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aussi bien par l'état misérable du pays que par le contre-coup des idées révolutionnaires, importées de France, principalement après 1848.

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En 1854, à Barcelone, les ouvriers des fabriques avaient abandonné leur travail, « pour défendre leurs droits » ; mais cette première tentative de grève générale n'eut pas de résultat le gouvernement de O'Donnell, aussi bien que celui de Narvaez, se montrait hostile à toute liberté de réunion et d'association, et la façon implacable et cruelle dont ils réprimèrent les troubles qui éclatèrent, à cette époque, sur différents points de la Péninsule, montra qu'ils entendaient ne pas s'écarter de cette règle de politique. Le triomphe de la Révolution de septembre put seule permettre l'apparition de l'Internationale au sud des Pyrénées, et il en assura aussi le rapide succès. Dès la fin de 1869, la section de Madrid - la première fondée par Fanelli — comptait 23 sociétés et 2.000 affiliés. Ce mouvement prit de suite un caractère anti-religieux qu'il est intéressant de remarquer :

« Visitant l'Espagne en 1869, écrit De Laveleye, j'assistai à plusieurs séances de ces clubs socialistes. Elles avaient lieu ordinairement dans les églises enlevées au culte. Du haut de la chaire, les orateurs attaquaient tout ce qui y avait été exalté Dieu, la religion, les prêtres, les riches. Les discours étaient chauffés à blanc, mais les assistants restaient calmes. Beaucoup de femmes étaient assises à terre, travaillant, nourrissant leurs nouveau-nés et écoutant avec attention, comme au sermon. C'était bien l'image de 93... (1) »

Notre intention n'est pas de raconter ici en détail l'histoire des phases diverses par où est passée l'Internationale. Elle fut surtout marquée par de violentes luttes intestines, qui, dès sa formation, éclatèrent enre les « autoritaires » et les « antiautoritaires >>.

Les anti-autoritaires se disaient anarchistes, parce que, avec Bakounine, ils niaient l'Etat et le Gouvernement, parce qu'ils rêvaient « de bâtir, sur les ruines de l'unité nationale, les municipes, libres et indépendants, liés seulement par des pactes fédéraux, destinés à se garantir mutuellement les

(1) Le socialisme en Europe, p. 210.

services publics, les échanges et communications, etc. >> Contrairement à leurs adversaires, qui préconisaient la possession du pouvoir politique par la classe travailleuse, ils déclaraient rester en dehors des partis, « tout en s'organisant euxmêmes fortement, afin de profiter de tout mouvement poli tique et accroître leurs forces jusqu'au jour où elles leur permettraient de lever l'étendard de la Révolution sociale ». Enfin, ils s'intitulaient collectivistes, uniquement par opposition à Marx et à ses partisans autoritaires, qui se qualifiaient de communistes, et parce que leur idéal était « la transformation de la propriété individuelle en propriété collective », et que leur formule économique était non pas « la prise au tas »>, mais « à chacun le produit intégral de son travail »... « Depuis, il y eut un chassé-croisé: les marxistes, qui admettent en fin de compte, tout à fait dans le lointain, la disparition de l'Etat, expression des classes dirigeantes, mais qui veulent, dans la période intérimaire, une autorité répartitive de la production, se qualifient aujourd'hui plus justement de collectivistes ; les libertaires, arrivant à cette constatation qu'il est impossible, dans l'état actuel d'industrialisme et de division du travail, de discerner et d'apprécier exactement l'effort de chacun, en sont venus à cette conception plus large, plus fraternelle, mais qui demande évidemment pour se réaliser une production surabondante : « la prise au tas », et ils sont devenus pour la plupart des communistes (1)... »

L'Internationale fut dissoute une première fois par Sagasta, en janvier 1872, un seconde fois par le maréchal Serrano, après le Coup d'Etat du 3 janvier 1874.

Si l'on se rapporte au rapport du délégué espagnol au Congrès international de Genève (septembre 1873), cette association aurait compté, à cette époque, 270 fédérations régionales, comprenant 557 sections de métiers et 117 sections diverses, en tout 674 sections, avec 300.000 affiliés, pour la (1) MALATO, dans Pages Libres, 24 mai 1902.

plupart en Catalogne et en Andalousie. Elle possédait un grand nombre de journaux, qui défendaient tous le programme de Bakounine: la Solidaridad et la Federacion de Barcelone, El Orden de Cordoue, El Obrero de Grenade, la Internacional de Malaga, El Condenado, los Descamisados, El Petroleo, de Madrid, la Revista Social de Gracia.

Les anarchistes prétendent même qu'en dépit de la dissolution deux fois prononcée contre elle, et des persécutions de la police, l'Internationale n'a pas cessé d'exister. Ce qui est certain, c'est qu'ils profitèrent de l'avènement des libéraux au pouvoir en 1881 et de la liberté relative dont jouit l'Espagne à cette époque, pour la reconstituer au grand jour. Un congrès ouvrier régional, réuni le 23 septembre à Barcelone, décida que l'ancienne association prendrait désormais le nom de Fédération des Travailleurs de la région espagnole. L'histoire de ce nouveau groupement, comme celle de l'anarchisme en général au sud des Pyrénées, est nécessairement fort obscure. Ce que l'on peut assurer, c'est que la Fédération ne fit pas preuve de plus de cohésion et d'unité que la vieille Internationale. Les Congrès qu'elle tint en différentes villes furent le champ clos entre les « communistes » et les « collectivistes », dont les luttes rappellent celles des «< autoritaires et des «< anti-autoritaires >>.

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Les premiers préconisaient non seulement la possession en commun des instruments du travail, mais aussi la jouissance en commun des produits du travail ; tandis que les seconds, tout en proclamant le droit à la vie et l'abolition de la propriété individuelle de la terre, des grands instruments de travail et de tous les biens de la nature, déclaraient laisser toute liberté aux groupes et aux individus de s'organiser à leur guise pour la jouissance des biens, consacrant ainsi la propriété individuelle du fruit de l'effort de chaque individu.

Mais la différence capitale entre ces deux groupes ennemis était que les communistes répudiaient toute espèce d'organisation, alors que les collectivistes étaient partisans d'une organisation sociale anarchiste, ou, selon leurs expressions, « d'une libre fédération d'associations libres et de producteurs libres ». L'organe officiel des communistes était Tierra y

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bertad, celui des collectivistes El Productor: ces deux journaux se publiaient à Barcelone.

La Fédération arriva, paraît-il, à réunir de 50 à 60.000 adhérents. Elle disparut vers 1883. Elle fut remplacée alors par d'autres groupements, la Fédération de résistance au capital ou Pacte d'Union et de solidarité, constituée en 1887, où dominaient les « collectivistes », la Fédération régionale des sociétés ouvrières, en 1900, dont la vie est également fort obscure. Cette dernière Fédération avait pour but principal « de servir de lien entre les syndiqués espagnols et les syndicats ou sociétés françaises ou anglaises qui défendent l'idée de la grève générale ».

Mais l'idée d'organisation était trop discutée dans les milieux libertaires, pour que ces vastes Fédérations, aux liens trop lâches, aient pu jouir de quelque autorité au sein du parti. L'échec de la grève générale de Barcelone, en 1902, porta le coup de grâce à l'anarchisme « collectiviste ». Les réunions devinrent difficiles, les ouvriers montrèrent plus de réserve à s'affilier à la Fédération. La plupart des sociétés ouvrières existant en Catalogne fondirent rapidement ou s'émiettèrent en une foule de petits groupements, de quatre ou cinq membres au plus. Ceci explique que, ces dernières années, on n'a pu guère signaler à Barcelone que des grèves partielles, sans grande importance.

Mais dans ces années de tranquillité apparente, il s'accomplissait, sans bruit, un travail souterrain, qui ne devait pas tarder à porter ses fruits. Ce fut d'abord la constitution d'un groupement ouvrier, la Casa del Pueblo, fondée par le député radical Alejandro Lerroux, qui a recruté ses membres de préférence parmi les ouvriers nouvellement immigrés à Barcelone, et, pour la plupart, étrangers à la région. Puis, en janvier 1908, se forma à Barcelone une nouvelle Fédération, issue du syndicalisme et qui est l'héritière directe des anciennes sociétés anarchistes: la Solidaridad Obrera, groupant 103 syndicats el 24.000 membres, et entretenant d'étroites relations avec la Confédération générale du Travail française. Son rôle, dans les derniers troubles de Barcelone, paraît avoir été des plus importants (1).

(1) Voir M. V. MORENO, dans les Documents du Progrès, novembre

L'introduction du syndicalisme révolutionnaire au sud des Pyrénées n'apparaît ainsi que comme une nouvelle phase de l'histoire de l'anarchisme. Bien qu'on puisse trouver entre le syndicalisme et l'anarchisme un grand nombre de différences, surtout théoriques, c'est par leurs moyens d'action, au moins, qu'ils se ressemblent.

L'idée de la grève générale que préconisent nos syndicalistes, il y a beau temps que les compagnons de Barcelone s'en font les apôtres et la mettent en pratique! L'échec de 1902 fut attribué surtout à ce que la propagande antimilitariste n'avait pas été, au préalable, assez active. « C'est un fait indéniable, déclarent-ils, que tant que l'armée prêtera son concours et son appui aux classes dirigeantes, le peuple, malgré son héroïsme, sera vaincu. » Ceci explique que lors des récentes <<< journées de juillet », qui ensanglantèrent de nouveau les pavés de la cité comtale, et qui furent motivées, avant tout, par l'expédition du Maroc, les insurgés recevaient les troupes, qu'on envoyait contre eux, aux cris, en apparence. contradictoires, de « A bas la guerre ! » et « Vive l'armée ! » Les malheureux espéraient ainsi amener les soldats à faire cause commune avec eux... Dans la pensée des libertaires espagnols, l'antimilitarisme doit donc préparer les voies à la grève générale, et c'est encore un point où se rencontrent les anarchistes de la Péninsule et les membres de la Confédération générale du Travail en France.

Cette analogie ne saurait, au reste, surprendre, si l'on songe que dans les syndicats affiliés à la C. G. T., il se trouve nombre d'anciens anarchistes mal repentis, qui y exercent une influence prépondérante.

Chez les uns comme chez les autres, c'est la même antipathie contre l'Etat et la patrie, le même désir de mener la lutte contre la société capitaliste en dehors des partis politiques, un égal mépris du suffrage universel, l'intention arrêtée de ne compter, pour mener à bonne fin la révolution sociale, que sur les forces du prolétariat. Tout au plus, peut-on remarquer que les libertaires sud-pyrénéens ont admis d'emblée cette conclusion, à laquelle nos « syndicalistes » ne sont arrivés qu'après l'expérience pleine et entière — décisive, selon eux, et, qu'ils jugent désastreuse que la France a faite de la démocratie.

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