Que s'il étoit de la famille. Couché dans le duvet, il dort le long du jour A côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la béquée à son tour,
Et repose la nuit sous l'aile de la mère. Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau, D'un brillant plumage s'habille; Le chardonneret seul ne devient point jonquille, Et ne s'en croit pas moins des serins le plus beau. Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l'objet qu'on aime
Ressemblant à nous trait pour trait! Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire: Il est temps enfin de vous connoître; Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents. C'est d'un chardonneret que le sort vous fit naître. Vous ne fûtes jamais serin: regardez-vous, Vous avez le corps sauve et la tête écarlate, Le bec.... Oui, dit l'oiseau; j'ai ce qu'il vous plaira;
Mais je n'ai point une âme ingrate, Et mon cœur toujours chérira Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien, J'en suis fâché; mais leur cœur et le mien Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien, Leurs soins me prouvent le contraire : Rien n'est vrai comme ce qu'on sent. Pour un oiseau reconnoissant Un bienfaiteur est plus qu'un père.
PHILOSOPHES hardis, qui passez votre vie A vouloir expliquer ce qu'on n'explique pas, Daignez écouter, je vous prie, Ce trait du plus sage des chats. Sur une table de toilette Ce chat aperçut un miroir;
Il y saute, regarde, et d'abord pense voir Un de ses frères qui le guette. Notre chat veut le joindre, il se trouve arrêté. Surpris, il juge alors la glace transparente, Et passe de l'autre côté, Ne trouve rien, revient, et le chat se présente. Il réfléchit un peu: de peur que l'animal, Tandis qu'il fait le tour, ne sorte, Sur le haut du miroir il se met à cheval, Une patte par-ci, l'autre par là ; de sorte Qu'il puisse partout le saisir. Alors, croyant bien le tenir, Doucement vers la glace il incline la tête, Aperçoit une oreille, et puis deux.... A l'instant,
A droite, à gauche, il va jetant
Sa griffe qu'il tient toute prête :
Mais il perd l'équilibre, il tombe et n'a rien pris.
Alors, sans davantage attendre,
Sans chercher pluslong-temps ce qu'il ne peut comprendre, Il laisse le miroir et retourne aux souris :
Que m'importe, dit-il, de percer ce mystère?
Une chose que notre esprit,
Après un long travail, n'entend ni ne saisit, Ne nous est jamais nécessaire.
LA CARPE ET LES CARPILLONS.
PRENEZ garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la rivière; Craignez la ligne meurtrière,
Ou l'épervier plus dangereux encor. C'est ainsi que parloit une carpe de Seine A de jeunes poissons qui l'écoutoient à peine. C'étoit au mois d'avril : les neiges, les glaçons, Fondus par les zéphyrs, descendoient des montagnes; Le fleuve enflé par eux s'élève à gros bouillons, Et déborde dans les campagnes. Ah! ah! crioient les carpillons, Qu'en dis-tu, carpe radoteuse? Crains-tu pour nous les hameçons ? Nous voilà citoyens de la mer orageuse; Regarde: on ne voit plus que les eaux et le ciel, Les arbres sont cachés sous l'onde,
Nous sommes les maîtres du monde, C'est le déluge üniversel.
Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ; Pour que l'eau se retire il ne faut qu'un instant : Ne vous éloignez point, et, de peur d'accident, Suivez, suivez toujours le fond de la rivière. Bah! disent les poissons, tu répètes toujours Mêmes discours.
Adieu, nous allons voir notre nouveau domaine. Parlant ainsi, nos étourdis
Sortent tous du lit de la Seine,
Et s'en vont dans les eaux qui couvrent le pays.
Qu'arriva-t-il? Les eaux se retirèrent, Et les carpillons demeurèrent;
Bientôt ils furent pris Et frits.
Pourquoi quittoient-ils la rivière? Pourquoi? Je le sais trop, hélas!
C'est qu'on se croit toujours plus sage que sa mère, C'est qu'on veut sortir de sa sphère, C'est que.... c'est que.... Je ne finirois pas.
AUTREFOIS dans Bagdad le calife Almamon Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique, Que ne le fut jamais celui de Salomon. Cent colonnes d'albâtre en formoient le portique; L'or, le jaspe, l'azur, décoroient le parvis; Dans les appartements embellis de sculpture, Sous des lambris de cèdre, on voyoit réunis Et les trésors du luxe et ceux de la nature, Les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure, Les myrtes odorants, les chefs-d'œuvre de l'art, Et les fontaines jaillissantes
Roulant leurs ondes bondissantes A côté des lits de brocard.
Près de ce beau palais, juste devant l'entrée, Une étroite chaumière, antique et délabrée, D'un pauvre tisserand étoit l'humble réduit.
Là, content du petit produit
D'un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Couloit des jours doux et paisibles, Point envieux, point envié. J'ai déja dit que sa retraite Masquoit le devant du palais.
Le visir veut d'abord, sans forme de procès,
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