Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[graphic]

Je ne les entends plus aussi-tôt que tu chantes. FABLE PREMIÈRE.

LE BERGER ET LE ROSSIGNOL

A M. L'ABBÉ DELILLE.

Ο τοι dont la touchante et sublime harmonie
Charme toujours l'oreille en attachant le cœur,
Digne rival, souvent vainqueur,
Du chantre fameux d'Ausonie,

Delille, ne crains rien; sur mes légers pipeaux
Je ne viens point ici célébrer tes travaux,
Ni dans de foibles vers parler de poésie.

Je sais que l'immortalité,

Qui t'est déja promise au temple de Mémoire,
T'est moins chère que ta gaîté;
Je sais que, méritant tes succès sans y croire,
Content par caractère et non par vanité,
Tu te fais pardonner ta gloire
A force d'amabilité:

C'est ton secret, aussi je finis ce prologue.
Mais du moins lis mon apologue;
Et si quelque envieux, quelque esprit de travers,
Outrageant un jour tes beaux vers,
Te donne assez d'humeur pour t'empêcher d'écrire,
Je te demande lors de vouloir le relire.

Dans une belle nuit du charmant mois de mai,
Un berger contemploit, du haut d'une colline,
La lune promenant sa lumière argentine
Au milieu d'un ciel pur d'étoiles parsemé,
Le tilleul odorant, le lilas, l'aubépine,

Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,

Et les ruisseaux dans les prairies
Brisant sur des rives fleuries
Le cristal de leurs claires eaux.
Un rossignol, dans le bocage,

Mêloit ses doux accents à ce calme enchanteur:
L'écho les répétoit, et notre heureux pasteur,
Transporté de plaisir, écoutoit son ramage.
Mais tout à coup l'oiseau finit ses tendres sons.

En vain le berger le supplie
De continuer ses chansons.

Non, dit le rossignol, c'en est fait pour la vie;
Je ne troublerai plus ees paisibles forêts.
N'entends-tu pas dans ce marais
Mille grenouilles coassantes

Qui, par des cris affreux, insultent à mes chants?
Je cède, et reconnois que mes foibles accents
Ne peuvent l'emporter sur leurs voix glapissantes.
Ami, dit le berger, tu vas combler leurs vœux;
Te taire est le moyen qu'on les écoute mieux :
Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.

FABLE II.

LES DEUX LIONS.

Sur les bords africains, aux lieux inhabités
Ou le char du soleil roule en brûlant la terre,
Deux énormes lions, de la soif tourmentés,
Arrivèrent au pied d'un désert solitaire.
Un filet d'eau couloit, foible et dernier effort
De quelque naïade expirante.
Les deux lions coururent d'abord

Au bruit de cette eau murmurante.

Ils pouvoient boire ensemble; et la fraternité,
Le besoin, leur donnoient ce conseil salutaire :
Mais l'orgueil disoit le contraire,
Et l'orgueil fut seul écouté.

Chacun veut boire seul: d'un œil plein de colère
L'un l'autre ils vont se mesurant,
Hérissent de leur cou l'ondoyante crinière;
De leur terrible queue ils se frappent les flancs.
Et s'attaquent avec de tels rugissements,
Qu'à ce bruit, dans le fond de leur sombre tanière,
Les tigres d'alentour vont se cacher tremblants.
Égaux en vigueur, en courage,
Ce combat fut plus long qu'aucun de ces combats
Qui d'Achille ou d'Hector signalèrent la rage;
Car les dieux ne s'en mêloient pas.
Après une heure ou deux d'efforts et de morsures,

« AnteriorContinuar »