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dicat agricole d'achat et de vente seront les mêmes que celui du syndicat professionnel. » Mais alors, ne cessons pas de le répéter, pourquoi cette dualité de Syndicats? Les efforts laborieux de M. Decker-David, pour souder entre eux le syndicat nouveau et le Syndicat ancien sont louables, mais ils aboutissent à créer, suivant la très juste expression de M. Decharme, «une personne à deux têtes » (1).

L'honorable rapporteur et M. Decharme ont trouvé la chose naturelle, beaucoup ont pensé le contraire; et les critiques ont été si vives à ce sujet, que M. Decker-David a tenu. à donner sur ce point une nouvelle justification du projet. « On nous a reproché, a-t-il dit dans une conférence au Cercle Agricole du Pas-de-Calais (2), de créer sous la nouvelle dénomination de Syndicats économiques agricoles des organismes nouveaux. Il n'en est rien, car le syndicat économique destiné à l'achat et à la vente en commun n'est autre chose que ce que sont la plupart des syndicats créés sous le régime de la loi de 1884. Si le Syndicat veut s'occuper en même temps des intérêts moraux de l'agriculture, il devra s'intituler syndicat professionnel économique et c'est tout. »

Ces explications - est-il besoin de le souligner? - rendent tout à fait incompréhensible le projet déposé, Ainsi, au dire du rapporteur, voici une troisième catégorie de syndicat agricole en perspective. Il y aurait, en plus du Syndicat professionnel et du syndicat économique, le syndicat professionnel économique ! Et malgré tous les raisonnements il n'est pas possible de croire que des associations si différentes auraient une vie commune, puisque le rapport de la Commission stipule nettement que les Syndicats économiques seraient des sociétés spéciales, à côté des Syndicats professionnels «< mais en dehors d'eux » « avec une autonomie propre » (sic).

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En dehors des difficultés et des erreurs de fonctionnement qu'elle entraîne, l'amputation injustifiée des S. A. aurait aussi pour conséquence de briser en deux le mouvement syndicaliste français.

Il a été rappelé au début de cet article, que la plupart des S. A. groupés en Unions ont pour idéal : la libre organisation (1) Le Régime légal des S. A. (Congrès de Blois, 1908, p. 38.) (2) L'Agriculture de la région du Nord, no du 18 juin 1909.

professionnelle dans la Nation. Cette question n'est pas traitée dans le rapport, pourtant si documenté, de la Commission de l'Agriculture. Elle est cependant de la plus haute importance, et elle n'a pu échapper à la Commission car elle est exposée dans la brochure intitulée : « Le Mouvement Syndical Agricole » (1) dont elle cite dans son rapport de très larges extraits.

Dans les S. A. actuels, il y a acheminement de la vie économique à la vie sociale. Les réunions motivées par les questions d'ordre matériel: remises des commandes, examen des comptes, etc., sont utilisées en même temps pour la propagande des idées de mutualité et de solidarité professionnelle ; ainsi les agriculteurs sont entraînés insensiblement, presque à leur insu, vers une vie corporative où tous leurs intérêts matériels et moraux sont l'objet d'une égale sollicitude. Si on met les agriculteurs en demeure d'opter entre des Syndicats s'occupant uniquement d'action sociale et des syndicats pratiquant les achats et ventes en commun, ils choisiront, sans nul doute, ces derniers; bien que ceux-ci soient privés du droit de posséder des immeubles pour leurs bibliothèques et leurs cours d'instruction professionnelle, du droit de constituer entre leurs membres des caisses spéciales de secours mutuels et de retraites, du droit de créer et d'administrer des offices de renseignements pour les offres et les demandes de travail, du droit d'être consultés sur tous les différents et toutes les questions se rattachant à leur spécialité; droits qui sont attribués expressément par la loi du 21 mars 1884 aux syndicats professionnels..

Par ailleurs, si une telle séparation était introduite dans les pouvoirs des S. A., la logique voudrait qu'elle soit appliquée, ensuite, à tous les autres Syndicats de la loi de 1884.Il faudrait alors se demander, par exemple, si lorsque les Syndicats ouvriers passent des contrats de publicité pour leurs bulletins, lorsqu'ils ouvrent des bureaux de placement, lorsqu'ils délivrent le viaticum, qu'ils signent des contrats collectifs de travail, ils agissent comme Syndicats professionnels ou économiques. Et à quelle catégorie de Syndicats

(1) Edité par l'Union Centrale des S. A.Paris, 8, rue d'Athènes. Prix 0 fr. 15.

reconnaîtrait-on le droit d'organiser le boycottage, le sabotage, les grèves de combat et la grève générale ? Devrait-on considérer ces actes comme étant des opérations de la vie professionnelle ou comme étant la défense académique des intérêts des syndiqués ? Insondables problèmes ! Dans quelle méditation, dans quelle perplexité nous trouverions-nous plongés !

L'importance des critiques faites en se plaçant successivement au point de vue des Syndiqués, des Syndicats, des Unions et de l'organisation professionnelle laisse supposer l'accueil qui fût réservé au projet de loi. La plupart des grandes Sociétés d'agriculture et des Unions Syndicales se sont alarmées et ont fait entendre de vives protestations, qui sont résumées dans le vote suivant du VII Congrès national des S. A., tenu à Nancy, en juin dernier : « Le Congrès émet le vœu qu'il ne soit créé aucune nouvelle catégorie de syndicats agricoles, mais qu'une loi interprétative de celle du 21 mars 1884 reconnaisse explicitement aux syndicats la capacité légale d'assurer la défense des intérêts professionnels de leurs membres, en pratiquant pour eux toutes les opérations usitées jusqu'à ce jour, et notamment les opérations d'achat, vente ou location en commun se rattachant exclu sivement à l'exercice de la profession. >>

Ce vœu est-il incompatible avec la loi du 21 mars 1884 ? Assurément non; et pour preuve il suffira de rappeler la conclusion par laquelle M. Decker-David terminait la défense de son projet devant l'Assemblée générale des Présidents des Chambres de Commerce: « Nous voulons, disait-il, que les commerçants se trouvent en présence de gens responsables, en face d'une législation régulière et non pas en face de la loi de 1884 qui à l'heure actuelle, autorise, permet, tolère que les Syndicats agricoles fassent ce qu'ils font. » Dire que la loi de 1884 tolère, permet, autorise les S. A. à faire ce qu'ils font, n'est-ce pas, par le fait même, reconnaître la légitimité de leurs revendications et l'inutilité d'une loi nouvelle ?

Nous venons d'examiner le projet de loi sous l'angle des intérêts agricoles; si pour un instant nous nous plaçons sur le terrain des intérêts commerciaux nous constaterons que le

commerce est tout aussi opposé à l'adoption du projet que les S. A.

A l'Assemblée générale des Présidents des Chambres de Commerce, après avoir entendu les explications du rappor-teur de la Commission de l'Agriculture, la résolution adoptée fut, en effet, la suivante : « L'Assemblée nettement défavorable à l'adoption du projet de loi déposé par M. Ruau, ministre de l'Agriculture, estime que les attributions des S. A., comme celles de tous les Syndicats, doivent être limitées à l'étude et à la défense des intérêts professionnels. Que les achats en commun, par les Syndicats professionnels doivent rester dans la limite des approvisionnements collectifs et ne jamais revêtir la forme d'une opération commerciale. Enfin, que la vente en commun des produits du travail doit être interdite aux syndiqués, ceux-ci ayant la faculté de faire, à côté du Syndicat, toutes les sociétés qu'ils jugeront nécessaires sous les formes légales. »

Ce vote fût accueilli avec satisfaction par les syndicalistes agricoles, parce qu'il est conforme à leurs vues sur les principes essentiels; il n'admet pas le syndicat nouveau, dit économique; il insiste sur le maintien des S. A. dans la loi de 1884 avec égalité de traitement pour tous les Syndicats; enfin il reconnaît aux Syndicats professionnels le droit de pratiquer des achats collectifs, en vertu même de la loi de 1884.

Il existe, il est vrai, des points sur lesquels commerçants et agriculteurs ont besoin de s'entendre plus complètement, notamment en ce qui concerne la vente en commun, mais un accord définitif sera aisé à conclure; car dans des réunions à la Bourse du Commerce de Paris, de grandes Associations commerciales, telles la Confédération des Groupes Commerciaux et industriels de France et le Parlement Commercial, ont accueilli favorablement les communications qui leur furent faites par les délégués de l'Union Centrale des Syndicats agricoles (1).

En réalité les Syndicats économiques seraient des coopératives spéciales, sans capital, et réservées aux seuls agriculteurs. Elles seraient privilégiées dans leur constitution,

(1) Voir Bull. Officiel de la Confédération des Groupes Commerciaux, mai 1909.

puisqu'elles n'auraient qu'à remplir les formalités de la loi du 21 mars 1884, et privilégiées dans leur fonctionnement, puisqu'elles seraient affranchies des prescriptions de la loi du 24 juillet 1867. C'est donc en définitive un organisme commercial nouveau et singulièrement favorisé, qui serait ainsi substitué aux S. A. actuels. Le péril pour le commerce est d'autant plus sérieux que, pour les raisons indiquées précédemment, les S. A. se refuseront à disparaître et n'hésiteront pas à former avec le concours de leurs puissantes Unions, des coopératives libres de pratiquer toutes les opérations commerciales désirées par leurs membres, qu'il s'agisse de produits agricoles, ménagers, alimentaires ou autres.

De l'avis même des intéressés, on verrait peu après la promulgation de la loi, s'établir sur toute la France un vaste réseau de coopératives pouvant vendre légalement toutes espèces de produits même sans caractère professionnel. Cette perspective réjouit ceux qui songent à faire de la coopéra tion le pivot de l'organisation économique et s'intitulent «< le parti des libre mangeurs », mais que deviennent en cela les intérêts du commerce et les espoirs des syndicalistes ?

Dès lors, et pour conclure, sans être aussi sévère, que M. A. Nast, qui qualifie le projet de loi « de trompe-l'œil » et comportant pour moralité : « bluff et injustice, inutile pour tout le monde » (1) nous admettrons (avec la Commission de Travail à la Chambre des députés qui ayant été saisie du projet en même temps que la Commsision de l'Agriculture l'a intégralement repoussé) que << nous nous trouvons en présence d'une loi à courte vue et qui n'est qu'un expédient ».

REMÈDES PROPOSÉS.

L'erreur initiale du projet tient à sa fausse conception du fonctionnement d'un Syndicat. Dans les communes rurales, il y aura dorénavant, a-t-on pensé, un syndicat qui fera la défense des intérêts agricoles d'une façon en quelque sorte académique, par émission de vœux, pétitionnements, com(1) Bull. de la Société de Législation Comparée, avril-mai 1909.

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