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circulation les fonds du service des chèques postaux pour les immobiliser en rentes sur l'Etat à la Caisse des dépôts et consignations, et amoindrir d'autant les ressources financières indispensables pour alimenter le commerce et l'industrie nationale.

Or, l'accumulation des fonds provenant des caisses d'épargne entraîne déjà, à la Caisse des dépôts et consignations, un état de pléthore financière qui, en cas de crise politique ou économique, pourrait devenir un véritable danger public. Ce danger ne serait-il pas sensiblement accru, si les fonds de service des chèques postaux venaient encore grossir le chiffre des rentes provenant des caisses d'épargne?

Et n'est-ce point d'ailleurs une déplorable politique économique que de pousser l'épargne nationale vers les placements en rente, quand on incrimine de toutes parts la timidité et le manque d'initiative des capitaux français qui préfèrent s'immobiliser dans des placements en valeurs d'Etat plutôt que de s'employer à soutenir et à féconder les entreprises industrielles et commerciales du pays?

Si l'Etat ne veut pas accaparer les capitaux de l'épargne pour les diriger vers le marché de la rente et susciter au commerce de la banque une fâcheuse concurrence, il n'a qu'à imiter l'exemple de l'Allemagne et à ne bonifier aucun intérêt aux fonds des comptes courants du service postal. Or, l'article 4 du projet stipule qu'il pourra être alloué aux titulaires de comptes courants un intérêt dont le taux et le mode de calcul seront déterminés par un décret. Le gouvernement se réserve donc d'allouer aux comptes-courants du service des chèques une rémunération dont le taux n'est même pas prévu, et reste subordonné à l'arbitraire gouvernemental.

Il est entendu que le commerce de la Banque a le malheur d'appartenir à cette féodalité financière sur laquelle le collectivisme étatiste a depuis longtemps lancé son anathème. Cependant, qu'on le veuille ou non, la Banque n'en représente pas moins une branche considérable du commerce national, puisqu'elle est la dispensatrice du crédit, et que, sans son concours, les entreprises industrielles et commerciales seraient impuissantes à remplir leur fonction économique. Il faudrait aussi se rendre compte de ce fait trop peu

REVUE POLIT., T. LXIII.

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connu que la situation du commerce de la Banque s'est sensiblement modifiée depuis ces dernières années, que, sous l'empire de la concurrence acharnée entre les banques privées et les sociétés de crédit, ces divers établissements ont été amenés à tellement abaisser leurs tarifs d'escompte ou de recouvrement, à consentir des conditions tellement réduites à leur clientèle, que les bénéfices de la profession ne sont plus aujourd'hui en rapport avec les risques encourus, et qu'on voit peu à peu disparaître, surtout dans les petits centres de population, la plupart des banques particulières. La création des comptes courants de chèques postaux risque de venir disputer aux maisons de Banque, surtout aux sociétés de crédit, une branche d'affaires et une importante catégorie de clients, par suite, d'aggraver les conditions difficiles et précaires contre lesquelles a déjà à lutter le commerce de la Banque.

Le service des chèques postaux sera-t-il du moins incorporé au budget ordinaire? L'article 7 du projet proposé,.. au contraire, la création d'un budget annexe devant comprendre les recettes et dépenses propres au service des comptes courants et chèques postaux. On devine aisément ce que devient, dans ces conditions, le principe de l'unité budgétaire, et combien la multiplication de ces budgets annexes : facilite la dissimulation de l'état réel du budget.

L'article 8 vient d'ailleurs mettre en pleine lumière le caractère et les visées commerciales du projet. Il est ainsi conçu « L'excédent de recettes constaté chaque année au budget annexe des comptes courants postaux sera affecté par moitié à la formation d'un fonds de réserve sur lequel seront. imputées les pertes résultant d'opérations ayant pour but d'assurer les remboursements. L'autre moitié sera versée au Trésor. Lorsque le fonds de réserve aura atteint 5 0/0 du solde général des comptes courants au 31 décembre précé<; · dent, l'excédent des recettes du budget annexe sera intégralement versé au Trésor. >>

Ainsi, d'après cet article, l'Etat se promet de ne pas se contenter du remboursement des frais afférents au service, mais d'agir comme un banquier ordinaire qui cherche à réaliser un bénéfice sur l'opération de banque que constitue la

délivrance des chèques postaux. Le public, aux dépens duquel s'effectuera ce bénéfice, aura-t-il du moins la garantie de la responsabilité de l'Etat au point de vue des retards susceptibles de se produire dans le fonctionnement du service? L'article 9 du projet a pris ses précautions pour épargner cette charge à l'Etat en stipulant que, si l'administration se. déclare responsable des sommes qu'elle aura reçues pour être portées au crédit des comptes courants postaux, elle entend ne pas être responsable des retards qui pourraient se produire dans l'exécution du service.

Qu'on compare, à ce point de vue, la situation du détenteur d'un compte de chèques dans une Banque privée ou dans une société de crédit à celle du titulaire d'un compte analogue dans un bureau de poste. Le premier, sous la réserve que son compte présente une provision suffisante, n'admettraitpas un instant que le banquier particulier ou le directeur de la société de crédit eût le droit d'apporter le moindre retard a l'acquittement de son chèque, et n'hésiterait pas à les enrendre responsables, tandis que le second devra subir les atermoiements qu'il plaira à l'Etat de lui infliger. En déclinant une pareille responsabilité, l'Etat a sans doute voulu se prémunir contre l'éventualité de la grève des agents des pos--tes qui pourrait exposer le public à ne pouvoir retirer en temps utile les sommes déposées dans les bureaux de poste.

Mais, dira-t-on, à quoi bon se préoccuper de la concur rence que la création des comptes courants postaux est sus-ceptible de faire aux établissements financiers, si ceux-ci conservent toujours une supériorité incontestable sur les bureaux de poste en offrant à leur clientèle la certitude de n'éprouver aucun retard ni aucune difficulté dans le paiement de leurs chèques, quand la gestion des bureaux de poste leur. refuse une semblable garantie?

Nous répondrons qu'il faut toujours se défier, dans une nation à tempérament étatiste comme la France, de l'influence exercée sur le public pas une institution d'Etat. Si les comptes courants de chèques postaux rapportent un intérêt quelconque, ne fût-ce que 1/2 0/0, il y a lieu de craindre que: les clients abandonnent les banques privées ou les sociétés de crédit pour porter leurs fonds dans les bureaux de poste.....

Est-il besoin de rappeler, comme indication, l'exemple des sommes relativement considérables (6 millions à la Trésorerie générale de Bordeaux, 50 millions environ dans toute la France), déposées chez les trésoriers généraux qui ne servent à leurs déposants qu'un intérêt intime, mais qui les attirent par le prestige de leur titre de fonctionnaires de l'Etat, bien que leur responsabilité personnelle soit seule engagée à l'égard de la clientèle ?

Et cependant cette foi étatiste du public ne devrait-elle pas être singulièrement ébranlée par les nombreuses et trop concluantes expériences de l'Etat industriel et commerçant ? L'essai d'exploitation des chemins de fer de l'Etat est encore trop récent pour que l'on puisse se prononcer en pleine connaissance de cause; mais les résultats de la première année, se soldant par un déficit de 50 millions environ, autorisent des doutes sérieux pour l'avenir, sans parler des précédents peu encourageants de la Suisse, de la Belgique et de l'Italie.

Il est une autre expérience bien faite pour nous édifier sur les mérites de l'Etat industriel, et pour nous détourner de l'extension de sa sphère d'action dans ce domaine nous voulons parler du transfert de l'Imprimerie nationale à Grenelle dont les invraisemblables incidents ont produit récemment une certaine émotion dans les milieux parlementaires, opération qui coûtera près de 10 millions, soit 6 millions de plus que la dépense prévue, et qui, commencée en 1902, ne sera pas terminé avant trois ans. A propos de l'organisation de l'Imprimerie nationale, M. Brousse, rapporteur de ce budget, n'hésite pas à affirmer qu'il est difficile de trouver une installation plus malsaine, plus défectueuse, plus lamentable. L'Etat ajoute-t-il, « ne se gêne pas pour imposer à l'industrie privée des lois très dures sur les accidents, les heures de travail de nuit, lois qu'il se garde bien d'appliquer et d'observer dans ses propres ateliers. Si un imprimeur libre installait ainsi ses ouvriers les uns sur les autres, dans des salles obscures, sans air, au milieu des étais, sous des plafonds prêts à s'écrouler, entre des murs d'une saleté repoussante, il y a longtemps qu'il aurait été, justement d'ailleurs, traduit devant les tribunaux, accablé de condamnations, et mis dans la nécessité de mettre la clé sous la porte. »>

En présence de pareilles constatations, on s'explique la résistance à l'élargissement des attributions de l'Etat dans le domaine industriel et commercial. A dire vrai, le majorité du public ne demande qu'une chose, c'est que, bien loin de se charger de services pour lesquels il est manifestement incompétent, l'Etat se cantonne scrupuleusement dans ceux qu'il a tant de peine à gérer à la satisfaction générale. Au lieu d'ajouter le service des chèques postaux à la série de ses monopoles, il agirait bien plus sagement en s'occupant d'améliorer le service des téléphones, de le mettre à la hauteur des besoins de sa clientèle et des progrès réalisés dans les pays étrangers.

Nous venons de résumer les objections et les critiques auxquelles prête le projet de loi sur les chèques postaux. Quels qu'en soient, pour le commerce de la banque, les inconvénients dont nous n'avons pas dissimulé la gravité, ce projet est surtout inquiétant et justifie une opposition résolue par la tendance générale dont il s'inspire, par l'esprit étatiste dont il est profondément imprégné. Nous connaissons déjà l'Etat entrepreneur de transports et fabricant d'allumettes. Le verrons-nous demain banquier, filateur, tisserand, métallurgiste ou fabricant de produits alimentaires?

M. Cochery, ministre des Finances, a paru disposé, dans un récent discours, à mettre à l'étude le monopole de l'alcool et des assurances. Le tout à l'Etat deviendrait-il la devise favorite de la République, comme il est celle de la monarchie et du césarisme? Jamais on n'a tant entendu parler de monopoles et d'extension des attributions de l'Etat, en sorte que, par un singulier paradoxe, le gouvernement républicain qui, pour rester fidèle à son principe, devrait le plus favoriser le libre développement des initiatives individuelles et collectives, devient en pratique celui qui tend à leur imposer le plus d'entraves, et à les étouffer sous son niveau compresseur. Un Etat omnipotent, en face d'une foule amorphe d'individus débiles et paralysés dans leur activité, tel est l'idéal vers lequel nous faisons chaque jour un nouveau pas.

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