bable et un libéralisme qu'aucune provocation n'a pu troubler. Il a laissé l'Eglise accomplir librement sa mission religieuse dans les conditions et les formes traditionnelles. Déçue dans sa soif de martyre, l'Eglise a entrepris sa campagne scolaire; comme si elle cherchait à pousser. le parti républicain à la mesure répressive et oppressive des monopoles, et à obtenir enfin cette persécution qui provoquerait la révolte des consciences et des intérêts qu'elle attend. La République se laissera-t-elle entraîner à abandonner tout le bénéfice de la politique de sagesse, de temporisation, de tolérance qu'elle a suivie envers l'Eglise, en respectant des traditions séculaires et les besoins religieux de millions de citoyens ? Va-t-elle se lancer dans la plus redoutable des aventures, exposer la France à des périls analogues à ceux que lui a fait courir, il y a 120 ans, la Constitution civile du clergé, pour aboutir, peut-être, à une réaction analogue à celle de 1801? Les partisans du monopole ont une singulière mentalité. On a déjà commis la faute de séparer l'Eglise de l'Etat d'une manière à la fois brusque et prématurée, avant d'avoir laissé le pays et l'Eglise s'accoutumer à la loi de 1901 sur les associations, la corriger peut-être, et sans avoir patiemment préparé l'Eglise à la séparation en lui donnant peu à peu les habitudes et les institutions de la liberté. On est maintenant tout étonné que l'Eglise, délivrée des entraves de l'Etat, conserve encore une si grande puissance, un si grand prestige, et qu'elle en use, On ne peut supporter qu'après avoir refusé de connaître le prêtre comme prêtre, le prêtre agisse comme citoyen. On veut lui refuser le droit d'enseigner (1), demain on lui refusera le droit d'être maire ou conseiller général ou député. C'est enfantin autant qu'inique. Il faut subir courageusement les inconvénients de la liberté qu'on a voulue, et ne pas chercher à remédier à ces inconvénients en bâillonnant ses adversaires. (1) Il est surprenant qu'un esprit aussi généreux que M. Buisson ait pu, au congrè radical de Nantes, demander d'enlever le droit d'ensei-: gner aux prêtres, comme si les prêtres formaient une classe de parias. D'autant plus, qu'on n'y remédiera pas ainsi. On n'y remédiera que comme on a remédié, dans une certaine mesure, aux inconvénients de la séparation, par beaucoup de sangfroid, beaucoup de libéralisme et beaucoup d'indifférence.. Sans doute, il ne faut pas laisser attaquer, persécuter, maltraiter nos instituteurs et nos élèves, et le gouvernement a préparé pour cela des lois qui pourront être efficaces si ellesrespectent la liberté. Mais j'ai encore plus confiance dans la force des choses et dans le bon sens public. Si l'on établit le monopole et si l'on prend une attitude de persécution vis-à-vis de l'Eglise, on provoquera un formidable mouvement de réaction religieuse et on paralysera les libéraux dans leur lutte contre les intolérances cléricales. L'Eglise reprendra bien vite, et au-delà, tous les avantages qu'on aura cru lui enlever. On éprouvera bientôt, sur le terrain po-litique, la répercussion des blessures qu'on aura faites et aux consciences et aux intérêts, et on aura transformé en désordre au sein des écoles de l'Etat, des luttes qui, dans des écoles rivales, peuvent devenir une émulation féconde pour le bien. Laissez au contraire le clergé continuer la lutte qu'il a entreprise, en l'empêchant seulement de porter atteinte aux droits et aux intérêts d'autrui, il est possible sans doute qu'il réussisse sur certains points dans ses entreprises, mais s'il ne bénéficie pas du prestige de la persécution, il perdra toute astion sur tous ceux qui n'auront pas consenti à se mettre entièrement dans sa main, et il devra bientôt, ou renoncer à son système d'intolérance et de menaces, ou voir la majorité des citoyens, restée encore catholique par habitude et tradition, abandonner l'Eglise et ses pratiques. Si l'Etat se refuse à la guerre, s'il dédaigne les attaques dirigées contre lui, s'il ne veut pas croiser le fer avec le fer qu'on lui tend, l'Eglise catholique se verra très vite réduite à l'impuissance et privée du ressort moral que lui donnerait la persécution; elle ne trouvera bientôt ni l'argent ni les hommes nécessaires pour la lutte qu'elle a entreprise. Elle sera obligée de se résigner à n'être plus l'Eglise, mais une église comme une autre. Elle conservera longtemps son troupeau de fidèles, sa puissance d'action et de propagande, et nous sommes heu reux que le monde conserve encore cette force morale bien difficile à remplacer, mais elle ne pourra se servir de sa puissance et de sa force que d'une manière pacifique et bienfaisante, comme aux Etats-Unis. Elle sera assurée alors de la sympathie et de la protection de tous les vrais libéraux. On ne doit pas se laisser effrayer par l'exemple de la Belgique. La proportion relative des forces du parti clérical et du parti libéral n'est pas du tout la même en France qu'en Belgique; et la France n'a pas, comme la Belgique, commis la faute de créer une église libre, payée par l'Etat. Jamais en France le clergé ne pourra, par le confessionnal, créer, comme il l'a fait en Belgique, un parti catholique capable de prendre le pouvoir. S'il en avait la force, il le pourrait aussi bien, mieux même avec le monopole que sans lui, et, le jour où il aurait triomphé, c'est alors que le monopole serait pour le pays le pire des malheurs. Car un gouvernement clérical y trouverait un instrument tout préparé pour exercer la plus insupportable des tyrannies. Ce serait au tour des radicaux de réclamer la liberté d'enseignement. Qu'ils commencent donc par ne pas la détruire ! Je n'ai aucun plan de réconciliation à proposer ici à mes concitoyens. Je ne veux qu'une chose: montrer que le monopole de l'enseignement serait le pire des remèdes; qu'il n'est pas seulement inique en principe, qu'il serait décevant et ruineux dans la pratique. Je ne crois pas à la possibilité de revenir en arrière et de rétablir une liberté d'enseignement qui ait pour corollaire la liberté de toutes les associations religieuses; mais je crois possible, et au fond c'est là, non seulement le désir, mais même la pratique de la plupart des maîtres de nos écoles publiques, d'apporter dans l'enseignement un tel respect des consciences, un tel désir d'unir tous les esprits dans l'étude désintéressée des sciences et des lettres, et dans l'amour de la patrie commune, que peu à peu, des sentiments de paix et d'union renaîtront entre les fractions aujourd'hui hostiles de la nation (1). Il faudra du temps pour fermer les (1) Voyez le beau chapitre sur la Neutralité Scolaire dans le récent volume de M. E. d'Eichthal, Pages sociales (Alcan). blessures récentes, et je ne compte pas sur les chefs actuels.. du parti catholique pour y travailler. On aurait beau leur faire des concessions, elles leur paraîtront toujours insuffisantes. Ils croiront toujours n'avoir rien obtenu tant qu'ils ne seront pas les seuls maîtres. Je ne compte que sur l'esprit d'équité, de sagesse et de patriotisme des professeurs de l'Etat, qui ont une situation privilégiée et qui sentent toute leur responsabilité. Il ne s'agit pas pour eux de faire passer de force dans leurs écoles la population scolaire des écoles libres; il s'agit de faire des écoles de l'Etat des écoles meilleures que toutes les autres, où personne ne se sente froissé dans ses convictions, entravé dans ses croyances, et où peu à peu tout le monde se sentira attiré comme dans une maison commune, ouverte à tous, utile à tous, et qui sera vraiment, non l'école de l'Etat, mais l'Ecole Nationale. GABRIEL MONOD, de l'Institut. LE ROLE MILITAIRE DES NAVIRES AÉRIENS L'opinion publique s'est préoccupée, à juste titre, en France, de l'infériorité momentanée dans laquelle nous nous trouvons par rapport à l'Allemagne, en ce qui concerne ce qu'en appelle maintenant « les flottes aériennes militaires ». Nous avions toujours considéré que l'empire de l'air appartenait de droit au pays qui, avec Montgolfier, fut le berceau de l'aérostation, qui, avec Charles Renard, vit les évolutions du premier dirigeable en 1884, et qui, au cours des années 1908 et 1909 fut le théâtre des progrès extraordinaires de l'aviation. Notre amour-propre national a donc été, à juste titre, douloureusement blessé, lorsque nous avons constaté dans l'automne de 1909 que nos voisins d'outre-Rhin avaient pu rassembler et faire évoluer une véritable escadre d'aérostats dirigeables, et que nous n'aurions pas été capables à la même époque, de faire un semblable effort. Sous la pression de l'opinion publique, le gouvernement s'est ému, et le ministère de la Guerre a semblé vouloir sortir d'une torpeur qu'on lui avait peut-être reprochée d'une façon exagérée, mais qui n'en était pas moins réelle. Le Parlement n'avait, d'ailleurs, pas attendu la poussée de l'opinion pour se préoccuper des applications de la navigation aérienne à l'art militaire, et dans chacune des deux Chambres des groupes d'aviation étaient constitués depuis quelque temps déjà et avaient usé de toute leur influence pour encourager les efforts d'initiative privée, fournir au gouvernement les moyens nécessaires, et stimuler au besoin son activité Je voudrais ici exposer la nature des services que peuvent rendre les navires aériens aux armées, et indiquer quels son' |