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FABLE XIV.

LA BALANCE DE MINOS.

MINOS, ne pouvant plus suffire
Au fatigant métier d'entendre et de juger
Chaque ombre descendue au ténébreux empire,

Imagina, pour abréger,

De faire faire une balance,..

Où dans l'un des bassins il mettoit à la fois

Cinq ou six morts, dans l'autre un certain poids
Qui déterminoit la sentence.

Si le poids s'élevoit, alors plus à loisir
Minos examinoit l'affaire;

Si le poids baissoit au contraire,
Sans scrupule il faisoit punir.

La méthode étoit sûre, expéditive et claire;
Minos s'en trouvoit bien. Un jour en même temps,
Au bord du Styx la mort rassemble

Deux rois, un grand ministre, un héros, trois savants.
Minos les fait peser ensemble:
Le poids s'élève; il en met deux,

Et puis trois, c'est en vain; quatre ne font pas mieux.
Minos, un peu surpris, ôte de la balance
Ces inutiles poids, cherche un autre moyen;
Et, près de là voyant un pauvre homme de bien
Qui dans un coin obscur attendoit en silence,

Il le met seul en contre-poids :

Les six ombres alors s'élèvent à la fois.

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FABLE XV.

LE RENARD QUI PRECHE.

Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
Mais instruit, éloquent, disert,
Et sachant très bien sa logique,
Se mit à prêcher au désert.

Son style étoit fleuri, sa morale excellente.
Il prouvoit en trois points que la simplicité,
Les bonnes mœurs, la probité,
Donnent à peu de frais cette félicité

Qu'un monde imposteur nous présente,
Et nous fait payer cher sans la donner jamais.
Notre prédicateur n'avoit aucun succès;
Personne ne venoit, hors cinq ou six marmottes,
Ou bien quelques biches dévotes

Qui vivoient loin du bruit, sans entour, sans faveur,
Et ne pouvoient pas mettre en crédit l'orateur.
Il prit le bon parti de changer de matière,

Prêcha contre les ours, les tigres, les lions,
Contre leurs appétits gloutons,

Leur soif, leur rage sanguinaire.
Tout le monde accourut alors à ses sermons;
Cerfs, gazelles, chevreuils, y trouvoient mille charmes;
L'auditoire sortoit toujours baigné de larmes;
Et le nom du renard devint bientôt fameux.

Un lion, roi de la contrée,

Bon homme au demeurant, et vieillard fort pieux,

De l'entendre fut curieux.

Le renard fut charmé de faire son entrée
A la cour: il arrive, il prêche, et cette fois,
Se surpassant lui-même, il tonne, il épouvante.

Les féroces tyrans des bois,

Peint la foible innocence à leur aspect tremblante,
Implorant chaque jour la justice trop lente

Du maître et du juge des rois.
Les courtisans, surpris de tant de hardiesse,
Se regardoient sans dire rien;
Car le roi trouvoit cela bien.

La nouveauté parfois fait aimer la rudesse.
Au sortir du sermon, le monarque enchanté
Fit venir le renard: Vous avez su me plaire,
Lui dit-il; vous m'avez montré la vérité:

Je vous dois un juste salaire;
Que me demandez-vous pour prix de vos leçons?
Le renard répondit: Sire, quelques dindons.

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LE PAON, LES DEUX OISONS ET LE PLONGEON,

UN

N paon faisoit la roue, et les autres oiseaux
Admiroient son brillant plumage.

Deux oisons nasillards du fond d'un marécage
Ne remarquoient que ses défauts.

Regarde, disoit l'un, comme sa jambe est faite,
Comme ses pieds sont plats, hideux.
Et son cri, disoit l'autre, est si mélodieux,
Qu'il fait fuir jusqu'à la chouette.
Chacun rioit alors du mot qu'il avoit dit.
Tout à coup un plongeon sortit:
Messieurs, leur cria-t-il, vous voyez d'une lieue
Ce qui manque à ce paon : c'est bien voir, j'en conviens;
Mais votre chant, vos pieds, sont plus laids que les siens,

Et vous n'aurez jamais sa queue.

FABLE XVII.

LE HIBOU, LE CHAT, L'OISON ET LE RAT.

DE jeunes écoliers avoient pris dans un trou

Un hibou,

Et l'avoient élevé dans la cour du collège.
Un vieux chat, un jeune oison,
Nourris par le portier, étoient en liaison
Avec l'oiseau; tous trois avoient le privilège
D'aller et de venir par toute la maison.

A force d'être dans la classe,

Ils avoient orné leur esprit,
Savoient par cœur Denys d'Halicarnasse
Et tout ce qu'Hérodote et Tite-Live ont dit.
Un soir, en disputant, (des docteurs c'est l'usage)
Ils comparoient entre eux les peuples anciens.

Ma foi, disoit le chat, c'est aux Égyptiens
Que je donne le prix: c'étoit un peuple sage,
Un peuple ami des lois, instruit, discret, pieux,

Rempli de respect pour ses dieux;
Cela seul à mon gré lui donne l'avantage.
J'aime mieux les Athéniens,

Répondit le hibou: que d'esprit! que de grâce!

Et dans les combats quelle audace!
Que d'aimables héros parmi leurs citoyens!
A-t-on jamais plus fait avec moins de moyens?
Des nations c'est la première.
Parbleu, dit l'oison en colère,
Messieurs, je vous trouve plaisants:
Et les Romains, que vous en semble?
Est-il un peuple qui rassemble

Plus de grandeur, de gloire et de faits éclatants?
Dans les arts, comme dans la guerre,
Ils ont surpassé vos amis.

Pour moi, ce sont mes favoris:

Tout doit céder le pas aux vainqueurs de la terre.
Chacun des trois pédants s'obstine en son avis,
Quand un rat, qui de loin entendoit la dispute,
Rat savant, qui mangeoit des thêmes dans sa hutte,
Leur cria: Je vois bien d'où viennent vos débats,

L'Égypte vénéroit les chats,

Athènes les hibous, et Rome, au Capitole,
Aux dépens de l'État nourrissoit des oisons:
Ainsi notre intérêt est toujours la boussole
Que suivent nos opinions.

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