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Mais là, nous ne sommes plus sur le terrain économique et commercial de l'équivalence des services rendus. Nous sommes sur le terrain de l'arbitraire et du despotisme. Et comme disait Bismarck N'importe quel imbécile peut gouverner avec l'état de siège.

Donc la situation actuelle fondée sur l'impôt est incontestablement préférable au monopole rêvé par quelques rares législateurs. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

L'impôt donne la certitude fiscale, quand il n'arrive pas aux excès. La doctrine de l'impôt, seule source des revenus publics, est éminemment salutaire pour une nation. Elle fortifie les énergies, elle comporte le respect du travail, elle est un vrai stimulant pour les affaires. C'est un gage de prospérité nationale.

Ayons donc une bonne fois une doctrine fiscale suivie. Attachons-nous aux principes de la Révolution. C'est surtout dans les moments de crises financières, d'embarras budgétaires, qu'il importe d'y être fidèles parce que c'est à ce moment qu'on est entraîné, lorsqu'on manque de boussole, aux expédients absurdes, dont les conséquences peuvent être des plus périlleuses.

VI

L'esprit d'entreprise, c'est la vie, c'est la force d'une nation. Le développer est le premier devoir d'un gouvernement prévoyant. Il ne faut point de bornes, point de limites, point d'entraves à l'activité, à l'initiative d'un peuple libre. Toutes les perspectives doivent lui être largement ouvertes. La nation d'avenir, la nation aux grandes idées, aux conceptions audacieuses et géniales ne peut vivre dans une atmosphère confinée.

Eh bien il n'y a plus d'initiative, d'initiative féconde où l'Etat prend l'habitude de mettre son interdiction de travailler, tantôt sur une profession, tantôt sur une autre. Quel que soit d'ailleurs le métier qu'il accapare, l'Etat n'arrive jamais qu'à produire à perte. Il lui serait impossible d'écouler ses produits, même au prix de revient, s'il avait à lutter con-tre la libre concurrence. Il s'appauvrirait jusqu'à l'épuise-

ment par l'exercice même de son industrie. Mais où il s'appauvrirait, d'autres pourraient s'enrichir. Où l'Etat perd de l'argent, l'industriel libre en gagne. Donc en monopolisant une industrie, l'Etat empêche ses nationaux de s'enrichir. Il les prive des bénéfices que dans la même industrie il est incapable de réaliser. Ces bénéfices sont perdus pour tout le monde. Le monopole est un artisan de pauvreté. Il appauvrit la nation partout où il est exercé.

Mais il ne l'appauvrit pas seulement en argent. Il lui cause un tort beaucoup plus grand.

Il l'appauvrit en hommes. Le proverbe oriental dit : Là où vous semez une poignée de blé naissent des hommes. Inversement là où on détruit une profession libre on supprime des hommes, on empêche de naître des existences humaines.

Cela est surtout vrai dans des pays d'extrême prévoyance comme le nôtre.A quoi bon de nombreux enfants, dit l'homme marié, je ne vois pas de métier, de position à leur donner. Aussi en trente ans, les naissances sont tombées chez nous de 950.000 à 750.000, soit 20 % de diminution. Est-ce donc bien en France qu'il convient de réduire le nombre des positions, le nombre des métiers libres ?

Du moins peut-on demander à l'Etat de ne pas lui-même aggraver le mal.

L'Etat qui sort de ses attributions de protection sociale, l'Etat qui s'empare des moyens d'existence des citoyens, qui se substitue à eux et les dépouille de leur travail, l'Etat qui fabrique de mauvais produits et qui, par des lois draconiennes, force néanmoins les consommateurs à les acheter au prix qu'il impose et qui est toujours exorbitant, l'Etat qui trompe sur la qualité de la marchandise, qui trompe aussi ses ouvriers en ne tenant compte dans ses rapports avec eux que de la faveur politique et non de la justice, cet Etat constitue un exemple décevant et lamentable.

LOUIS GOTTERON,

Ancien sénateur.

L'ASSAINISSEMENT MORAL DE L'ARMÉE

Le drame, qui a eu lieu dans le train 826, entre Melun et Paris, et certains incidents qu'il ne faut pas prendre trop au tragique, ont donné une triste actualité à la question des repris de justice, admis en trop grand nombre dans nos régiments.

L'état de choses dont l'opinion publique paraît s'émouvoir est dû à certaines innovations introduites dans la loi du 21 mars 1905. Ces innovations peuvent se résumer en ces ter

mes :

1° La limite des condamnations à l'emprisonnement devant entraîner l'affectation aux bataillons d'Infanterie légère d'Afrique a été portée de trois mois à six mois en une ou plusieurs fois.

2° Cette affectation a été rendue facultative, même pour les individus ayant encouru les condamnations en question.

3o Les engagements volontaires de trois ans peuvent désormais être contractés sans limite de nombre et sans le consentement des chefs de corps.

Cela revient à permettre à un engagé volontaire de choisir son régiment, et par suite sa garnison; et l'on oublie trop souvent que rien n'oblige à l'y garder. Enfin, des circulaires ministérielles ont prescrit d'affecter à des corps de troupe, stationnés dans le voisinage de leur domicile, les soutiens de famille et les hommes mariés.

Pour bénéficier de ces dispositions bienveillantes, de véritables souteneurs n'hésitent pas à régulariser leur situation avec une fille publique quelconque, ce qui leur permet de garder à leur portée leur singulier moyen d'existence.

D'autres individus, de même acabit, craignant que, s'ils

attendent l'appel de leur classe, on ne les éloigne de la grande ville de leur choix, préfèrent contracter un engagement volontaire de trois ans à destination de la grande ville en question, où ils peuvent continuer leurs exploits sous l'uniforme.

Chez de pareils soldats, les chefs sont unanimes à constater l'inexistence totale de sentiments généreux; et ce ne sont pas les conférences morales qui peuvent faire naître ces sentiments. Il est inutile d'insister sur le danger matériel que présente l'introduction d'apaches et de souteneurs dans les chambrées où, en l'absence de tout meuble fermant à clef, les poches des camarades sont à leur discrétion. Il existe un danger moral encore plus grand à mettre d'honnêtes jeunes gens en contact avec ces individus ; et la promiscuité des locaux disciplinaires est encore pire que celle des chambrées. Par une singulière routine, les soldats non punis sont constamment surveillés par des caporaux qui ont un semblant d'autorité, et les punis sont enfermés en commun dans des locaux où, surtout la nuit, la surveillance ne peut être qu'intermittente.

A ce propos, il faut espérer que le prochain décret sur le Service Intérieur supprimera la punition de salle de police, qui est infligée souvent pour des fautes légères et présente, comme il vient d'être dit, des chances de danger moral. Les seules punitions pouvant être infligées disciplinairement devraient consister dans la privation de sortir du quartier et la séquestration cellulaire (1).

Le Parlement portera remède à la situation actuelle en abaissant le taux des condamnations devant entraîner l'affectation aux bataillons d'Infanterie légère d'Afrique. Il était possible à l'autorité militaire d'apporter quelques atténuations à cette situation en modifiant les dispositions réglementaires relatives aux engagements volontaires. Tout d'abord on constate que le certificat de bonne vie et mœurs, qu'il faut produire au moment de la signature d'un engagement, est

(1) Une circulaire ministérielle du 14 août 1906 a prescrit le régime cellulaire pour toutes les punitions disciplinaires infligées dans les corps d'épreuve où ce régime est plus nécessaire qu'ailleurs. Cette circulaire n'a été appliquée que partiellement.

donné avec beaucoup trop de facilité. En ce qui concerne le casier judiciaire, il pourrait être exigé qu'il fût absolument net, et non pas simplement qu'il ne contînt pas des condamnations à l'emprisonnement pour infractions contre la probité ou les mœurs. Ceux qui auraient un passé orageux en seraient quittes pour attendre d'être appelés sous les drapeaux. Quant aux engagements de quatre et cinq ans, ils devraient toujours être résiliables, comme cela a lieu pour les troupes coloniales depuis le décret du 16 mars 1905. Il est étonnant que ce décret ne soit pas applicable à des troupes ayant un recrutement spécial comme la Légion étrangère et les bataillons d'Infanterie légère d'Afrique (1).

L'Etat a tout intérêt à pouvoir rompre le contrat qui le lie à de mauvais soldats, et pour ces derniers la crainte d'être mis dehors serait quelquefois plus salutaire que la perspective d'être « mis dedans ».

Dans tous les cas, si grand que soit le désir de ramener au bien les dévoyés, il faudra toujours écarter de prime abord certains individus notoirement tarés, et débarrasser les régiments des soldats dont l'inconduite serait d'un dangereux exemple. C'est dans ce but qu'il existe dans notre organisation militaire des bataillons d'Infanterie légère d'Afrique et des unités de discipline.

Suivant une tradition qui date de quelques années, le Parlement est souvent appelé à discuter des interpellations sur la situation de ces corps d'épreuve. La plus récente a été discutée au Palais-Bourbon les 13 et 15 novembre 1909. On y a, une fois de plus, confondu ensemble les divers corps d'épreuve et établissements pénitentiaires militaires de l'Afrique du Nord. Il n'y a pas lieu de s'en étonner, car de trop grandes similitudes de régime, et mêmè de costume, sont cause que l'on se représente, sous le large képi à visière carrée, un ensemble d'individus appartenant à des catégories très différentes. Certains littérateurs, qui ont voulu intéresser l'opinion publique au sort des individus en question, comprennent, in

(1) Pour combler cette lacune, le gouvernement a proposé de ne plus accepter dans les bataillons d'Afrique que des engagements de trois ans et même de deux ans pour les souteneurs, ce qui revient pour ces derniers à simplement devancer l'appel.

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