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III

LE SYSTÈME MONÉTAIRE OTTOMAN ET SA RÉFORME

Le système monétaire ottoman actuellement en vigueur a élé adopté en 1844, sous le règne du Sultan Abd-ul-Médjid Khan, et complété en 1880 par la suspension de la frappe du gros médjidié ou écu d'argent (1). Ce système avait été établi sur la base de l'équivalence du gros médjidié d'argent au cinquième de la livre turque; mais à la suite de la baisse progressive, de 1873 à la fin de 1879 (2), de la valeur du médjidié, et pour rétablir la parité entre la valeur des monnaies d'argent et d'or, le prix du gros médjidié a été réduit de 20 à 19 piastres par le Décret sur la monnaie de 1880, en même temps que la frappe en était arrêtée. Les fractions du gros médjidié, soit les pièces de 10, 5, 2, 1 et 1/2 piastres, étaient soumises à une réduction proportionnelle (3). Le système monétaire adopté en 1844 étant le bimétallisme, toute dette peut être acquittée en espèces d'or ou d'argent,d'après leur tarif officiel, lorsqu'il n'y a pas de spécification de monnaie. Toutefois, la banque, le commerce et les particuliers ont adopté la livre turque, comme base de leurs opérations et comme étalon des valeurs, de sorte que le système bimétallique n'est appliqué qu'aux entrées et aux sorties des caisses publiques.

Le système du double étalon aboutissant fatalement à la circulation de la monnaie dont la valeur intrinsèque est la moindre, de même qu'aucun contribuable ne porte aux caisses publiques de l'or d'après le tarif légal, mais des médjidiés d'argent, de son côté, le Trésor public paie non seulement en médjidiés, mais est autorisé depuis 1899 à dépenser la livre turque à 102 piastres

(1) Le médjidió d'argent, au titre de 830 millièmes, pèse 24 grammes 55 milligrammes.

(2) Voir le tableau graphique, ci-annexé, dressé sur la base d'une statistique, qui m'a été obligeamment communiquée par la Banque Impériale Ottomane.

(3) Il a été ultérieurement décidé que chaque contribuable aurait le droit de payer jusqu'à concurrence de 5 piastres, en monnaie divisionnaire, sans qu'il soit tenu compte de la susdite réduction.

30 paras c'est-à-dire à 102,75 au lieu de 100 (1). Le ministère des Finances autorise même souvent les contribuables, à payer la livre turque à 102 piastres et au-dessus, pour faciliter l'acquit tement de leurs taxes.

En faisant abstraction des monnaies d'argent à bas titre dites « métalliques » et de la livre turque, adoptée en fait comme étalon monétaire (2) par la banque, le commerce et les particuliers; les monnaies d'argent, ayant cours en Turquie, sont: 1° la piastre courante, c'est-à-dire le médjidié d'argent circulant à 20 piastres, et ses subdivisions, employés dans le commerce de détail à Constantinople, comme appoint de la livre turque. La valeur de la piastre courante par rapport à la livre turque n'a pas varié pendant les vingt-huit dernières années et reste fixée à 108; 2° la piastre officielle, le médjidié calculé à 19, laquelle est une monnaie de compte, réservée exclusivement aux transactions officielles intérieures ; 3° les piastres locales en usage dans les provinces, qui sont également des monnaies de compte. Ainsi, tandis que dans le sandjak de Konia, dans le vilayet de Trébizonde et à Bitlis le gros médjidié a cours à 20 piastres et la livre turque à 108, comme à Constantinople, dans le vilayet de Bagdad, à Angora et dans quelques-unes de ses dépendances, et à Bassora le médjidić a cours à son tarif légal, c'est-à-dire à 19 piastres et la livre turque, de 102 à 103 piastres. Dans une troisième catégorie de localités, le prix nominal du médjidié s'est établi entre 21 et 47 piastres (3). C'est ce que nous avons appelé les piastres locales. Cependant un point mérite d'attirer l'attention, c'est que, comme nous l'avons indiqué dans le tableau qui suit, à une différence insignifiante près, partout la livre turque fait par rapport au médjidié une prime de 8 0/0 ou, en d'autres termes, la valeur réelle du médjidié ne varie pas.

(1) Le cours de 108 piastres de la livre turque correspondant, le médjidié à 19 piastres, à 102 piastres 24 paras, le Trésor se trouve donc donner en paiement la livre turque à 6 paras au-dessus de sa valeur courante. La livre turque, au titre de 916 2/3 millièmes pèse 7 grammes 216 milligrammes.

(2) Quoique l'art. 1er du décret sur la monnaie porte que la livre turque est adoptée comme étalon monétaire, il faudrait pour que ce principe soit réalisé, que la perception de toutes les contributions ainsi que le paiement de toutes les dépenses aient lieu en or, l'argent étant réduit au rôle de monnaie d'appoint.

(3) Ces données sont empruntées à un tableau dressé par le ministère des Finances ottoman en 1903.

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Il faut constater en premier lieu que le système monétaire que nous avons exposé plus haut est sain en principe. En effet, les commerçants ottomans, dans leurs remises à l'étranger ne subissent aucune perte, en dehors d'une différence naturelle de change, ce qui suffit à établir que la circulation ottomane est saine. Ainsi une livre turque renfermant pour 22 fr. 76 centimes d'or fin, l'Administration de la Dette publique a acheté à vue sur Paris 22 fr. 79 par livre turque, en moyenne, en 1906 et 22 fr. 82 en 1907. La livre sterling renfermant pour 110 piastres 78 d'or fin, l'Administration de Dette publique a payé en moyenne en 1906, par souverain acheté sur Londres, 110 piastres 43 centimes et en 1907 110 piastres.

Les différences constatées d'un sandjak à un autre, voire d'un canton à un autre, dans le prix nominal de l'écu d'argent et de ses fractions, étant le résultat de coutumes locales, ne représentent pas des inconvénients inhérents au système existant. Le principal inconvénient de celui-ci consiste dans ce fait que l'or fait par rapport à l'argent une prime de 8 0/0, soit de 8 piastres, le médjidié à 20 piastres et de 2 piastres 60 centimes, le médjidié à 19 piastres. Dans l'état actuel des choses, la perte du Trésor de ce chef qui est de 2,60 0/0 sur ses paiements en or, se chiffre par une somme élevée. Mais on ne doit pas perdre de vue que la différence qui existe entre 100 piastres, le médjidié à 19 et une livre turque n'a aucun effet sur la perception de droits ad valorem tels que les

(1) Le para est la quarantième partie de la piastre.

(2) Si l'on calculait les différences des deux dernières colonnes, sur la base du médjidié à 20 piastres, elles se réduiraient davantage. Par exemple la différence de 1 piastre et 4 paras pour Ghaza, convertie en piastres à 20, se réduit à 18 1/2 paras.

taxes de douanes ou d'impôts qui, comme la dime, représentent le prix d'une marchandise (1).

La monnaie étant une marchandise servant d'intermédiaire pour les échanges et de commune mesure des valeurs, il est naturel qu'elle ait une valeur intrinsèque. Dans les pays qui, comme la France et la Turquie, ont adopté le système bimétallique, le rapport légal établi entre la monnaie d'or et d'argent se modifiant avec le temps, la valeur intrinsèque tantôt de l'une, tantôt de l'autre monnaie, s'est trouvée en baisse. Dans le système ottoman, le rapport entre l'argent fin contenu dans 5 médjidiés et l'or fin contenu dans une livre turque est représenté par la proportion de 15,09. Si l'on tient compte des frais de frappe qui sont de 1 0/0 pour l'or et de 2 piastres 29 paras, c'est-à-dire de 2,725 0/0 pour les monnaies d'argent, le rapport pratique entre l'argent et l'or s'élève à 15,37 (2) auquel correspond sur la place de Londres le cours de 61 pence 3/8 (3) pour l'argent en lingot.

La puissance d'achat du métal qui fait prime étant plus grande sous forme de lingot que sous sa forme monnayée, il est converti en lingots ou exporté et on porte à la Monnaie le métal dont la valeur intrinsèque est en baisse. Cette loi, qui a été expérimentée notamment en France, a produit les mêmes effets en Turquie.

Si on examine la cote de l'argent en lingot de 1844 à ce jour, on constate que jusqu'en 1850, le prix moyen annuel est de 59 1/2 pence, soit au-dessous du prix correspondant à sa valeur légale ; de 1851 à 1866 le prix varie entre 60 1/2 et 62 pence, c'est-à-dire qu'il est tantôt au-dessous et tantôt au-dessus de sa valeur légale et de 1867 à 1880, année de la suspension de la frappe du médjidié, le prix de l'argent a baissé d'une façon continue de 60 1/2 pence à 52 1/4 pence. Lorsque le prix du métal-argent était élevé, notamment dans les années 1857, 1859 et 1860, suivant toute probabilité, les monnaies d'argent ont dû être converties en lingots

(1) La prime de l'or n'a pas non plus d'effet sur les évaluations immobilières postérieures à l'adoption du cours officiel de 19 piastres du médjidié, c'est-à-dire à l'année 1880.

(2) La livre turque renfermant 6 grammes 614 milligrammes d'or fin, une oke (1 kilogr. 282 gr. 945) d'or fin permet la frappe de 19.395 piastres 25 paras; tandis qu'un médjidié renfermant 19 grammes 965 milligrammes d'argent fin, on peut avec une oke d'argent fin frapper 1.285 piastres. Si on déduit de ces chiffres les frais de frappe, à raison de 1 0/0 pour l'or soit 193 piastres 38 paras, et de 2,725 0/0 pour l'argent, soit 35 piastres, il reste 19.201 piastres 28 paras et 1.249 piastres dont se rapprochement donne le rapport de 15,37.

(3) Le cours de l'argent en lingot se cote à Londres pour une once troy au titre standard, soit 28 grammes 770 milligrammes d'argent fin.

ou exportées et de l'or frappé à leur place. Par contre, lorsque le métal-argent était en baisse, notamment de 1869 à 1880, l'or a été converti en lingot ou exporté et de l'argent frappé à sa place.

En l'absence d'une statistique régulière donnant par année la frappe d'or et d'argent, depuis l'institution du système monétaire ottoman, nous sommes obligés de recourir à des calculs approximatifs pour prouver ce qui précède. Si on compare la frappe en monnaies d'argent des règnes des sultans Abdul-Médjid et Abdul-Aziz (1844-1876) avec celle de la période qui prend fin avec la suspension de la fabrication du médjidié (1876-1880); on constate que c'est la production moyenne annuelle de la première période, qui comprend cependant les premières années de l'institution de notre système monétaire, qui est plus faible, tandis que la production de la seconde période dépasse de plus de deux fois et demie celle de la première.

Or, si l'on compare la frappe de l'or dans les mêmes périodes, la production annuelle de la seconde période (1) n'est que la septième partie de celle de la première. De façon que si la frappe d'argent de la seconde période avait eu lieu dans la même proportion que celle de l'or, elle aurait dû être dix-sept fois plus faible. Cete frappe désordonnée de l'argent ne correspondait à aucun besoin de la circulation et constituait simplement une spécula tion sur la baisse de l'argent en lingot. Dans ces conditions la quantité d'argent monnayé ayant de plus en plus dépassé les besoins de la circulation, la valeur du médjidié a baissé d'une fa çon continue et rapide surtout après 1874, comme l'indique le tableau graphique ci-annexé. Depuis l'arrêt de la frappe, c'est-à-dire depuis mars 1880, la valeur du médjidié reste stationnaire. En février 1880, le cours du médjidié par rapport à la livre turque avait baissé à 107 piastres 30 paras, la quantité en circulation n'ayant pas changé depuis, la valeur courante du médjidié reste fixe à 108 piastres. C'est à peine si durant ces vingt-huit années, les cours moyens annuels de la place ont oscillé, au maximum de 25 paras, au-dessus ou au-dessous de ce prix de 108. On peut déduire d'une façon certaine de ce phénomène, que si la frappe du médjidié avait été arrêté en 1874, sa valeur actuelle par rapport à la livre turque serait celle qu'il avait à cette date soit 101 piastres et demie. Nous pouvons donc affirmer que le prix du médjidié n'est pas une chose artificielle et que le cours de 100 1/2 en 1864

(1) La quantité d'or frappée de 1876 à 1880 n'étant pas connue, nous avons dû prendre la moyenne annuelle de la frappe de 1876-1884.

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