Court avec lui vers la forêt.
Le chien bat les buissons: il va, vient, sent, arrête,
Et voilà le chevreuil... Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
A la suite du chien qui crie, Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant;
De vaches, point; elles étoient volées. Le malheureux Colin, s'arrachant les cheveux, Parcourt en gémissant les monts et les vallées. Il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l'affaire,
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier, Corrige son cher fils de ses folles idées, Puis lui dit: Chacun son métier, Les vaches seront bien gardées.
LA COQUETTE ET L'ABEILLE.
CHLOÉ, jeune et jolie, et surtout fort coquette,
Tous les matins, en se levant,
Se mettoit au travail, j'entends à sa toilette; Et là, souriant, minaudant, Elle disoit à son cher confident
Les peines, les plaisirs, les projets de son âme. Une abeille étourdie arrive en bourdonnant. Au secours! au secours! crie aussitôt la dame : Venez, Lise, Marton, accourez promptement. Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose. Chloé s'évanouit, et Marton en fureur Saisit l'abeille et se dispose) A l'écraser. Hélas! lui dit avec douceur L'insecte malheureux, pardonnez mon erreur : La bouche de Chloé me sembloit une rose, Et j'ai cru... Ce seul mot à Chloé rend ses sens. Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère; D'ailleurs sa piqûre est légère; Depuis qu'elle te parle à peine je la sens. Que ne fait-on passer avec un peu d'encens !
FABLE XIV. L'ÉLÉPHANT BLANC.
Dans certains pays de l'Asie On révère les éléphants, Surtout les blancs.
Un palais est leur écurie, On les sert dans des vases d'or,
Tout homme à leur aspect s'incline vers la terre, Et les peuples se font la guerre Pour s'enlever ce beau trésor.
Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête, Voulut savoir un jour d'un de ses conducteurs Ce qui lui valoit tant d'honneurs
Puisqu'au fond, comme un autre, il n'étoit qu'une bête. Ah! répond le cornac, c'est trop d'humilité;
L'on connoît votre dignité,
Et toute l'Inde sait qu'au sortir de la vie Les âmes des héros qu'a chéris la patrie S'en vont habiter quelque temps Dans les corps des éléphants blancs. Nos talapoins l'ont dit, ainsi la chose est sûre: Quoi! vous nous croyez des héros?
Et sans cela nous serions en repos,
Jouissant dans les bois des biens de la nature? -Oui, seigneur. - Mon ami, laisse-moi donc partir,
Car on t'a trompé, je t'assure; Et si tu veux y réfléchir, Tu verras bientôt l'imposture : Nous sommes fiers et caressants; Modérés, quoique tout-puissants; On ne nous voit point faire injure A plus foible que nous; l'amour dans notre cœur Reçoit des lois de la pudeur; Malgré la faveur où nous sommes,
Les honneurs n'ont jamais altéré nos vertus : Quelles preuves faut-il de plus? Comment nous croyez-vous des hommes?
Que je te plains, petite plante! Disoit un jour le lierre au thym : Toujours ramper, c'est ton destin; Ta tige chétive et tremblante
Sort à peine de terre, et la mienne dans l'air, Unie au chêne altier que chérit Jupiter, S'élance avec lui dans la nue.
Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m'est connue; Je ne puis sur ce point disputer avec toi :
Mais je me soutiens par moi-même ; Et sans cet arbre, appui de ta foiblesse extrême, Tu ramperois plus bas que moi.
Traducteurs, éditeurs, faiseurs de commentaires, Qui nous parlez toujours de grec ou de latin Dans vos discours préliminaires, Retenez ce que dit le thym.
Un chat sauvage et grand chasseur S'établit, pour faire bombance,
Dans le parc d'un jeune seigneur Où lapins et perdrix étoient en abondance. Là ce nouveau Nembrod, la nuit comme le jour, A la course, à l'affût également habile, Poursuivoit, attendoit, immoloit tour à tour Et quadrupède et volatile.
Les gardes épioient l'insolent braconnier : Mais, dans le fort du bois caché près d'un terrier,
Le drôle trompoit leur adresse. Cependant il craignoit d'être pris à la fin, Et se plaignoit que la vieillesse
Lui rendît l'œil moins sûr, moins fin. Ce penser lui causoit souvent de la tristesse; Lorsqu'un jour il rencontre un petit tuyau noir Garni par ses deux bouts de deux glaces bien nettes :
C'étoit une de ces lunettes
Faites pour l'Opéra, que, par hasard, un soir, Le maître avoit perdue en ce lieu solitaire. Le chat d'abord la considère,
La touche de sa griffe, et de l'extrémité La fait à petits coups rouler sur le côté,
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