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Quand nous mettons ici en cause le collectivisme, nous ne visons pas ce collectivisme violent et brutal qui préconise le partage des biens, la nationalisation du sol et la socialisation de la propriété individuelle. Celui-ci n'est pas le plus dangereux, précisément parce qu'il se montre franc dans ses allures, parce que ses attaques bruyantes contre l'ordre social provoquent d'elles-mêmes la résistance. Mais, il est un autre type de collectivisme, plus bénin en apparence, beaucoup plus pernicieux au fond, qui, sous la forme mitigée de l'étatisme, s'insinue comme un poison subtil dans les veines du corps social.

Ce collectivisme poursuit deux fins connexes et également funestes au maintien de l'ordre social: 1° détourner les classes travailleuses du travail et de l'épargne volontaire en leur assurant une retraite obligatoire aux dépens de la collectivité et en les allégeant de toute contribution directe aux charges nationales; 2° affaiblir et détruire les classes moyennes en suscitant toutes sortes d'entraves au développement de leur activité et de leur prospérité économique, en faisant porter 'exclusivement sur elles tout le poids de l'impôt.

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Grâce aux emprises successives de ce collectivisme, la situation des classes moyennes peut être tellement aggravée et intolérable qu'elles préfèrent abandonner leurs entreprises 'issues de l'initiative privée pour les laisser tomber entre les mains de l'Etat. N'est-ce pas un socialiste collectiviste Kautsky qui a fait entendre cet avertissement significatif : « Si l'ouvrier a son existence assurée, même en cas de chômage, rien ne lui sera plus facile que de mettre le capital en échec. Alors il n'aura plus besoin du capitaliste qui ne pourra pas, sans l'ouvrier, continuer son exploitation. Quand on en sera là, l'entrepreneur aura le dessous dans tous les conflits avec ses ouvriers, et sera forcé de céder. Les capitalistes pourront alors continuer de diriger des fabriques; mais ils cesseront d'être les maîtres et les exploiteurs. Mais, si les capitalistes reconnaissent qu'il ne leur reste plus que des risques à courir et des charges à supporter, ils seront les premiers à renoncer à la production capitaliste et à insister pour qu'on leur rachète leurs entreprises dont ils ne tireront plus de profits. >>

Ainsi les capitalistes et les entrepreneurs d'industries privées sont dûment avertis du sort peu enviable que leur réserve l'étatisme. On leur inspirera le dégoût de leur profession par les difficultés qu'on s'appliquera à semer sur leur route, et en même temps on les réduira à la portion congrue par le chômage et les grèves systématisées. L'ère prédite par Kautsky n'en a pas moins des chances sérieuses de se réaliser. Il est très probable que le jour où leurs entreprises ne produiront plus que des bénéfices insignifiants en comparaison des charges et des soucis incessants de leurs affaires, les capitalistes se refuseront à jouer plus longtemps un rôle de dupes, et prêteront d'eux-mêmes les mains à la socialication de la production.

Si nous avons dénoncé ici les dangers du projet de loi sur les chèques postaux, c'est qu'il nous apparaît comme une de ces formes variées de l'étatisme qui fraie la route au collectivisme, qui attaque la société actuelle par des voies obliques, mais n'en sape pas moins les fondements de l'édifice jusqu'au jour où l'on sera tout surpris de voir la façade s'effondrer au moindre souffle.

Personne n'a caractérisé la nature spéciale de ce péril prochain avec un sens critique plus pénétrant qu'un ancien Président de la Chambre des députés, M. Burdeau, dans le fragment suivant d'un de ses discours : « Le péril à craindre, ce n'est pas que le collectivisme triomphe, s'établisse et modèle la société à sa guise. C'est qu'il continue à pénétrer les esprits, à pénétrer à petite dose dans nos institutions, à jeter le mépris sur le capital, sur le patronat, sur les institutions qui en dérivent, sur l'initiative privée sans cesse vilipendée au profit des monopoles de l'Etat, sur l'épargne, sur la propriété individuelle, sur les héritages, sur les salaires proportionnés au mérite et à l'habileté des produits offerts, sur les moyens qui servent aujourd'hui à l'élévation des humbles vers les situations meilleures, et, si ce n'est la leur, celle de leurs descendants, à l'élévation de la société par les millions d'efforts de l'initiative privée surexcitée par l'intérêt. »

Et pour préciser encore sa pensée, M. Burdeau ajoutait quelques lignes plus loin: « On arrive aussi à enfler prodigieusement le rôle de l'Etat en le chargeant des chemins de

fer, des mines, de la Banque, peut-être des entreprises de navigation, des assurances, des grands magasins, à écraser d'impôts les fortunes moyennes, les successions, et tout ce qui stimule l'homme aux inventions, aux entreprises hardies et de longue haleine, tout ce qui fait de lui un agent prévoyant, songeant aux générations futures, travaillant pour l'humanité à venir, à dégoûter le travailleur des besognes difficiles, de l'économie, de l'espoir de percer, bref à réduire l'individu à la médiocrité des désirs, des ambitions, de l'énergie, du talent, sous la tutelle d'un Etat envahisseur, à remplacer de plus en plus l'homme animé par son intérêt par un quasi-fonctionnaire. »

Ce langage, qui date déjà de longues années, ne semble-t-il pas d'hier? Nous nous ferions scrupule de rien ajouter à cette citation où chaque mot porte son enseignement, où chaque phrase cingle et atteint au point sensible les entreprises audacieuses du collectivisme étatiste. Nous ne saurions mieux terminer cette étude qu'en le plaçant sous le patronage d'un républicain et d'un démocrate comme Burdeau qui a laissé dans le Parlement le souvenir d'une très belle intelligence unie à un cœur très haut placé.

Th. FERNEUIL.

LES SYNDICATS AGRICOLES

ET LEURS REVENDICATIONS

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Grâce à la loi du 21 mars 1884 qui permet le groupement des personnes en vue « de l'étude et de la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles de nombreux Syndicats ont été fondés dans nos campagnes. La dernière statistique du Ministère du Travail accuse au 1er janvier 1908: 4.423 Syndicats Agricoles avec 771.452 membres. Ce sont des associations professionnelles formées entre tous ceux (hommes ou femmes) qui travaillent le sol ou tiennent à lui par un lien quelconque, qu'ils soient propriétaires, régisseurs, fermiers, métayers ou journaliers. Leur recrutement est donc mixte; le syndicat est ouvert à tous.

D'ordinaire on parle peu de ces Syndicats bien qu'ils aient abordé les problèmes sociaux et économiques les plus complexes. Ils sont ennemis de toute agitation stérile, laborieux et pacifiques.

L'OEUVRE DES S. A.

L'objet exclusif assigné par la loi à tout Syndicat étant l'étude et la défense des intérêts professionnels, les Syndicats Agricoles se sont appliqués à remplir ce rôle de défense pratiquement plutôt que d'une façon théorique. A leur manière ils ont fait de l'action directe. Ils se sont défendus vis-à-vis du commerce des engrais et contre l'élévation abusive des prix des matières utiles à l'agriculture, en groupant

les commandes de leurs membres, afin de bénéficier des avantages des achats en gros et de s'affranchir des intermédiaires inutiles. Contre la fraude, hélas si fréquente! ils se sont défendus en surveillant les livraisons, en les faisant analyser ou bien en intentant des poursuites contre les fraudeurs. Une défense analogue a été organisée dans le commerce des semences, des machines, etc. Ainsi les marchés ont été assainis et les cours régularisés.

Mais l'action des Syndicats Agricoles ne se limite pas à cela. Par des démarches et des mouvements d'opinion, ils interviennent dans les réglementations municipales et préfectorales, et ils agissent auprès des administrations, des Compagnies de transport et des pouvoirs publics, pour défendre les intérêts agricoles chaque fois qu'ils sont en jeu.

Leur rôle dans l'étude des intérêts professionnels est tout aussi bien rempli et de même façon, c'est-à-dire dans un esprit d'application pratique (cn dirait aujourd'hui: dans un esprit de réalisation). Ils se sont faits les agents actifs de la vulgarisation des connaissances agronomiques. Des journaux, des bulletins, des cours d'enseignement, ont mis les travaux scientifiques à la portée des syndiqués ; même quelques Syndicats ont établi des examens donnant droit à la délivrance d'un certificat syndical d'enseignement agricole. Des concours de labourage, de tenue des étables; des stations pour l'essai des semences, des nouveaux engrais, des cultures étrangères, etc., ont été créés; et soit pour la reconstitution et la défense des vignobles ravagés par les maladies, soit pour l'amélioration de l'élevage du bétail, les S. A. ont obtenu les résultats les plus brillants.

Contrairement à une opinion trop répandue les S. A sont de véritables auxiliaires pour le commerce. C'est à eux que revient le mérite de l'introduction des engrais, des semences sélectionnées, et des machines dans la plus grande partie des exploitations. Ils ont créé des courants d'affaires qui sans eux auraient été très lents à s'établir. Et si pour ces divers produits leur intervention a eu pour effet un léger abaissement du prix de vente dont a bénéficié le cultivateur, par contre il en est résulté une forte augmentation des

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