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achats qui a été pour le commerce une source de bénéfices incontestables. De plus, en permettant aux agriculteurs de réaliser des économies sur leurs achats, en leur facilitant l'accroissement de leur production et la vente de leurs récoltes, ils leur ont procuré des ressources nouvelles. « Or, constate M. de Gailhard Bancel (1), quand le paysan a de l'argent il achète davantage, il se nourrit mieux, il s'habille mieux, il fait des améliorations à sa maison, en un mot il fait des dépenses dont il sait se priver quand l'argent lui manque; et n'est-ce pas le commerce local, la petite industrie locale, qui bénéficie de l'argent ainsi dépensé ? »

Le Parlement, lui aussi, a dans les S. A. des collaborateurs et des collaborateurs dévoués. Ce sont eux qui ont le mieux utilisé la loi du 21 mars 1884, qui ont mis en œuvre les lois du 5 novembre 1894 et 31 mars 1899 sur les caisses de crédit mutuel, qui ont fait connaître aux masses rurales les bienfaits de celle du 1er avril 1898 sur les Sociétés de Secours Mutuels; c'est à leur initiative que la France est redevable de cette splendide floraison de mutuelles d'assurances placées sous le régime de la loi du 4 juillet 1900, et c'est d'eux surtout que le législateur attend l'application de la loi du 10 avril 1908 sur la petite propriété, et de celle du 13 juillet 1909 sur le bien de famille insaisissable.

Les résultats obtenus par les S. A. que nous venons de rappeler brièvement sont assez généralement connus. On se plaît également à louer les œuvres annexes qu'ils ont suscité autour d'eux mutuelles d'assurances contre la mortalité du bétail et contre l'incendie, mutuelles de crédit pour avancer de l'argent aux cultivateurs, mutuelles de retraites. qui aident le travailleur à se constituer une rente garantie, coopératives de production et de consommation, etc., etc., mais on ignore, semble-t-il, que cet immense effort est le fruit d'un programme, d'une doctrine. Si les S. A. ont pu s'adapter avec une si merveilleuse souplesse à tous les besoins des agriculteurs, c'est que leur marche n'est pas livrée au hasard des circonstances. Elle est dirigée par des hommes

(1) Proposition de loi sur les Syndicats professionnels. Doc. Parl., n° 2193.

vivant aux champs, indifférents aux préoccupations politiques, mais ayant un but précis qui inspire leurs travaux.

Ce but est maintes fois développé dans les discours des présidents des grandes Unions Syndicales et dans les discussions des Congrès, c'est la libre organisation professionnelle, avec son corollaire: la représentation professionnelle par les professionnels eux-mêmes.

L'action des S. A. est donc à double effet: action économique d'un côté, action sociale de l'autre, et, puisqu'on a appliqué le mot de Syndicalisme à la doctrine qui tend a substituer l'organisation professionnelle à l'état économique de la société moderne, c'est l'ensemble de ces deux actions qu'il faut considérer pour apprécier le Syndicalisme agricole. Certes, les écoles syndicalistes qui existent en France ont des tactiques bien différentes, mais il ne faut pas perdre de vue que, soit qu'il s'agisse de syndicalisme révolutionnaire, de syndicalisme réformiste ou de syndicalisme agricole, il y a entre elles, sous la réserve des méthodes employées, de nombreux points de contact (1). Au fond « toutes sont soli«< daires du mouvement qui les entraîne vers la représentation «< consciente et organisée de tous les facteurs humains de la «production de la richesse (2). »

Le désir de s'attirer la confiance des cultivateurs, la nécessité de démontrer l'efficacité pratique de l'association, obligent les S. A. à débuter par des services matériels faisant obtenir aux adhérents des avantages tangibles, mais, au fur et à mesure que la vie syndicale devient plus active, ils élargissent leur horizon et se préoccupent de leur rôle social. A ce moment ils font rayonner autour d'eux les idées de mutualité et de solidarité professionnelle, les théories du syndicalisme sont hardiment abordées et là où le sentiment de la vie corporative a été bien cultivé on assiste bientôt à une éclosion d'institutions paysannes animées du plus bel élan social qui se puisse rencontrer.

(1) Voir La Revue Syndicaliste, mai 1909. Le Syndicalisme agricole. (2) Avis présenté au nom de la Commission du Travail sur le projet de loi relatif aux S. A., par F. Dubief, député. Doc. parl., no 2456.

LA CRISE ACTUELLE DES S. A.

Dans ces dernières années le syndicalisme agricole a fait de rapides progrès, et, tout autour de lui, c'est un concert de louanges, de manifestations de confiance et d'enthousiasme ; ici on prône le S. A. comme le modèle à donner aux Syndicats du commerce et de l'industrie, là on l'appelle « le fait économique le plus remarquable du siècle » (1), ailleurs « le chef-d'œuvre de la sociologie (2) ». Il semble dès lors que son avenir soit assuré, que les pouvoirs publics s'efforcent de lui faciliter sa tâche, que tout concourt à étendre son champ d'action et à le faire pénétrer dans les campagnes où il est encore inconnu. Hélas, il n'en est rien.

Un incident, bien vite transformé en un grave danger, est venu, il y a quelques mois, menacer jusqu'à son existence même, au point que la foule des syndiqués attend aujourd'hui du ministre et du Parlement le geste qui leur donnera la liberté de poursuivre leurs paisibles travaux.

On discutait depuis longtemps dans les milieux dirigeants des S. A. la légalité des achats en commun faits par les syndicats. Il y avait unanimité pour reconnaître la régularité des commandes nécessaires à l'exploitation du sol, mais certains allaient jusqu'à soutenir le droit pour un Syndicat de s'approvisionner de tout ce qui est utile à l'existence des syndiqués denrées alimentaires, quincaillerie, etc. De là des controverses sans fin, parfois irritantes, au sujet des Syndicats pratiquant ces opérations contestées, lesquels étaient qualifiés de « Syndicats Epiciers », lorsqu'en 1907 une occasion se présenta de faire trancher juridiquement la question. Plusieurs Syndicats de la Meuse ayant été poursuivis correctionnellement pour s'être annexé un magasin, furent condamnés à l'amende et à la dissolution par les tribunaux de Bar-le-Duc et de Montmédy. La condamnation était relativement légère et visait un cas spécial, mais elle touchait de trop près au principe discuté à ce moment dans les Syndicats pour qu'elle ne fût pas saisie par les uns et par les au

(1) Baudrillart.

(2) Comte de Chambrun.

tres à l'appui de la thèse soutenue par chacun. Les controverses redoublèrent; aussi le Syndicat de Consenvoye qui avait été l'objet d'une condamnation fût engagé à faire appel. Il avait organisé un magasin où les adhérents achetaient au détail des marchandises telles que, vêtements, produits alimentaires et objets d'utilisation ménagère, et qui était approvisionné de ces marchandises sans qu'il y eût au préalable de commandes ou de groupement de commandes de ses adhérents; les marchandises étaient revendues à ceux-ci avec prélèvement d'une bonification de 5 0/0 destinée à assurer le salaire d'un gérant et à couvrir les frais généraux.

Par un arrêt en date du 27 novembre 1907, de la Cour d'Appel de Nancy, le jugement de Montmédy fut confirmé. Il déclare le Syndicat de Consenvoye, coupable du délit d'infraction à l'art. 3 de la loi du 21 mars 1884, maintient la peine de 16 francs d'amende, dit toutefois que pendant cinq ans il sera sursis à l'exécution de ladite peine. La dissolution du Syndicat n'était pas maintenue, mais dans les attendus certaines dispositions permettaient de craindre que les droits de tous les Syndicats Agricoles fussent compromis si l'arrêt faisait jurisprudence.

L'Union Centrale des Syndicats des Agriculteurs de France, qui compte environ 1.600 Syndicats affiliés avec 600.000 syndiqués et plus de 2.000 mutuelles d'assurances reconnut que « Le procès des Syndicats de la Meuse, encore que l'espèce ne fût pas très heureuse soulevait une question de principe qui intéressait l'œuvre syndicale toute entière. Il s'agissait de savoir si les Syndicats avaient ou n'avaient pas le droit d'acheter et de vendre (1) ? » Pour cette raison elle décida de soumettre l'affaire à la Cour de Cassation.

Celle-ci rejeta, le 29 mai 1908, le pourvoi formé contre l'arrêt de Nancy par les demandeurs, « prévenus d'avoir contrevenu à l'art. 3 de la loi du 21 mars 1884 en ne limitant pas l'objet du Syndicat à l'étude et à la défense de ses intérêts, notamment en créant un établissement commercial ».

Malheureusement l'arrêt de la Cour de cassation manquait

(1) Discours prononcé par M. Delalande, président, à l'Assemblée Générale du 5 mars 1909. (Bull. de l'Union Centrale.)

de précision et de clarté, aussi souleva-t-il à son tour des appréciations très divergentes.

Les uns le considérèrent comme visant une espèce, les excès commis par les Syndicats condamnés; les autres y virent une interprétation complète de la loi de 1884.

D'après M. J. Hitier, il en résultait simplement que « l'acte commercial tel qu'il est établi par le Code, est interdit aux Syndicats. Voilà tout ce qu'il y a dans l'arrêt, disait-il, et il nous semble qu'il n'y a rien de plus. La pratique du groupement des commandes par le Syndicat servant d'intermédiaire entre ses membres et un fournisseur est, et reste licite du moment que le syndicat s'abstient de prélever un bénéfice et se borne à se couvrir de ses frais. Et, à notre avis, à condition toujours que le Syndicat reste un mandataire gratuit, il n'y a pas à tenir compte d'une circonstance accessoire que l'arrêt de Nancy avait retenu dans l'affaire du Consenvoye, à savoir l'achat pratiqué à l'avance, en prévision des besoins futurs des adhérents et l'établissement de magasins par le Syndicat pour la livraison en détail (1). »

Néanmoins, des syndicalistes songèrent à faire préciser la doctrine des tribunaux en suscitant de nouvelles poursuites. Ils y étaient encouragés par l'acquittement, prononcé quelque temps après par le tribunal correctionnel d'Angoulême, en faveur du Syndicat de la Rochefoucaud, qui se limitait aux opérations d'ordre professionnel et se bornait au rôle de mandataire sans rechercher un bénéfice commercial. A leurs yeux (comme à ceux de M. Noulens, rapporteur à la Chambre des députés du budget du ministère de l'Agriculture (2)) la thèse de la Cour de Cassation était contestable, même au point de vue juridique; mais toute discussion s'arrêta bientôt ; car une question autrement redoutable surgit tout à coup

Le 19 juin 1908, un projet de loi avait été déposé, à l'improviste, par M. le ministre de l'Agriculture, auquel la Commission de l'Agriculture à la Chambre donna son adhésion. Il prévoyait la création de syndicats économiques agricoles ayant pour but de servir d'intermédiaires à leurs membres,

(1) J. HITIER, professeur agrégé à la Faculté de Droit de Paris, Le régime des Syndicats Agricoles.

(2) Séance du 17 décembre 1908.

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