du Renard et du Buste, etc. qui proprement n'ont point d'action, et dont tout le sens est renfermé dans le seul mot de la fin; ou comme celles de l'Ivrogne et sa Femme, du Rieur et des Poissons, de Tircis et Amarante, du Testament expliqué par Ésope, qui n'ont que le mérite assez grand d'être parfaitement contées, et qu'on seroit bien fâché de retrancher quoiqu'elles n'aient point de morale. Ainsi cette définition, reçue de tous les temps, ne me paroît pas toujours juste. Vous avez lu sûrement encore, dans le très ingénieux discours que feu M. de la Motte a mis à la tête de ses fables, que, pour faire un bon apologue, il faut d'abord se proposer une vérité morale, la cacher sous l'allégorie d'une image qui ne pèche ni contre la justesse, ni contre l'unité, ni contre la nature; amener ensuite des acteurs que l'on fera parler dans un style familier mais élégant, simple mais 'ingénieux, animé de ce qu'il y a de plus riant et de plus gracieux, en distinguant bien les nuances du riant et du gracieux, du naturel et du naïf. Tout cela est plein d'esprit, j'en conviens: mais, quand on saura toutes ces finesses, on sera tout au plus en état de prouver, comme l'a fait M. de la Motte, que la fable des deux Pigeons est une fable imparfaite, car elle pèche contre l'unité; que celle du Lion amoureux est encore moins bonne, car l'image entière est vicieuse 1. Mais, pour le malheur des définitions et des règles, tout le monde n'en sait pas moins par cœur l'admirable fable des deux Pigeons, tout le monde n'en répète pas moins souvent ces vers du Lion amoureux, Amour, Amour, quand tu nous tiens, • OŒuvres de la Motte, discours sur la fable, tom. IX, pag. 22 et suiv. 1 et personne ne se soucie de savoir qu'on peut démontrer rigoureusement que ces deux fables sont contre les règles. Vous exigerez peut-être de moi, en me voyant critiquer avec tant de sévérité les définitions, les préceptes donnés sur la fable, que j'en indique de meilleurs: mais je m'en garderai bien, car je suis convaincu que ce genre ne peut être défini et ne peut avoir de préceptes. Boileau n'en a rien dit dans son Art poétique; et c'est peut-être parce qu'il avoit senti qu'il ne pouvoit le soumettre à ses lois. Ce Boileau, qui assurément étoit poëte, avoit fait la fable de la Mort et du Malheureux en concurrence avec La Fontaine. J. BВ. Rousseau, qui étoit poëte aussi, traita le même sujet. Lisez dans M. d'Alembert ces deux apologues comparés Histoire des membres de l'académie française, tome III. avec celui de La Fontaine; vous trouverez la même morale, la même image, la même marche, presque les mêmes expressions; cependant les deux fables de Boileau et de Rousseau sont au moins très médiocres, et celle de La | Fontaine est un chef-d'œuvre. La raison de cette différence nous est parfaitement développée dans un excellent morceau sur la fable, de M. Marmontel. Il n'y donne pas les moyens d'écrire de bonnes fables, car ils ne peuvent pas se donner; il n'expose point les principes, les règles qu'il faut observer, car je répète que dans ce genre il n'y en a point: mais il est le premier, ce me semble, qui nous ait expliqué pourquoi l'on trouve un si grand charme à lire La Fontaine, d'ou vient l'illusion que nous cause cet inimitable écrivain. « Non-seulement, dit << M. Marmontel, La Fontaine a oui • Éléments de littérature, tome III. << dire ce qu'il raconte, mais il l'a vu, it << croit le voir encore. Ce n'est pas un << poëte qui imagine, ce n'est pas un << conteur qui plaisante; c'est un témoin << présent à l'action, et qui veut vous y <<< rendre présent vous-même: son éru<dition, son éloquence, sa philoso<<< phie, sa politique, tout ce qu'il a d'i<<< magination, de mémoire, de senti<< ment, il met tout en œuvre, de la << meilleure foi du monde, pour vous << persuader; et c'est cet air de bonne << foi, c'est le sérieux avec lequel i << mêle les plus grandes choses avec les « plus petites, c'est l'importance qu'il << attache à des jeux d'enfants, c'est « l'intérêt qu'il prend pour un lapin et << une belette, qui font qu'on est tenté << de s'écrier à chaque instant, Le bon <<< homme! etc. >>>> M. Marmontel a raison; quand ce mot est dit, on pardonne tout à l'auteur, on ne s'offense plus des leçons qu'il nous fait, des vérités qu'il nous |