Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

semblées des œuvres diocésaines, présidée par un des prélats les plus intelligents et les plus ardents de France, un délégué se vanter d'avoir dans son district, rendu la vie si difficile à un instituteur, qu'il n'osait plus sortir de chez lui. Au Congrès diocésain tenu en février dernier à Paris, sous la présidence de Mgr Amette, on a préconisé la lutte contre l'école laïque par tous les moyens, on a parlé avec éloge d'un refus de sépulture à un instituteur laïque,et de refus de la communion à des enfants qui se servent des livres condamnés, comme s'il n'y avait pas quelque chose de révoltant à refuser les grâces spirituelles à des enfants pour des actes dont ils ne sont pas responsables. C'est ainsi, je le sais, que le clergé belge a assuré au parti catholique la majorité, mais on pouvait espérer que ces procédés ne pénétreraient pas en France.

[ocr errors]

Quiconque se trouve un peu mêlé à la vie du peuple a constaté fréquemment les procédés déplorables employés par certains catholiques pour achalander les écoles libres ; tantôt ce sont des pauvres à qui on offre ou on refuse des secours, suivant qu'ils consentent ou non à retirer leurs enfants de la laïque », tantôt ce sont des petits commerçants dont on met la boutique à l'index, des ouvriers à qui on enlève leur clientèle, s'ils ne veulent pas envoyer leurs enfants à l'école libre; des professeurs qu'on menace de jeter sur le pavé s'ils donnent leur concours à une œuvre laïque. Et ceux qui agissent ainsi se posent en défenseurs de la liberté et du respect des consciences !

Pour répondre à ces attaques, une grande partie de la presse radicale réclame chaque jour le monopole de l'enseignement, comme le seul moyen de mettre fin à cette guerre contre l'Etat enseignant, à ce qu'elle considère, non sans

poser un livre unique. L'instituteur peut laisser une certaine liberté de choix aux parents des élèves. Cela peut même devenir un élément de variété et de vie dans les classes. D'ailleurs l'index fonctionne aussi dans les écoles de l'Etat. Je sais un livre, non condamné par les évêques, et dont les auteurs avaient évité tout ce qui pouvait éveiller des susceptibilités religieuses, qui a été exclu d'un des lycées de jeunes filles de Paris, après y avoir été employé deux ans, sous le prétexte, vrai ou inventé, que des parents catholiques avaient été choqués d'une ou deux phrases.

raison, comme une atteinte à la conscience des parents et à la liberté des instituteurs.

Je comprends l'indignation provoquée par ces manœuvres et je l'approuve. Je comprends aussi, hélas ! mais sans l'approuver, que l'on recoure au plus commode des systèmes pour répondre à des adversaires irritants et injustes celui qui consiste à leur fermer la bouche. C'est le système qu'appliquait Louis XIV aux protestants et aux jansénistes. C'est le système qui a été employé en Espagne contre les écoles du malheureux Ferrer. Nous n'en sommes pas encore à fusiller personne, mais on voudrait bien appliquer aux écoles catholiques les procédés de réfutation qu'on a, en Catalogne, appliqués aux écoles modernes.

Fidèle à la méthode que j'ai suivie dans toute cette discussion, je m'abstiendrai de faire appel aux grands principes de liberté, d'égalité, de respect des consciences, qui cependant me sont chers, mais qui, je le reconnais, sont violés dans cette circonstance par l'Eglise, comme ils le seraient par l'Etat, demain, si les partisans du monopole venaient à triompher. Je m'abstiendrai d'adresser aucune invocation pathétique à l'esprit de paix, de concorde, d'harmonie entreles partis et entre les citoyens, esprit dont j'appelle pourtant le règne de tous mes vœux, mais dont le triomphe me paraît bien éloigné, bien problématique. Je me contenterai d'examiner si le monopole apporterait vraiment un remède efficace aux maux dont nous nous plaignons, si ce ne serait pas un remède pire que le mal; si, en l'appliquant, les républicains libres-penseurs ne feraient pas le jeu de leurs ennemis.

Tout d'abord, le monopole est inapplicable. Nos écoles publiques, à l'heure actuelle, sont déjà trop peu nombreuses et trop petites pour abriter tous les élèves qui voudraient et devraient les suivre. Un des motifs pour lesquels on laisse dormir la loi sur l'obligation scolaire, c'est que, si on l'appliquait, nos écoles, même à Paris, seraient dans l'impossibilité de recevoir tous les enfants soumis à cette obligation. Que serait-ce, si, du jour au lendemain, on fermait toutes les écoles libres ? Où trouverait-on l'argent pour

louer, acheter ou construire les écoles nouvelles ? Où trouverait-on les maîtres pour instruire tous les enfants? Grâce au régime militaire actuel, le recrutement de nos écoles normales primaires est de plus en plus difficile ; dans certains départements, il n'y a guère plus de candidats que de places; et l'on est forcé d'accepter souvent des candidats de valeur médiocre ou nulle, et ce sont ceux-là, je n'en doute pas, qui se livrent parfois aux incartades anti-religieuses ou anti-militaires qui ont été si souvent exploitées contre les écoles de l'Etat. Au lieu d'être reconnaissants aux catholiques d'aider l'Etat à remplir des obligations trop lourdes pour lui, on voudrait ouvrir des écoles sans savoir à qui les confier ! On verrait bien vite le nombre des illettrés, qui s'accroît déjà depuis quelque temps d'une manière inquiétante, grandir avec rapidité, et je serais étonné si, en même temps, on ne voyait pas s'accroître le nombre des recrues de la jeunesse criminelle.

Et n'y a-t-il pas quelque chose d'un peu ridicule dans les terreurs qu'inspirent aux libres-penseurs les pratiques de l'enseignement religieux des écoles catholiques, ou aux catholiques la prétendue impiété des écoles laïques, dans les mérites attribués par les libres-penseurs aux méthodes de libre examen et de rationalisme à l'école primaire ou dans ceux que les catholiques attribuent au catéchisme ?

Qu'on n'oublie pas que les écoles primaires ne gardent les enfants que de 6 à 12 ans.

Tout ce qu'on peut leur apprendre, c'est la lecture, l'écriture, l'arithmétique, quelques rudiments de sciences naturelles, d'histoire et de géographie. Si, avec cela, on peut leur enseigner à être propres, à ne pas mentir, à ne pas voler, à avoir le sentiment du devoir, le culte de la patrie (1) et l'amour

(1) Dans un remarquable article paru dans le Correspondant du 10 février, Mgr Mignot dit qu'un manuel primaire d'histoire de France devrait avoir pour but unique de faire connaître et aimer la France dans son passé et son présent, de montrer comment elle est arrivée à la conscience par l'influence de tous ses maîtres: aristocratie, royauté, Eglise, philosophes, littérateurs, légistes, etc. Beau programme, mais difficile à remplir à la satisfaction de tous. D'ailleurs, la plupart des manuels incriminés pourraient aisément, en supprimant quelques phrases maladroites, être rendus inattaquables.

du travail, le dégoût des mauvaises manières et du mauvais langage, on aura obtenu tout ce qu'on peut demander de l'école primaire. Ce que font, à cet égard, les écoles libres est identique à ce que font les écoles de l'Etat. Le catéchisme est d'ordinaire enseigné aux élèves des unes et des autres et ce que les écoles libres y ajoutent de pratiques religieuses, qu'on le considère comme un bien ou comme un mal, n'est ni très considérable ni très efficace. D'ailleurs, vous ne pouvez avoir la prétention d'empêcher l'Eglise de continuer à prendre sous sa tutelle une partie des enfants des écoles de l'Etat, d'y recruter des enfants de chœur ou des enfants de Marie, ni les catholiques d'exercer, par les œuvres de patronage, sur les adolescents de 13 à 20 ans, une influence bien plus efficace et plus profonde que celle de l'école primaire.

Ce que vous redoutez, c'est l'intervention des influences religieuses dans l'éducation de la jeunesse. Le monopole n'y fera rien et si vous l'établissez, furieux de voir l'inanité de vos mesures préventives contre l'action de l'Eglise, vous en arriverez, au lieu de lutter noblement avec l'Eglise, en imitant ses œuvres de charité et de patronage, à prendre contre elle des mesures répressives odieuses, à vous faire des persécuteurs.

Et vous aurez alors, sans atteindre en aucune façon le but que vous poursuivez, l'émancipation des esprits, comblé les vœux de vos adversaires.

Car, ne vous y trompez pas, tout en se livrant à des attaques violentes contre l'enseignement laïque, les évêques et le Vatican se rendent bien compte qu'il leur sera difficile, si l'Etat a la sagesse de garder son sang-froid et de dédaigner ces attaques en ne les réprimant que si elles devenaient attentatoires aux personnes ou aux lois, de devenir, comme ils le voudraient, les maîtres de l'enseignement par des voies pacifiques. Peut-être verraient-ils sans regret une persécution religieuse qu'ils considèrent comme le plus sûr moyen pour réveiller la foi, jeter le trouble dans le pays et y déterminer une réaction politique qui restituera à l'Eglise sa situation privilégiée. C'est le propre de l'Eglise catholique de n'avoir jamais pu, sauf dans les pays où elle est en minorité, être

REVUE POLIT., T. LXIII.

31

une Eglise libre dans un Etat libre, se contenter de travailler au perfectionnement et au salut des âmes dans le domaine de la charité et de la religion, sans prétendre aussi asservir les intelligences et régenter les institutions et la société toute entière (1).L'Eglise catholique se considère comme persécutée dès qu'elle n'est plus maîtresse; aussi, dès qu'elle ne commande plus, devient-elle révolutionnaire. C'est, si l'on veut, sa force et sa grandeur, c'est aussi sa faiblesse et son malheur. Le régime du Concordat était une sorte d'équilibre, de cote mal taillée, entre la domination et l'asservissement de l'Eglise.Elle acceptait les chaînes de l'Etat parce qu'elle participait de son pouvoir et que ces chaînes étaient dorées, mais elle a vu avec répugnance un régime de liberté, où elle serait obligée de se contenter de son rôle moral et religieux, et où elle ne pourrait plus prendre part directement au gouvernement. Elle s'est aussitôt cru opprimée, parce qu'elle ne pouvait plus commander, et de force conservatrice qu'elle était, elle est devenue force révolutionnaire. Elle a vu dans la persécution une chance de soulever en sa faveur l'insurrection des consciences. Elle a refusé les immenses avantages que lui offrait la loi de séparation; elle a cherché à faire passer pour des mesures de spoliation les mesures conservatrices des inventaires;elle a voulu absolument vivre en dehors de la loi. Elle espérait, semble-t-il, que l'Etat perdrait patience et finirait par lui retirer les lieux du culte dont elle refusait d'accepter la jouissance légale. Elle a espéré en vain ; sauf sur la question des biens d'Eglise, où l'Etat, à mon sens, a violé, sinon les droits de l'Eglise, puisque l'Eglise s'était refusée à posséder aucun droit légal, du moins les intentions des fondateurs des donations pieuses et les intérêts religieux auxquels répondaient ces donations, sauf sur ce point, et sur la question des congrégations dont j'ai parlé plus haut, l'Etat a opposé aux invitations de l'Eglise à la persécution, une tolérance impertur

(1) Le Directeur de l'Institut catholique de Paris, M. Baudrillart, qui est considéré comme relativement libéral, affimait récemment dans le Correspondant du 25 juin 1909 les prétentions de l'Eglise, même là ou la liberté des opinions est la condition essentielle d'un enseignement sérieux, dans les Universités « L'idéal de l'Eglise, écrit-il, c'est l'Université d'Ftat conformant son enseignement aux dogmes catholiques. >››

« AnteriorContinuar »