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se fasse, mais le contraire est possible aussi, auquel cas le Tribunal fédéral jugera en toute liberté.

Je vous ai dit, dans ma chronique du mois d'août, les stipulations essentielles de la convention. Pour l'abandon de leur droit à une participation aux bénéfices du réseau après un dividende de 7 p. 100 aux actionnaires, la Suisse assure aux deux Etats suventionnants une sorte de privilège de tarifs pour l'échange de leurs marchandises par la ligne rachetée. Voici le texte de ces dispositions:

Art. 7. Le trafic sur le chemin de fer du Saint-Gothard jouira toujours des mêmes bases de taxes et des mêmes avantages qui sont ou seront accordés par les chemins de fer fédéraux à tout chemin de fer qui existe déjà ou qui sera construit à travers les Alpes.

Art. 8. Pour ce qui concerne le transport des voyageurs et des marchandises d'Allemagne et d'Italie, pour et à travers ces deux pays, la Suisse s'engage à ce que les chemins de fer fédéraux fassent bénéficier les chemins de fer de l'Allemagne et de l'Italie au moins des mêmes avantages et des mêmes facilités qu'elle aura accordés soit à da'utres chemins de fer en dehors de la Suisse, soit à des parties et à des stations quelconques de ces chemins de fer, soit enfin aux stations frontières suisses.

Les chemins de fer fédéraux ne peuvent entrer dans aucune combinaison avec d'autres chemins de fer suisses, par laquelle ce principe se trouverait violé.

La rigueur de ce dernier alinéa est toutefois tempérée par le commentaire suivant annexé à la convention :

La deuxième phrase de l'art. 8, « Les C. F. F., etc., » veut seulement dire que les C. F. F. ne peuvent entrer dans aucune combinaison avec d'autres chemins de fer suisses par laquelle ils accorderaient sur leurs lignes des bases de taxes plus réduites que celles qui sont appliquées au trafic et transit par le Gothard.

En fait, c'est une sorte de « clause de la ligne la plus favorisée », mais favorisée à l'avantage de l'Allemagne et de l'Italie. Pour la Suisse, c'est une gêne, puisqu'elle se prive à tout jamais de la possibilité de « jouer des tarifs », si vous me permettez cette expression familière. Il est facile de comprendre pourquoi les Chambres fédérales ne se pressent pas de ratifier pareil arrange

ment.

Au surplus, depuis quelque temps, les rapports diplomatiques entre Berne et Berlin ne sont pas très faciles. Non pas qu'il y ait de graves conflits, mais bien une demi-douzaine de questions assez épineuses, sinon irritantes. C'est d'abord, outre la convention du Gothard, ce qu'on est convenu d'appeler « le conflit des farines ». L'Allemagne rembourse à ses grands meuniers, partiellement tout au moins, le droit que les farines allemandes doivent payer à leur

entrée en Suisse. La Suisse a réclamé, au nom de ses meuniers à elle, contre ce procédé déloyal. L'Allemagne a offert de soumettre la question à un arbitrage, puis, sous un prétexte futile, elle a refusé de donner suite à sa proposition. Les pourparlers ont duré de longs mois, l'Allemagne a fait une concession insuffisante pour permettre à la meunerie suisse de soutenir la concurrence; enfin, aux recharges multipliées du Conseil fédéral, elle a fini pas ne plus répondre. Pour le moment, la question dort, mais elle n'est pas résolue et en attendant nos meuniers se demandent jusqu'à quand ils pourront continuer à moudre.

Puis est venue la revision du traité d'établissement. Le traité actuel nous impose l'obligation de n'admettre à l'établissement en Suisse que les Allemands munis d'un « acte de bonnes mœurs » délivré par la légation d'Allemagne à Berne, mesure de police qui date du temps où le prince Bismarck prétendait étouffer le socialisme avec des articles de loi ou de règlement. M. de Bulow, frère du chancelier, ministre à Berne, a fini par trouver que la délivrance de ces actes aux milliers d'Allemands qui vont et viennent chez nous, était une formalité très inutile, très gênante et très onéreuse pour sa chancellerie. Il a donc demandé qu'on en revînt et le Conseil fédéral qui n'avait aucun intérêt à ce qu'elle fût maintenue à bénévolement consenti à l'abrogation. On lui reproche, et on lui reprochera sans doute aux Chambres, d'y avoir mis trop d'empressement et de n'avoir pas su profiter de la circonstance pour demander, lui aussi, quelque chose. D'autre part, nous avons refusé la proposition qui nous était faite de Berlin d'abaisser à deux sous la taxe de transport des lettres dans le trafic entre l'Allemagne et la Suisse. Le Conseil fédéral a allégué des motifs de l'ordre fiscal, mais je crois que la préoccupation de garder à cet égard une sorte d'égalité de traitement avec la France pour nos rapports de correspondance, a été pour quelque chose dans ce refus d'une convention postale particulière. Faut-il lier à cette détermination l'intransigeance de l'administration douanière allemande dans un grand nombre de cas particuliers et spécialement dans l'analyse des vins ? Je ne sais pas, mais il se pourrait que sur ce point nous fussions entraînés à des représailles qui, bien que sans grande portée, alourdiront encore une situation diplomatique qui ne présente pas, pour l'heure, un tableau d'idéale concorde.

Le 31 août, dans le petit port suisse de Rorschach, sur le lac de Constance, nous avons reçu la visite officielle de Sa Majesté l'empe

reur François-Joseph. L'empereur avait pris aimablement l'initiative de cette entrevue, à laquelle le Conseil fédéral avait délégué son vice-président, M. Comtesse, président de la Confédération pour 1910 et deux de ses membres, MM. Brenner et Schobinger. François-Joseph revenait du Tyrol et du Vorarlberg où il avait célébré au milieu de ses fidèles montagnards, le centième anniversaire des combats de 1809 et de la mort du héros populaire Andreas Hofer. Faisant le tour du lac en bateau à vapeur pour rendre visite au grand-duc de Bade, au roi de Wurtemberg, au prince-régent de Bavière, tous riverains, l'Empereur n'a pas voulu négliger la Suisse, le seul pays de ses voisins qui ne lui ait jamais, dit-il, causé de désagrément. L'entrevue a eu lieu à bord de l'Impératrice Elisabeth. Les discours échangés, en langue française, ont été des plus cordiaux. L'empereur François-Joseph a toujours témoigné à la Suisse, à ses institutions, à ses magistrats, une estime particulièrement sympathique et gracieuse, de même qu'il porte un intérêt soutenu à notre armée. M. Comtesse a parlé au nom du peuple suisse tout entier quand il a dit à l'empereur les vœux que la Suisse forme pour le bonheur du souverain et de son peuple et pour la prolongation de son auguste règne.

Cette année, nous aurons la visite du Président de la République française. M. Fallières, lui aussi, peut être assuré de trouver en Suisse l'accueil le plus cordialement respectueux. La similitude des institutions qui régissent les deux pays, les liens d'amitié qui depuis tant de siècles unissent les deux peuples, les événements tout récents, dont je parle plus haut, contribueront à donner à cette entrevue un caractère tout particulier d'affabilité. La nouvelle que le Président de la République française avait fait annoncer sa venue a produit dans tout le pays la meilleure impression : nous sommes très flattés de recevoir des empereurs et des rois, la visite d'un président de République nous touche.

Aurons-nous Guillaume II, empereur allemand? Peut-être, mais ce n'est point certain. A deux reprises déjà le souverain de 'Empire a exprimé à nos officiers détachés aux mancuvres impériales le désir d'assister aux manœuvres d'automne de l'armée suisse, mais jusqu'ici il n'a pas mis son projet à exécution. Le Conseil fédéral se tient toujours sur une grande réserve en pareille circonstance, Il y est plus ou moins obligé, étant donné qu'il ne peut pas rendre aux chefs d'Etat voisins les visites qui lui sont faites, une tradition très ancienne, d'accord avec le sentiment populaire, lui interdisant de quitter le territoire sinon dans des circonstances tout à fait spéciales. Ainsi en 1906, quand Sa Majesté le roi d'Italie a désiré visiter le tunnel du Simplon, le président de

la Confédération a reçu le souverain à Brigue et, après le dîner, l'a raccompagné jusqu'à la gare de Domodossola, à la tête sud de la grande galerie trans-alpine. Mais ce n'est pas là un précédent : l'exception confirme la règle et il ne s'agissait pas, dans ce cas, à proprement parler, d'une visite rendue. Nous avons un peu le tempérament des grillons et jugeons que, pour vivre heureux, il faut vivre caché.

Je dois signaler encore au nombre des événements officiels, à caractère international, l'inauguration, à Berne, le 7 octobre, du superbe monument que votre illustre compatriote, le sculpteur Saint-Marceau, a consacré à l'Union postale universelle dont on célébrait le trente-cinquième anniversaire. Des représentants de la plupart des Etats civilisés assistaient à cette cérémonie intéressante, et émouvante aussi pour qui réfléchit. Cette Union générale des postes qui, en 1874, à sa fondation, ne comprenait encore que l'Europe, les Etats-Unis d'Amérique et l'Egypte, embrasse aujour d'hui tous les Etats organisés du monde, de l'Alaska au cap de Bonne-Espérance et du cap Nord à la Nouvelle-Zélande. Et quand on songe que cette organisation mondiale, toujours en action, sans trêve et sans interruption, porte maintenant aux confins du monde, sans souci des obstacles et des frontières, les messages de joie ou de deuil, d'espérance ou de tristesse qui lui sont confiés par l'humanité civilisée tout entière, on peut bien dire avec M. Ruffy, le directeur du bureau central de l'Union, que cette création est une des œuvres, non seulement les plus utiles, mais les plus colossales du génie de l'homme.

Parlons affaires. Les chemins de fer fédéraux ne sont pas sortis encore de leurs embarras financiers. L'année 1908 nous a laissé un déficit de 6,7 millions, celui de 1909 ne sera guère moindre, le budget pour 1910 en prévoit un de même dimension. Heureusement cette gêne momentanée n'est pas dûe à un sérieux ralentissement du trafic, encore que les recettes de 1908 et 1909 se soient ressenties de la crise financière qui a sévi sur toute l'Europe, mais bien à un accroissement anormal des dépenses d'exploitation. Les chemins de fer fédéraux eux-mêmes l'ont reconnu et la Direction générale a ordonné de sérieuses mesures d'économie, qui ont été immédiatement suivies d'effet. Malheureusement, la plus-value du bénéfice d'exploitation réalisée en 1909 est compensée par l'accroissement des charges de la dette et de l'amortissement du capital de construction et l'augmentation des traitements et salaires du personnel.

Il est maintenant reconnu de tout le monde qu'on s'est trompé, au moment de la nationalisation, dans la supputation du prix du rachat, tandis que, d'autre part, pour gagner l'opinion à l'exploitation par l'Etat, on baissait les tarifs au-delà du raisonnable. Il ne faudrait pas cependant tirer de ces faits des conclusions trop pessimistes la Direction générale est très prudente dans l'évaluation de ses recettes et il suffirait d'une reprise de trafic pour que le déficit actuel fût comblé.

Cependant, le Conseil des chemins de fer ne partage pas cet optimisme. Dès 1912, dit-il, de nouvelles dépenses sont à prévoir : une revision inévitable de la loi sur les traitements et les salaires du personnel entraînera une nouvelle dépense qui, avec l'aggravation du service et de l'amortissement de la dette, peut être évaluée à une vingtaine de millions. Même en escomptant une augmenta tion de recettes de 10 millions, on n'arrive pas à l'équilibre. Il faut donc majorer les tarifs, non pas ceux pour le transport des marchandises, déjà trop élevés, mais les tarifs-voyageurs, où il y a de la marge, surtout aux billets double course, moins chers en Suisse que dans les pays voisins. En fixant le prix du double-kilomètre à 7,3, 11, et 16,6 centimes pour les trois classes au lieu de 6,75, 10 et 15,6 centimes, on obtiendrait un accroissement de recettes de 3,2 millions; en augmentant en outre le prix des billets de plaisir, des abonnements à parcours déterminés et des abonnements généraux, on obtiendrait 4 millions. Même à ce prix augmenté, le billet double course sera moins cher encore que sous le régime des Compagnies. On a étudié d'autres moyens, relèvement du prix de la simple course, suppression des aller et retour avec tarif unique, taxes supplémentaires pour les trains rapides; on y a renoncé. Les chemins de fer fédéraux sont d'ailleurs pressés : ils voudraient voir les nouvelles taxes appliquées déjà fin 1910 ou, au plus tard, au 1er janvier 1911.

Le Conseil fédéral est d'accord et vient de saisir les Chambres d'un projet d'arrêté il fait siens les arguments du Conseil d'administration, constate que, grâce au renchérissement de toutes choses, la recette kilométrique de 4,19 centimes en 1903 est descendue à 3,67 cent. et juge que le public ne pourra pas se plaindre,s'il considère ce que l'administration de l'Etat a fait pour augmenter le nombre des trains, améliorer le matériel roulant et les installations fixes. Il reste à voir ce que diront les Chambres et si elles ne jugeront pas qu'avant d'en appeler à la bourse du public, il ne convient pas d'attendre encore et de rechercher si d'autres économies ne peuvent pas être faites par des simplifications dans l'organisation même du réseau fédéral et une réduction sensible du personnel des bureaux.

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