Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tion est déjà réalisée par les ouvriers d'élite en Angleterre et aux Etats-Unis, et c'est celle que nous devons nous efforcer de faire prévaloir de plus en plus en France.

Mais les syndicats ne pourront produire tous leurs effets bienfaisants, que si nous leur donnons le droit de propriété.. Il est urgent de compléter l'œuvre de 1884. A cette condition seulement, les syndicats passeront de l'enfance à l'âge adulte. Alors pourront être développés ces contrats collectifs qui, en réglementant la concurrence et en assurant plus de stabilité aux industries, donnent aux employés et aux employeurs plus de sécurité. Alors les associations ouvrières pourront se transformer en sociétés anonymes de travail. Alors, si nous perfectionnons la conciliation et l'arbitrage en rendant obligatoire la compamition en conciliation, devant le juge de paix et en donnant aux Conseils du travail compétence légale en tant que Conseils permanents d'arbitrage, nous ferons de la grève, au lieu d'un combat, un débat.

Puis, nous devrons perfectionner la législation sur les coopératives et, de même que nous avons organisé le crédit agricole, organiser le crédit urbain. Nous devons faire pour l'ouvrier ce que nous avons fait pour le paysan.. Je demande qu'on emploie une partie au moins des 174 millions de lat fortune: personnelle des Caisses d'épargne à organiser le crédit populaire. La loi de 1895 leur a permis de consacrer le cinquième de leur avoir soit 35 millions

aux œuvres

sociales; elles n'en ont employé que 7 ! Il y a là une erreur économique en même temps qu'un péril.

V. PROPRIÉTÉ.

Il faut en même temps faciliter la création des sociétés à participation ouvrière, qui transforment progressivement le travail salarié en travail associé et rendent l'ouvrier co-pro-priétaire de l'entreprise. Ici, la participation aux bénéfices n'est plus qu'un premier échelon; puis, les parts de bénéfices, au lieu d'être distribuées em argent aux ouvriers, sont converties en actions de l'entreprise sous forme de titres nominatifs: Les Anglais, vous le savez, désignent l'actionnariat ouvrier ainsi réalisé sous le nom de copartnership et l'oppo

sent au profit-sharing, qui est la simple participation aux bénéfices. Il y a en Angleterre un journal spécial qui a pour objet de propager cette institution. Il a obtenu des adhésions éclatantes, notamment celles de toutes les Compagnies de gaz de Londres. Il inscrit dans sa statistique annuelle 112 maisons anglaises et écossaises représentant un chiffre d'affaires de plus de 100 millions de francs.

[ocr errors]

Dans la seule industrie du gaz de Londres, il y a plus de 20.000 ouvriers actionnaires, possédant plus de 12 millions de francs d'actions. L'ancien président de la South Metropolitan Gaz, M. Livesey, disait dans un de ses rapports annuels : « Ce régime s'est montré également avantageux au point de vue pécuniaire et au point de vue moral, et aussi << bien pour les employés que pour la Compagnie... On ne « pourra rien trouver de mieux pour réconcilier et unir le «< capital et le travail. » Et son successeur, M. Sims, disait en octobre dernier « Je puis certifier que ce régime a fait « un bien incalculable dans notre grande entreprise et con«tient d'immenses possibilités de progrès pour toutes les au« tres entreprises. »

Nous devrions l'acclimater en France, et il est un domaine où nous pouvons l'introduire d'abord sans toucher à la liberté de l'industrie ce sont les entreprises qui ne doivent leur existence qu'à des concessions de l'Etat, des départements et des communes.

!

Voici ouverte la route par où passera le prolétariat, — s'il le veut Celle-ci ne mène pas aux fondrières et aux abîmes. Elle est fondée sur le roc. Elle n'est pas une espérance, elle est un fait.

Telle est, Mesdames et Messieurs, dans ses grandes lignes, la législation ouvrière de la troisième République. Il faut y ajouter les conventions internationales de travail, qui se développeront naturellement avec la civilisation elle-même. Cette législation ouvrière a pour organes centraux le Conseil supérieur du travail, fondé en 1891, réorganisé en 1899 et en 1903, et le ministère du Travail, fondé en 1906, à l'exem ple de la Belgique, de la Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis, et qui pourrait s'appeler, qui s'appellera peut-être un jour

Ministère du Travail, de la Prévoyance sociale et de la Propriété.

En 1901, M. Millerand, alors ministre du Commerce, avait nommé une Commission chargée de codifier nos lois ouvrières. En 1905, sur le rapport de M. Charles Benoist, la Chambre adopta les cinq premiers livres du Code du travail. Il est à désirer que le Sénat le vote à son tour. Cette œuvre sera d'autant plus utile, qu'elle fera mieux voir, avec ce qui a été fait, ce qui reste à faire, et que, apercevant plus clairement les lacunes de nos lois, nous saurons mieux sur quel point nous devons porter notre effort.

On se plaît, en certains milieux, à dénigrer le Parlement, à l'accuser de stérilité. J'estime que la France n'a rien à envier à personne, et que les débats de nos Chambres peuvent soutenir sans crainte la comparaison avec ceux des Parlements étrangers. Jamais l'activité du législateur ne fut plus féconde.

PROGRES MORAL.

PROSPÉRITÉ ET GRANDEUR NATIONALES.

Mais les lois ne sont rien sans les mœurs, sans l'esprit qui les fait vivre. Quelle que soit la forme de la société, cette société vaut ce que valent les hommes qui la composent. La question sociale est d'abord une question morale. Le progrès social est, avant tout, affaire d'éducation : éducation que l'enfant du peuple reçoit à l'école et après l'école, dans les œuvres post-scolaires (le budget de l'Instruction publique, qui était en 1870 de 24.283.321 francs, est aujourd'hui de 281 millions 720.529 francs); et éducation civique que nous devons donner au peuple en l'éclairant, non seulement sur ses droits, mais sur ses devoirs, non seulement sur les solutions et les bienfaits que nous apportent l'histoire et la science, mais aussi sur les erreurs, les sophismes et les périls qu'elles condamnent; éducation que vous donnez ici même et qui peut se définir ainsi aider les travailleurs à conquérir toujours plus de moralité, de raison et de lumières, afin qu'ils puissent prendre de plus en plus la direction de leurs destinées et réaliser, en même temps que la République politique, la République économique et sociale.

REVUE POLIT., T. LXIII.

30

Au succès de cette grande cause, il est deux conditions essentielles, et ce sera la conclusion de notre entretien : L'une, c'est que, les réformes sociales coûtant fort cher, un pays, pour pouvoir les accomplir, doit être riche. Il faut donc commencer par accroître la prospérité nationale. Or, la prospérité nationale n'est possible que dans la paix sociale; et, par conséquent, la première condition de l'amélioration du sort des travailleurs, ce n'est pas la guerre des classes, c'est la solidarité.

En second lieu, la prospérité économique dépend de l'indépendance et de la puissance politiques. L'homme ne peut être libre et fort qu'autant que la patrie elle-même est libre et forte. Il n'y a aucun mérite à se conduire aujourd'hui comme si notre monde avait plusieurs siècles de plus le mérite consiste à remplir virilement les devoirs que le temps où nous vivons nous impose. Il ne suffit pas de flétrir la guerre, il faut être en état de la repousser, et il faut être en état d'empêcher les incidents d'où elle peut naître. Combien de peuples, de civilisation très fine, très brillante, pour avoir méconnu cette nécessité de la force, tout en conservant les formes extérieures de l'indépendance, sont devenus peu à peu, par la conquête économique et financière, les vassaux de l'étranger, les colonies d'autres peuples, et ont perdu les sources même de la vie ! Nous voulons une France grande et libre, non seulement de cette liberté, qui consiste à agiter sans contrainte tous les problèmes, toutes les idées, mais de celle qui ne souffre jamais, dans une mesure quelconque, un amoindrissement de la volonté nationale.

Concluons donc qu'elle ne pourra accomplir tout son devoir de justice sociale que si elle est riche, libre et forte, et gardons dans son plein sens, dans sa suprême énergie, la devise de votre père intellectuel, Jean Macé : « Patriote avant tout »; car la grandeur française est, pour l'humanité, la meilleure garantie du droit.

PAUL DESCHANEL,

Député

CONTRE LE MONOPOLE DE L'ENSEIGNEMENT

Un écrivain suisse, très informé des choses de notre pays et qui les juge avec une impartialité sympathique, M. Seippel, a écrit un livre ingénieux, et par endroits profond, intitulé Les deux Frances. Il y montre la France divisée, déchirée, depuis le xvш siècle, entre deux partis, deux doctrines, deux peuples: la France noire et la France rouge: la France catholique et la France libre-penseuse; la France cléricale et la France anticléricale. Je ne dis pas la France libérale et la France autoritaire; car il y a des libéraux catholiques, comme il y a des libéraux libres-penseurs ; mais en tant que collectivités, libres-penseurs et catholiques sont le plus souvent autoritaires, en ce sens que leur idéal, aux uns et aux autres, est un état de choses où l'unité morale de la patrie serait fondée sur le triomphe absolu de leurs doctrines et l'écrasement des doctrines adverses. On voit des gens qui se disent libres-penseurs s'élever, tout comme les catholiques, contre la liberté de l'erreur; et tandis que les catholiques réclament pour eux, au nom des principes des libres-penseurs, la liberté qu'ils refuseraient à leurs adversaires au nom de leurs propres principes, des libres-penseurs déclarent que l'on ne doit pas accorder la liberté à ceux qui la refusent aux autres. Jacobins ou catholiques sont d'accord pour considérer comme un idéal l'unité morale de la nation, cet idéal au nom duquel Louis XIV a rasé Port-Royal et révoqué l'Edit de Nantes. « La France, disait Edouard Laboulaye, est divisée en deux moitiés, dont chacune refuse à l'autre le droit de se tromper. »

Si l'on veut se faire une idée de la survivance dans les cerveaux de libres-penseurs modernes, des manières de penser et de sentir des cléricaux d'autrefois (et d'aujourd'hui),

« AnteriorContinuar »