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cessairement suspect, toute conversation sur l'ensemble de la question marocaine ? Or, c'est précisément ce que la diplomatie française paraît avoir fait. Dès qu'il fut question de l'expédition de Fez, l'Allemagne manifesta à demi-mots, explicitement néanmoins, son désir d'une révision de l'acte d'Algésiras. Le 19 avril, M. de Kiderlen dit à M. Cambon :

Au fond, la difficulté pour vous, c'est qu'une fois à Fez, vous aurez bien du mal à en sortir. Et alors que deviendront la souveraineté et l'indépendance du sultan ? Que deviendra l'acte d'Algésiras? (1).

Les insinuations se font plus précises, le 25 avril et le 13 mai. Le 12 juin, le Kronprinz félicite l'ambassadeur de France de l'occupation de Fez et ajoute Vous nous ferez notre part, et tout sera réglé. Dans la fameuse entrevue de Kissingen, M. de Kiderlen est plus net encore :

Mais enfin, que voulez-vous ? Si l'on essaye de replâtrer, on ne fera rien. L'acte d'Algésiras est lézardé (2).

A ces invitations, que répondons-nous? Notre ambassadeur se retranche derrière l'acte d'Algésiras et l'accord de 1909. Il s'évertue à démontrer qu'en allant à Fez, nous ne portons atteinte ni à l'un, ni à l'autre. Or, l'acte d'Algésiras avait sans doute donné à la France, au Maroc, une place de faveur ; mais il était manifeste qu'il ne comportait pas notre installation à Fez et que, d'autre part, une fois à Fez, il ne nous était plus loisible d'en sortir. L'accord de 1909 avait, d'autre part, trop complètement échoué au point de vue économique pour qu'il fût prudent d'en tirer, au point de vue politique, une reconnaissance du protectorat français. Notre ambassadeur reconnaissait lui-même que cet accord ne résolvait pas le problème marocain et qu'ayant payé les autres puissances, il nous faudrait aussi payer l'Allemagne (3). Il est vrai qu'il redoutait de perdre, en acceptant une conversation, la position de défendeur et les avantages qui s'y attachaient. Il avait également lieu de craindre que l'Allemagne ne profitât de cette conversation pour demander sa part du Maroc, plus précisément le port de Mogador. Mais s'il est difficile d'apprécier, après coup, la difficulté de la situation, il semble néanmoins que ces objections étaient loin d'être décisives. On savait déjà, à n'en pas douter, que l'Allemagne avait au Congo des ambitions territoriales et qu'il était possible de

(1) André TARDIEU, op. cit., pp. 383 et suiv.
(2) ANDRÉ TARDIEU, op. cit., p. 414.
(3) André Tardieu, op. cit., p. 409.

lui trouver des dédommagements sous l'Equateur (1). Ces dédommagements eussent été probablement moins onéreux pour la France avant Agadir qu'après. Le gouvernement français eût donc mieux fait, semble-t-il, d'abandonner l'attitude passive qu'il observa jusqu'au moment où l'Allemagne le mit au pied du mur. Une audacieuse initiative l'eût mieux servi que les efforts un peu ridicules qu'il fit pendant deux mois pour démontrer que l'acte d'Algésiras tenait toujours et pour désarmer la méfiance allemande au moyen de maigres pourboires.

Cette réserve ne fait d'ailleurs que confirmer la conclusion qui se dégage de l'histoire de ces trois dernières années, telle que la présente l'ouvrage de M. André Tardieu. Un célèbre Scandinave disait naguère à son fils, en l'envoyant visiter les cours d'Europe : 1, fili mi, et vide quam parva sapientia regatur mundus. Les événements qui auront précédé la naissance du protectorat français au Maroc suggèrent, il faut l'avouer, une réflexion analogue. Le spectacle est un des plus paradoxaux qu'il fut jamais donné de contempler. La pénétration du Maroc par la France, réalisée après dix ans d'efforts et au milieu de multiples difficultés internationales, comptera certainement parmi les œuvres les plus grandes qui aient été accomplies à notre époque. Et pourtant, cette œuvre se décompose, à l'analyse, en une série d'actes incohérents dont les moindres apparaissent comme d'irrémédiables maladresses. Par une singulière fatalité, il suffit qu'un obstacle soit aperçu de loin pour que a diplomatie, pareille à un cycliste inexpérimenté, vienne s'y heurter de front dès le mois d'avril 1911, nous prévoyons que l'Espagne sera tentée d'occuper Larache et nous ne faisons rien pour la détourner sur Tétouan; dès le début de la marche sur Fez, l'intervention allemande se dessine à l'horizon et nous manœuvrons si bien, que deux mois plus tard, elle se produit sous la forme la plus préjudiciable à nos intérêts. Les impairs congolais alternent avec les impairs marocains jusqu'au jour où une négociation mal engagée recule tout d'abord, à propos du Maroc comme du Congo, les bornes de l'impéritie humaine. Pour qu'un ordre soit sorti de ce chaos, il faut que les erreurs des uns aient été largement compensées par celles des autres. Il faut aussi que de temps à autre, un homme d'action soit venu donner le coup de barre que l'on attendait et que d'une façon permanente, la pléiade des pionniers laborieux ait poursuivi, au-dessous de la

(1) Je puis ajouter, à ce propos, que M. de Kuhlman, conseiller de l'ambassade allemande à Londres, me l'avait formellement affirmé, dès la seconde moitié d'avril.

vaine agitation superficielle, un admirable travail de propagande et d'organisation. L'ouvrage de M. Tardieu n'est pas dépourvu, à ce point de vue, d'une certaine portée philosophique.

Il aura rendu au bon sens un dernier service, plus précieux encore. Grâce à lui, l'enchaînement général des événements, depuis février 1909, jusqu'à novembre 1911, est désormais sorti du merveilleux. Les amateurs de mystères et de scandales ne se tiendront sans doute pas pour battus. Ils continueront à échafauder des théories aussi compliquées qu'injurieuses pour découvrir de louches intrigues derrière les actes les plus simples. Mais les gens impartiaux auront de l'affaire d'Agadir une conception moins romanesque. Ils estimeront que le conflit de 1911 est né, comme tous les grands conflits, non pas d'une fistule, mais de causes générales; qu'il avait été préparé par l'échec de la collaboration franco-allemande en Afrique Equatoriale aussi bien qu'au Maroc ; que les responsabilités furent égales de part et d'autre, l'Allemagne ayant témoigné un aveuglement à peu près égal à celui de la France et une intransigeance plus grande ; que la France n'a, d'ailleurs, pas lieu de s'affliger d'un traité qui lui a donné l'empire de l'Afrique du Nord. Ayant ainsi envisagé la question sous ses deux faces, ils tourneront le dos aux diseurs de bonne aventure et cesseront de songer au passé, pour ne plus s'occuper que de l'avenir. PHILIPPE MILLET.

III

POUR L'INSCRIPTION MARITIME

L'armement français vient de se heurter de nouveau aux exigences du personnel. La grève actuelle des inscrits maritimes a ramené l'attention du Parlement et du public sur les conditions du travail dans la marine marchande. On s'est ingénié à découvrir les causes de la crise et à proposer des remèdes inédits. L'inscription maritime a la mauvaise fortune d'avoir attiré l'attention et risque de devenir l'une des victimes de ce désir général de réformes. Son glorieux passé la défend mal; peut-être même la rend-il suspecte aux esprits enthousiasmés par l'essor de marines nouveau-nées. Son origine nationale n'est pas une recommandation bien sûre, à une époque où l'on cherche à l'étranger le secret de l'activité commerciale. Elle n'a pas su conserver la faveur des armateurs; depuis

quelques années, ils déclarent que leur commerce a besoin avant tout de liberté. Il ne s'agit plus de correction ou d'ammendements. C'est le régime tout entier qui paraît condamné.

Cette Revue, d'autres encore, en ont réclamé la suppression pure et simple (1).

Chose curieuse, l'inscription maritime n'a, en fait, jamais mieux fonctionné qu'aujourd'hui. Le temps n'est plus où les habitants du littoral désertaient en masse pour se soustraire à l'appel du commissaire des classes. L'inscription fournit, chaque année, à notre marine de guerre, un contingent régulier, et les avantages promis par l'Etat sont scrupuleusement accordés. L'institution est en pleine vigueur physique.

Mais, qu'on y prenne garde, malgré son apparence vigoureuse, elle pourra tomber en pleine force si les critiques se répètent, se multiplient, finissent par trouver un écho au Parlement.

Quoique l'on ne puisse envisager sans mélancolie la disparition de ce puissant organisme qui fit autrefois la puissance navale de la France (2), il faudrait laisser passer le courant destructeur s'il emportait une œuvre devenue vraiment inutile, entrave gênante à la prospérité de notre commerce maritime, gaspillage de forces insuffisamment utilisées pour la défense nationale. Mais je demande qu'avant de détruire pour un malentendu passager, une œuvre forte d'un tel passé, on veuille bien envisager sous tous ses aspects ce problème complexe. Armateurs et inscrits luttent pour la défense de leurs intérêts privés, et c'est leur droit. Peut-être pensent-ils trop les uns et les autres à des intérêts passagers, et ne voient-ils pas tous les bienfaits qu'ils retirent d'une organisation dont le fonctionnement peut à certaines heures leur paraître défectueux.

Essayons une intervention pour l'inscription maritime.

Si l'inscription maritime a été créée, si elle s'est maintenue pendant deux siècles et demi, c'est qu'elle a paru indispensable au recrutement du personnel nécessaire à la marine de guerre. Pour

(1) La France et l'inscription maritime (Revue Politique et Parlementaire, 1910, p. 262). - J.-CH. Roux. Les grèves de l'inscription maritime (Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1909). LEMÉE. L'inscription MARITIME (Revu générale de la marine marchande, 1905, p. 450). PAWLOWSKI. La marine marchande et l'inscription maritime, 1910. CAPTIER. Etude historique et économique sur l'inscription maritime, 1910. (2) V. CANGARDEL. L'influence de l'inscription maritime sur la puissance navale de la France (Revue maritime 1906, p. 63).

en éprouver la valeur, il faut tout d'abord se placer à ce point de vue.

La critique est trés vive : l'inscription serait aujourd'hui un anachronisme. A l'époque où l'on fuyait le service du roi, l'idée était ingénieuse de trouver pour ce service, une clientèle alléchée par les avantages sérieux qu'on lui promettait. Sans doute, les marins ne paraissent pas avoir manifesté un très grand enthousiasme à quitter les navires de commerce pour monter sur les vaisseaux du roi; tout de même, cela valait mieux que la presse et à la longue, devait finir par être accepté. On eut alors un procédé régulier de recrutement par le consentement volontaire des intéressés.

Mais aujourd'hui, le service militaire étant obligatoire pour tous, on pourrait y soumettre la population maritime, sans qu'elle puisse légitimement se plaindre des appels qui l'atteindraient. La loi du 21 mars 1905 (art. 36, § 4), a d'ailleurs prévu que l'on pourrait verser dans les équipages de la flotte une partie du contingent. Cette prudente disposition n'a d'ailleurs jamais été appliquée. Chaque année, les engagements volontaires fournissent près de 5.000 hommes, qui s'ajoutent aux inscrits levés par l'administration de la marine. Il y a pléthore de personnel.

La critique paraît singulière : on se plaint de l'abondance du personnel. Il faut pourtant reconnaître qu'elle n'est pas vaine. Il y a quelque danger, dans un pays aussi pauvre en hommes que le noire, à laisser passer chaque année dans la réserve des équipages de la flotte des marins qui vieillissent inutiles. Et surtout cette trop grande abondance rend inexplicables les sacrifices consentis par l'Etat pour se procurer des équipages, puisqu'il n'aurait qu'à choisir parmi les recrues et à accepter les concours volontaires.

Mais, y a-t-il vraiment pléthore de personnel? Le service de notre marine de guerre réclame un nombre de marins toujours plus considérable en 1895, il en demandait 45.000, et en 1906, il en fallait 52.000. Le chiffre, aujourd'hui, a encore augmenté. A moins d'une catastrophe ou d'une limitation problématique des armements, on ne s'en tiendra pas là. Le nombre des inscrits provisoires est loin de suivre la même courbe. Pendant la même période, il diminuait de 5.000 hommes. Il pourra encore diminuer. La réduction des effectifs à bord des navires de commerce, la crise de la marine marchande, la décroissance de la pêche peuvent encore le restreindre.

A supprimer les inscrits par qui les remplacer ? Les engagés volontaires, il ne faut point trop y compter. On se leurre un peu sur leur compte. Beaucoup d'entre eux auraient été inscrits provi

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