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premier et le principal élément de ce « domaine industriel » duquel la Ville rêvait de tirer de si copieuses recettes nouvelles pour ses budgets, on se rendit immédiatement compte que ni les consommateurs, ni les ouvriers et employés de ce monopole communal, n'entendaient laisser la caisse municipale bénéficier des plus-values entrevues par les rapporteurs généraux des budgets parisiens.

Les consommateurs de gaz non seulement comptaient bien obtenir une diminution sensible du prix de vente et des frais accessoires dès l'expiration du contrat qui liait la Ville à la Compagnie Parisienne d'éclairage et de chauffage par le gaz; mais, profitant abusivement des difficultés politiques au milieu desquelles se débattaient alors les élus de Paris, ils exprimaient, sous des formes plutôt impératives, le désir de bénéficier immédiatement et de cet abaissement du prix du gaz et de la diminution des frais accessoires.

En même temps, le personnel du gaz présentait comme corollaire inattendu des exigences des consommateurs de gaz, une série de revendications, réclamant et l'augmentation des salaires ou appointements et des conditions de travail, de congé et de retraite semblables à celles du personnel municipal, auquel il demandait à être assimilé.

Le Conseil céda sur ces deux points.

On a sévèrement jugé ses décisions et, au point de vue des sains principes financiers, elles prêtent évidemment à la critique; mais si l'on se reporte par la pensée à l'époque à laquelle il émit ces votes, on n'aura guère le courage de blâmer une attitude qui lui fut imposée par l'immense majorité des électeurs.

Malheureusement pour les futurs budgets, en établissant un tel précédent, on ruinait radicalement tout espoir de tirer jamais du « domaine industriel municipal » aucune ressource nouvelle. Et quand il a été question, soit de régler le futur régime de l'électricité, soit de réorganiser les divers réseaux des omnibus et des tramways, les mêmes exigences, financièrement contradictoires, du public impatient et du personnel organisé et syndiqué ont contraint la Ville à établir des tarifs infiniment trop bas pour qu'elle pût conserver la possibilité d'exiger d'importantes et nouvelles redevances, et firent

stipuler, en faveur des personnels intéressés, de telles conditions de travail, de salaires et de retraites qu'au point de vue des budgets futurs les exploitations nouvelles n'auront aucune action bienfaisante, si même elles ne diminuent, pendant quelques exercices, les recettes annuelles tirées jusqu'alors des différentes concessions de ces monopoles communaux.

Néanmoins, la tradition aidant, les rapporteurs généraux du budget de Paris (et les Conseils municipaux) continuèrent à refuser toute création de nouvelles ressources budgétaires et à se défendre à eux-mêmes d'escompter d'avance les disponibilités futures de la dette, ce qui était cependant fort tentant. Ceci mena jusqu'au budget de 1905.

Mais on ne pouvait rester dans cette vague expectative; il fallait, à un moment donné, prendre une décision quant à l'utilisation des disponibilités du service de la dette.

Deux procédés furent envisagés. Tout d'abord le procédé consacré, en quelque sorte classique, qui consistait à emprunter un nombre de millions de francs déterminé en affectant au paiement des intérêts et de l'amortissement de cette dette nouvelle d'abord les 14.000.000 de francs auparavant consacrés au service de l'emprunt de 1869; puis, ensuite, l'annuité à peu près équivalente de l'emprunt de 1865. Ce procédé était, il faut bien le dire, considéré comme le plus naturel et le seul pratique par la presque unanimité des élus et des fonctionnaires de l'Hôtel de Ville de Paris. Ils avaient la conviction que seul l'emprunt permet de faire des grands travaux. De cette funeste erreur est venu tout le mal.

Cependant quelques dissidents, en tête desquels se plaça le rapporteur du budget, étudièrent et présentèrent un autre mode d'emploi de ces bienheureuses disponibilités. Ils avaient déjà soutenu, sans succès d'ailleurs, en 1902, que, au lieu de s'endetter en contractant un emprunt de 200 millions de francs, le département de la Seine aurait eu un très grand avantage à ne rien emprunter, mais à doter directement, au moyen de crédits inscrits à son budget, les divers travaux qu'il désirait exécuter, en y consacrant le produit des centimes additionnels dont il avait demandé et obtenu la prorogation en vue de l'exécution de ces travaux.

C'est M. André Lefèvre, dans son rapport général sur le

projet de budget de 1905, qui soutint, avec beaucoup d'énergie et de talent d'exposition, au Conseil municipal, cette thèse nouvelle de la dotation directe, sans emprunt, des grands travaux. Il le fit avec une grande abondance d'arguments et une véritable clarté, tant dans son exposé écrit que dans ses explications à la tribune.

Mais on n'était malheureusement pas préparé à ces idées. Certainement, son argumentation surprit nombre de ses collègues ; leur esprit ne pouvait s'habituer à concevoir la dotation de grands travaux autrement que par l'emprunt des capitaux nécessaires à leur exécution. N'avait-on pas toujours procédé ainsi ?

Cependant M. A. Lefèvre expliqua qu'on aurait économisé d'immenses ressources à agir autrement; que, au lieu d'aggraver encore le service de la dette de Paris, au lieu d'accroître à nouveau le fardeau, par beaucoup jugé à peine supportable, des contribuables, la Ville pouvait, en une trentaine d'années, doter pour 500 à 525 millions de francs d'opérations et de grands travaux sans emprunt, en affectant à cet objet, au fur et à mesure qu'elles apparaîtraient, les disponibilités dues à l'extinction des dettes anciennes, notamment à celles de 1869 et de 1865 dont les remboursements auraient lieu au 31 juillet 1909 et au 1er février 1929.

En consacrant, de 1910 à 1940, par exemple, les disponibilités à provenir du service de la dette au paiement des opérations de voirie, aux travaux d'écoles, à l'amélioration du service des eaux, etc., il montra que non seulement le Conseil municipal n'ajouterait rien au poids du service de la dette après 1909; mais que, après avoir achevé ces travaux et en avoir acquitté le prix sans surcharger d'un seul centime les contribuables, on laisserait aux Conseils futurs des disponibilités, libres de toute affectation, dépassant 32 millions de francs par an.

La Ville pourrait alors, observait le rapporteur général du budget, soit demander à continuer la perception des centimes additionnels correspondant aux anciennes annuités et en consacrer les produits à de nouvelles opérations, soit abandonner une partie des centimes additionnels actuellement imposés pour dégrever d'autant les contribuables parisiens en con

sacrant la fraction conservée à l'amélioration des services municipaux. La dette continuerait à s'amortir régulièrement. Et il concluait que le Conseil municipal pouvait décider dès 1905 de ne plus jamais recourir à l'emprunt, sauf pour les entreprises municipales comme le Métropolitain ou le Gaz, dont les exploitations supportaient, sans charge pour les budgets parisiens, les intérêts et l'amortissement des emprunts spéciaux, industriels, contractés pour établir ces monopoles annexes des services communaux.

Plutôt entraînée que convaincue, la majorité du Conseil municipal se rangea à l'avis de M. André Lefèvre, L'administration finit également par faire sienne la méthode financière qu'il préconisait. C'était, au fond, celle de la dotation directe des dépenses de grands travaux, que le préfet avait essayé d'opposer à la proposition de l'emprunt départemental de 200 millions de francs quand on l'apporta au Conseil général de la Seine et qu'il avait, un moment, réussi à faire admettre par le gouvernement, lequel l'abandonna d'ailleurs bientôt pour raisons politiques.

Ces hésitations, cette timidité à suivre la voie nouvelle que montrait à ses collègues M. André Lefèvre se traduisirent dans la délibération même qui sanctionnait l'adoption du principe de la dotation directe, sans emprunt, des travaux à exécuter en dehors des ressources normales budgétaires. Voici le texte de cette délibération prise le 29 décembre 1904:

« LE CONSEIL:

« Vu le tableau récapitulatif des annuités à payer pour le service de la dette municipale de 1905 à 1979 annexé au budget de 1905;

« Considérant que les emprunts sauf les emprunts industriels se dotant par eux-mêmes sont toujours onéreux pour la Ville;

« Sur le rapport présenté au nom du comité du budget et du contrôle par M. André Lefèvre, rapporteur général (imp. no 79 de 1904);

« Vu l'amendement de M. Marsoulan adopté par le comité du budget et du contrôle;

DÉLIBÈRE:

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« ARTICLE 1er. Les disponibilités à provenir de l'amortissement des divers emprunts ou des annuités fixes ou variables seront exclusivement affectées à la dotation des travaux à exécuter.

« ART. 2. Les travaux pour les adductions d'eau et pour les écoles auront la priorité sur tous les autres. >>

La préoccupation que traduisait cet article 2 additionnel devait bientôt faire déroger au principe posé de la répudiation du système des emprunts. En dépit de la présentation, au mois de mars 1908, d'un mémoire du préfet soumettant un programme de grands travaux et proposant de le doter exclusivement au moyen des disponibilités devenant libres à partir de 1910 par suite du complet remboursement des emprunts ou de l'amortissement de la dette secondaire, on emprunta pour les besoins scolaires.

La loi de séparation des églises et de l'Etat et la dissolu tion des congrégations enseignantes avaient fait craindre qu'un nombre trop considérable d'enfants, eu égard aux places disponibles dans les écoles de la Ville, élèves venant des écoles congréganistes, vinssent réclamer leur admission dans les écoles primaires communales.

Pour parer à cette pressante nécessité, le Conseil municipal vota, en 1907, l'exécution d'un plan de campagne de constructions scolaires. Pour le doter, il adopta en 1908 une combinaison financière qui constituait un système mixte, une compromission singulière entre le système de la dotation directe et celui - pourtant par lui condamné des emprunts. Voici ce compromis : On entamait les fameuses disponibilités en décidant de prélever sur elles, pendant dix ans (de 1910 à 1919), 5.500.000 francs annuellement. Aux 55 millions de francs ainsi gagés on ajoutait le produit d'un petit emprunt de 37.500.000 francs à contracter sans émission publique et remboursable en 30 ans, de 1911 à 1940. C'est qu'on continue à croire - ce qui n'est, à notre avis qu'un préjugé que pour exécuter vite, il faut nécessairement emprunter. Cette première entorse donnée à la résolution de ne plus emprunter devait conduire à l'abandon du principe de la dotation directe. Le mémoire du préfet qui l'exposait et en proposait l'application à un programme de 500 millions de fr. de travaux ne fit jamais l'objet d'un débat, ni en comité du budget, ni en séance publique (1).

C'est que, désireux de donner satisfaction à toutes les demandes que les comités et les électeurs ajoutaient au pro

(1) Ce mémoire assurait, par la dotation directe et sans emprunt, pour

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