ou bien ils appartiennent à la partie maritime de la population et ne diffèrent point par leur origine des inscrits. Ce qu'il faudrait, c'est pouvoir comparer les inscrits à la masse du contingent. Ils ne feraient pas alors trop mauvaise figure. Sans doute, le marin qui a navigué au commerce n'est pas instruit à l'avance de toutes les tâches qui pourront lui être confiées. Mais il ne faut pas oublier pourtant que la marine de commerce s'est, elle aussi, transformée; elle a ses mécaniciens, ses chauffeurs, ses soutiers, ses graisseurs. Et puis ces hommes, quelle que soit leur spécialité, ont tous, lorsqu'ils sont appelés au service de l'Etat, quelque chose qui ne s'acquiert pas, ils ont le goût et le sens des choses de la mer.

Qu'il y ait dans le procédé actuel de recrutement des points criticables, nul ne songe à le nier. On pourrait améliorer le procédé de la levée, se préoccuper davantage des nécessités de l'instruction technique, multiplier les engagements volontaires à long terme pour certaines spécialités, trouver une affectation utile pour les réserves. Le projet préparé en 1909, par M. Alfred Picard, celui qui a été déposé par M. Delcassé, proposent sur tous ces points, des solutions nouvelles. Elles ne sont nullement imcompatibles avec le système de l'inscription maritime.

Il ne faudrait pas croire qu'à tous ces pointe de vue, l'institution ne se soit pas déjà transformée bien des fois. Ce qui est resté debout, malgré ces profondes modifications, c'est cette idée heureuse, que les gens de mer auraient le droit de demander à l'Etat des garanties particulières pour l'exercice de leur profession, s'ils se soumettaient au service exceptionnel exigé par l'Etat. On peut abréger la durée et modifier le mode de service sans porter atteinte à cette idée maîtresse et sans détruire le contrat séculaire qui lie les inscrits maritimes à l'Etat.

J'irai plus loin encore perdrait-elle toute utilité pour le recrutement du personnel nécessaire à la marine de guerre, l'inscription maritime ne devrait pas disparaître, car elle représente aujourd'hui autre chose, et quelque chose de mieux qu'un procédé de recrutement c'est un essai d'organisation d'une profession au point de vue social.

Désirant assurer le recrutement de ses équipages dans un milieu professionnel, l'Etat a dû organiser la profession. Cette organisation ne présentait aucun caractère exceptionnel à une époque où les

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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artisans étaient unis en corporation. Sa persistance, malgré les convulsions politiques et les transformations sociales, donne aujourd'hui à la profession de marin un caractère particulier qui n'a pas été assez remarqué.

La profession n'est pas monopolisée. Toute personne peut, en principe, exercer le métier de marin, mais dès que cette personne se livre à une navigation maritime professionnelle, elle doit être nécessairement portée sur les rôles de l'inscription maritime (loi du 24 décembre 1896, art 1). Tout marin se trouve donc soumis de plein droit aux charges qu'entraîne l'inscription, et, de plein droit aussi, il bénéficie des avantages réservés aux inscrits, c'està-dire qu'il y a des règles professionnelles, obligatoires pour tous ceux qui se livrent au métier, quel que soit le contrat conclu.

Le Code de commerce a l'air de traiter le contrat d'engagement des gens de mer comme une variété de louage de services, contrat librement discuté et librement conclu. En fait, la majeure partie des rapports entre l'armateur et les hommes de l'équipage échappe au droit contractuel, et tombe sous la réglementation légale. Le marin est libre de quitter la profession, mais c'est le seul moyen à sa disposition pour échapper aux règles qui l'enserrent. Jusquelà, il fait partie d'une classe sociale législativement reconnue dans un pays, où il n'y a plus de distinction de classe et il fait partie d'une sorte d'association obligatoire dans un pays qui d'abord a défendu l'association ouvrière, puis admis la liberté syndicale. Il est placé durant toute sa vie, sous la tutelle de l'Etat, alors que les autres salariés discutent librement leurs intérêts.

Cette tutelle est une tutelle bienfaisante, et les inscrits le savent bien. Ils ne protestent plus contre le principe de l'inscription maritime, et se contentent de réclamer des améliorations. Les avantages qui leur sont concédés sont importants; ils sont trop portés à en méconnaître la valeur.

Il est vrai que leurs adversaires en ont parfois exagéré le nombre. Il ne faut pas compter, en effet, parmi ces prérogatives, certains droits qui sont accordés au personnel non inscrit comme aux inscrits eux-mêmes, par exemple, le privilège pour paiement des salaires, ou encore l'indemnité accordée par l'article 262 du Code de commerce, au cas de maladie ou de blessure pendant le voyage. Il ne faut pas parler non plus de l'exemption de tout service public que leur confère l'article 4 de la loi du 24 décembre 1896, parce qu'on est très en peine pour trouver des exemples de ces services publics et qu'on n'a guère découvert que l'exemption de tutelle. Enfin, on ne saurait tenir pour un avantage bien sérieux, les concessions gratuites de plages pour la pêche ou l'ostréiculture ;

parce qu'en pratique, paraît-il, la gratuité ne leur est pas toujours accordée, et que des non inscrits arrivent aussi à obtenir des concessions. Négligeons tout cela. Il leur reste le monopole de la pèche dans les limites de l'inscription maritime et l'exemption de patente pour la vente des produits de leur pêche, le monopole indirect de la grosse majorité des emplois dans la navigation commerciale, grâce aux règles concernant la nationalité des navires, une pension de retraite ou d'invalidité sur la caisse des invalides de la marine, une assurance obligatoire contre les risques professionnels et même contre les maladies professionnelles, grâce à la caisse de prévoyance des marins français, une certitude de rapatriement au cas de congédiement à l'étranger, une solde convenable dans le service des équipages de la flotte.

Ces avantages paraissent énormes, et quelques-uns les qualifient d'exorbitants. Que l'on prenne garde pourtant de ne pas se fier à cette simple énumération. Monopole de la pêche et majorité des emplois dans la navigation commerciale, ce sont sans doute de sérieuses garanties de travail. Mais d'abord la profession est ouverte à tous, sans autre condition que d'exercer la navigation; ensuite, si de tels monopoles n'existaient pas, tout le monde ne pourrait s'improviser, à un certain age, marin ou pêcheur ; il n'y a donc en somme qu'une protection générale de la main-d'œuvre française; combien d'autres métiers où la main-d'œuvre nationale a un monopole de fait égal à ce monopole de droit.

D'autre part, les marins ont eu, avant tous les autres travailleurs, cette retraite si désirée par la grande majorité des Français; mais la loi du 5 avril 1910 vient de la donner à tous au moins en principe. La pension des inscrits restera sans doute plus forte que les pensions accordées par la loi nouvelle, mais l'obtiendront-ils aussi souvent que les autres, étant donnés les fatigues et les risques de leur métier ?

Ils ont enfin l'assurance obligatoire contre les risques de leur profession; mais les ouvriers n'ont-ils pas la loi du 9 avril 1898 qui réglemente le risque professionnel dans l'industrie. et sera, un jour ou l'autre, complétée au point de vue des maladies profes sionnelles ? Les taux des pensions d'invalidité, allouées aux marins par la caisse de prévoyance, n'est pas très élevé ; on a calculé qu'un marin non breveté n'était pas mieux traité, au cas d'incapacité absolue et permanente, qu'un ouvrier gagnant un salaire annuel de 900 francs. Il ne faut pas oublier d'ailleurs, que le marin contribue à alimenter l'assurance obligatoire dont il profite, tandis que le patron supporte seul les conséquences du risque professionnel.

En somme, la profession de marin continue certainement à présenter des avantages; elle en présente même plus qu'auparavant. Mais les autres métiers commencent à obtenir les plus précieux de ces avantages dont ils étaient autrefois exclus. Par voie de comparaison, la situation a donc plutôt déchu.

Les charges ont aussi, il est vrai, sensiblement diminué. Le service dans les épipages de la flotte était une lourde charge à l'époque où tous les Français ne devaient pas le service personnel. Aujourd'hui, où le service personnel est obligatoire, la seule obligation consiste dans l'affectation particulière des marins. La durée théorique du service est de cinq ans ; mais, en fait, des circulaires ministérielles le réduisent à une durée de 40 à 50 mois ; des dispenses subsistent pour les soutiens de famille; la solde est assez élevée. Enfin, la surveillance exercée sur le marin résidant à l'étranger, n'est pas beaucoup plus sévère que la surveillance de l'autorité militaire sur les réservistes.

Tout cela est vrai. Mais ce qui est vrai aussi, c'est que l'inscrit maritime ne compare pas sa condition à ce qu'elle aurait été il y a un siècle ou même quelques années; mais à celle de ses camarades du même age et de la même ville. Pour ceux-là, le service militaire ne dure plus trois ans, mais deux ans; la durée des périodes d'appel a été réduite; les risques du métier sont nuls; pour lui le service actif dure quatre ans, et même plus à certaines époques, par exemple, après les événements de Fachoda; il reste dans la réserve jusqu'à 50 ans; il doit deux périodes d'exercice de quatre semaines; il peut être embarqué sur l'Iéna qui saute ou le Pluriôse qui coule. Tout cela vaut bien quelque compensation.

Et puis, il n'y a pas que le service dans les équipages de la flotte. N'est-il pas toute sa vie un peu soldat? On disait autrefois que l'inscrit devait être considéré comme restant toute sa vie au service de l'Etat, et prêté temporairement par l'Etat à la marine marchande.

Il y a deux siècles, la formule ne devait point paraître inexacte. La répéter aujourd'hui, serait une exagération manifeste. Pourtant, le marin doit, toute sa vie, être plié à la discipline militaire. S'il ne respecte pas les règles d'un code disciplinaire strict, il commet un délit et devint justiciable d'un tribunal d'exception. Le capitaine n'est pas seulement pour lui le représentant de l'armateur qui l'emploie c'est un chef investi par l'autorité publique d'un droit de commandement et d'un pouvoir de police, chef suprême de la société de l'équipage dont il fait partic.

De cette société, le marin ne peut sortir en rompant son contrat d'engagement. L'ouvrier quitte librement l'usine, alors même qu'il

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