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soit pour l'achat en commun des produits divers utiles à l'exploitation du sol, soit pour la vente en commun des produits récoltés par leurs membres. Ils pourraient faire emploi des sommes provenant uniquement de leurs cotisations et se rendre acquéreurs des immeubles nécessaires à leurs réunions et au dépôt des marchandises autorisées.

L'idée qui semble avoir présidé à la rédaction de ce projet de loi est de faire reconnaître comme étant désormais légales certaines des opérations que l'arrêt de la Cour de Cassation considère comme illicites dans l'état actuel de la législation. Cela est parfait, mais la formule qui a été adoptée, et les obligations dont elle est entourée, sont tellement singulières qu'elles ont eu pour effet de jeter la perturbation dans les milieux agricoles et commerciaux.

Au lieu d'autoriser purement et simplement les S. A. fondés en vertu de la loi de 1884, à assurer la défense des intérêts économiques de leurs membres en pratiquant, pour leur compte, les opérations usitées jusqu'à ce jour, notamment celles d'achats, de ventes et de location en commun des articles se rattachant à l'exercice de la profession, il leur enlève tout droit à continuer ces pratiques et il institue à côté d'eux, un type nouveau de Syndicat, dit « Economique ». Si un tel projet était voté ce serait dans les campagnes la désorganisation du mouvement syndical, car ses conséquences seraient préjudiciables à tous les intérêts qu'il prétend sauvegarder.

Les syndiqués n'auraient plus le droit de se retirer à leur gré de l'association. Par là, on a pensé donner une garantie aux tiers sans remarquer la contradiction dans laquelle on se plaçait vis-à-vis du principe syndical, lequel proclame la liberté d'entrée et la liberté de sortie de l'association. Pour répondre à cette première critique, l'honorable rapporteur du projet de loi devant la Chambre des députés, M. Decker David, déclare dans son rapport que : « les Syndicats pourront rédiger leurs statuts comme ils l'entendront, et autoriser, s'ils le veulent, les syndiqués à se retirer à tout moment ». Mais alors, à quoi bon interdire dans la loi la libre sortie des membres?

Les droits des Syndicats professionnels, c'est-à-dire de ceux actuellement en fonctionnement, sont aussi sérieu

sement menacés. Le but des Syndicats nouveaux serait de servir d'intermédiaires désintéressés à leurs membres. Or, la Cour de Cassation n'a pas refusé ce droit aux Syndicats anciens. Elle leur reconnaît le droit de grouper les commandes des syndiqués et de les exécuter. Elle est même plus large que le projet, puisqu'elle concède le droit d'exercer un mandat en conformité des articles 1986 et suivants du Code Civil. C'est donc une restriction que le projet apporterait aux droits que la Cour de Cassation elle-même reconnaît avoir été déjà accordés aux S. A. Cette façon de remédier à l'arrêt de la Cour serait incompréhensible si M. Decharme, chef du Service du Crédit Agricole au ministère, délégué à un Congrès à Blois, pour développer de façon complète les intentions du Gouvernement, n'avait fait cette déclaration dépouillée d'artifice : « Le projet était rédigé bien avant que soit rendu l'arrêt de la Cour de Cassation (1). »

En ce qui concerne les Unions de Syndicats, le projet est très net: il les supprime. M. le ministre de l'Agriculture l'expose ainsi dans le commentaire des articles : « Nous leur avons refusé (aux Syndicats économiques) la faculté donnée par les articles 5 et 7 de la loi du 21 mars 1884, de constituer des Unions ». Pour quelles raisons? M. le Ministre ne le dit pas. Par contre, il est vrai, le rapport de la Commission de l'Agriculture estime que « si le besoin de s'associer est manifeste entre agriculteurs, il l'est aussi entre les groupements d'agriculteurs. Il est absolument indispensable que les petits Syndicats communaux ou cantonaux puissent s'unir pour ne pas être voués à l'impuissance... » et il conseille aux Syndicats économiques de former des Unions en application de la loi du 1er juillet 1901. Mais aucun amendement n'a été apporté sur ce point au projet du ministre. Si donc une Union de Syndicats économiques se formait et était poursuivie, laquelle, de l'opinion du ministre ou de celle de la Commission, prévaudrait devant les tribunaux? Remarquons d'ailleurs que la loi de 1901 stipule qu'il n'est en rien dérogé aux lois spéciales relatives aux Syndicats professionnels (art. 21). Or, le projet place les Syndi

(1) Le Régime légal des Syndicats agricoles. (Discussion du rapport présenté par M.L. Tardy, inspecteur au ministère de l'Agriculture, p. 35.) REVUE POLIT., T. LXIII.

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cats économiques, pour leur constitution, sous le régime de la loi spéciale du 21 mars 1884. Comment peut-on conclure dans ces conditions, sans une décision expresse du législateur, que des associations de syndicats pourraient se former sous l'empire de la loi de 1901 ?

La solution suggérée par la Commission n'est pas seulement aléatoire. Il y a plus, même si elle était acceptée par le 'Parlement, elle serait combattue par les syndicalistes. Entre la loi du 21 mars 1884 et celle du 1er juillet 1901, il y a une marge infranchissable. Cette dernière a des avantages, c'est entendu; sous certains côtés elle concède même des droits plus étendus que la première, néanmoins les Syndicats préfèrent rester sous le statut de 1884. Pourquoi cela? Peu de gens en comprennent la raison. En général on l'attribue à la puissance acquise par les Syndicats professionnels. Ils exercent, pense-t-on, une influence magnétique sur les foules. Ils ont rendu de si grands services pour la défense des intérêts professionnels, qu'ils sont considérés comme la panacée universelle pour la réalisation de tous les desiderata. C'est affaire de sentiment, dit-on, ou bien crainte puérile d'un changement de régime légal. Toutes ces réflexions sont erronées.

Si les syndicalistes veulent être, et entendent rester, régis par la loi de 1884, c'est que celle-ci consacre le principe de l'organisation professionnelle. Elle fait, dans la législation, une place à part aux associations de métier, leur donne un statut spécial, reconnaît les mêmes droits à tous les syndicats du commerce, de l'industrie ou de l'agriculture. Sans doute elle contient des lacunes, elle se montre parfois timide, en particulier pour les Unions, mais telle qu'elle est, c'est le point de départ, la première assise de la société corporative. Sous la poussée des Syndicats elle sera complétée, élargie, rendue plus libérale encore, et tous les corps de métiers bénéficieront des avantages qui seront obtenus par l'un quelconque d'entre eux. Les syndicalistes en sont bien pénétrés, c'est pourquoi ils ne veulent pas abandonner la loi de 1884 pour une loi de droit commun d'où est bannie l'idée corporative.

Cette conception n'est pas apparue aux auteurs du projet de loi sur les syndicats économiques agricoles et c'est dommage. Elle leur aurait évité la 'faute capitale qu'ils ont com

mise en négligeant d'étudier la répercussion du texte proposé sur le syndicalisme agricole et sur le syndicalisme français. Les S. A. ont mis de longues années pour atteindre le degré de perfectionnement admiré aujourd'hui. Bien des initiatives et des expériences ont été nécessaires dont beaucoup n'eurent aucun succès. Les S. A. représentent l'ensemble de toutes les tentatives, heureuses ou malheureuses, faites en faveur de l'association entre agriculteurs. Or, leur mise au point, si on peut s'exprimer ainsi, n'a pu se faire qu'en combinant dans leur sein leur rôle économique et leur action sociale. C'est l'union intime de ces deux fonctions qui leur a permis de faire œuvre utile. S'ils n'avaient pas eu la perspective d'en retirer des avantages économiques immédiats, les cultivateurs seraient, souvent, restés étrangers au Syndicat; et, s'ils n'avaient pas eu la pensée d'en faire découler un progrès social, bien des hommes qui en furent les promoteurs s'en seraient désintéressés. Et cependant, pour une raison insaisissable, le projet de loi sépare brusquement ces deux fonctions. D'un côté il y aurait le Syndicat professionnel (loi de 1884) ayant un but social, de l'autre il y aurait le Syndicat économique (loi nouvelle) s'occupant des opérations professionnelles. Cette dualité est incompréhensible. Puisqu'on autorise les agriculteurs à se grouper pour faire des achats et ventes en commun pourquoi déposséder de ce droit les Syndicats qui l'ont exercé jusqu'ici. On déclare vouloir encourager les S. A. et on leur crée un concurrent !

<< Faut-il parler encore des inconvénients de cette dualité pour les Syndicats qui, voulant conserver le double avantage de la loi ancienne et de la nouvelle, se constitueraient sous les deux formes avec les mêmes éléments? Double cotisation, double comptabilité, double caisse, double administration. Quelle confusion et quelles erreurs possibles de la part d'administrateurs souvent inexpérimentés, qui auraient à diriger le fonctionnement des deux Syndicats juxtaposés, quoique soumis à des règles différentes, et qu'on ne saurait enfreindre sans risquer parfois une sanction pénale (1). »

(1) Rapport de M. G. Ducurtyl, président du Comité de Législation et de Contentieux de l'Union des S. A. du Sud-Est. Assemblée générale du 25 novembre 1908.

Le bien fondé de cette protestation n'a pas échappé à M. Decker-David et dans son rapport il s'est appliqué à montrer que les deux syndicats seraient si intimement liés l'un à l'autre qu'en réalité ils formeraient une seule et même association. « Il suffira, dit-il, que l'Assemblée générale vote qu'il y a désormais séparation des pouvoirs. Les statuts prévoyaient que, étude et défense des intérêts généraux, achat et vente, étaient faits par une même association. L'assemblée générale modifiera ses statuts et spécifiera que ces opérations seront faites, désormais, séparément, par deux associations distinctes.» « Il sera très facile de diviser en deux l'ancienne cotisation. Rien n'oblige, d'ailleurs, un syndicat professionnel, pas plus qu'un syndicat économique agricole constitué en application du projet de loi, à prévoir une cotisation. On pourra parfaitement décider que la cotisation ne sera payée qu'à un syndicat, ce syndicat prenant à sa charge les frais d'administration de l'autre, ou reversant à l'autre une partie des cotisations perçues. Il va de même que l'on pourra très bien décider que faisant partie du Syndicat professionnel, on fera de droit partie du syndicat agricole d'achat et de vente, et vice versa. »

Mais alors pourquoi créer deux Syndicats, ne serait-il pas plus simple d'accorder à celui existant les pouvoirs dont on veut investir le nouveau? Pour faire une fusion étroite des deux organismes le rapporteur va plus loin encore. Il admet que « par un simple vote de l'Assemblée Générale, si les statuts le prévoient, les membres des Syndicats économiques pourront abandonner en fin d'exercice la part qui leur reviendrait dans la majoration faite sur les achats ou les ventes, après payement des frais généraux. Ils pourront parfaitement faire cet abandon au syndicat professionnel, au lieu de le faire au Syndicat économique agricole lui-même, de même qu'ils pourront aussi l'affecter à une Société d'assurance mutuelle, de crédit, de secours mutuels ou à une caisse de retraite, etc. Cela sera encore plus facile ajoute-t-il, si le syndicat professionnel est obligatoirement, par ses statuts, composé des mêmes membres que le syndicat agricole d'achat et de vente ».

<< Rien ne s'opposera non plus à ce que l'on décide, si les membres sont les mêmes, que le conseil et le bureau du syn

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