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indemnités auxquelles auraient droit les Compagnies dépossédées et le personnel qu'elles emploient?

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La première chose à faire, ce serait d'exproprier les Compagnies. Sur quelle base? Evidemment 1° sur la base du dommage causé, damnum emergens, 2° sur la base du gain à réaliser, lucrum cessans.

Il nous semble donc hors de doute, dans ces conditions, que le monopole aurait à rembourser le capital des actions au cours moyen de la dernière année, et à verser à chaque Compagnie une indemnité proportionnelle au surplus du gain réalisé par elle, après le service des intérêts des actions, sur le chiffre d'affaires.

Mais il n'est point dans notre pensée de nous engager dans le dédale d'une liquidation où il y aurait à établir une sorte de discrimination sur chaque police en cours.

En ce qui concerne les 200.000 employés, agents et courtiers des Compagnies, si méritants, si dignes d'intérêt, qu'adviendrait-il? On leur répète couramment qu'ils conserveraient leur situation, qu'elle serait même améliorée, qu'ils deviendraient des fonctionnaires avec toutes les immunités et les prérogatives dont jouissent les employés de l'Etat-patron. Profonde erreur !

Plus des neuf dixièmes d'entre eux seraient remerciés dès l'établissement du monopole et se verraient jetés sur le pavé, sans ressources, sans compensation aucune, sauf dans le cas où ils auraient des engagements spéciaux avec leurs Compagnies, auquel cas l'Etat serait substitué aux obligations de ces Compagnies. C'est qu'en matière d'expropriation, on indemnise le propriétaire, le patron, commerçant ou industriel. La partie expropriante ne s'occupe pas des employés.

Au lendemain de la prise de possession du portefeuille des Compagnies, que se passerait-il au sujet des employés ?

L'Etat conserverait juste le nombre de commis suffisant pour se mettre au courant des affaires de chaque Compagnie. Puis il centraliserait les services de mème nature. Il y aurait très probablement un ministère des assurances, avec de grandes directions correspondant aux branches les plus importantes assurances maritimes, incendie, vie, accidents, etc.

Dans chaque département, on constituerait un bureau particulier relevant du ministère.

Et dans chaque canton un représentant officiel pour recevoir les demandes et les transmettre à qui de droit.

L'ardente concurrence, l'ardente chasse à l'assuré, serait inutile, puisqu'il n'y aurait plus qu'un seul assureur. Les agents et courtiers qui ont popularisé l'assurance, qui l'ont fait connaître au public, perdraient le fruit de leurs efforts. Ils auraient travaillé pour l'Etat.

5.000 percepteurs suffisent pour faire rentrer dans les coffres de l'Etat, des départements et des communes, une somme de plus de 1.200 millions de francs.

Les 3.000 receveurs de l'enregistrement suffisent pour faire encaisser par le Trésor les 800 millions d'impôts de timbre et de mutations diverses qu'ils sont chargés de recou

vrer.

5 à 6.000 employés suffiraient de même pour le service des assurances monopolisées. Le public y gagnerait-il quelque chose? Nullement. C'est à son detriment que s'accomplirait cette réduction du personnel. C'est le public qui aurait à faire en grande partie la besogne qui incombe aujourd'hui aux agents des Compagnies. Ces agents devenus fonctionnaires, n'auraient plus à aller trouver le public. C'est le public qui viendrait les trouver.

D'autre part, au sujet des garanties, l'Etat en présente-t-il de meilleures que les Compagnies ? Incontestablement l'Etat possède un crédit de premier ordre, qui s'appuie sur l'ensemble de la fortune de la nation elle-même.

C'est même là une raison d'inquiétude pour les contribuables. Ils deviendraient malgré eux les cautions des entreprises commerciales du Gouvernement. A la vérité, si le monopole vénait à se constituer sous la forme de la mutualité, les choses pourraient peut-être s'arranger. Dans ce cas, en effet, l'Etat n'aurait d'autres dépenses que ses frais de bureau et de répartition des indemnités de sinistre entre les assurés.

Mais tel n'est point le but envisagé. On veut une industrie lucrative, qui rapporte le plus d'argent possible.

Ce que l'on envisage, c'est l'assurance à primes fixes avec faculté implicite de rehausser le taux au chiffre que l'on vou

dra.L'Etat touchera les primes. Par contre-partie il sera débiteur des indemnités. Or, quelle est sa situation, pour garantir un capital assuré de 250 milliards et plus ?

L'Etat français est accablé de charges et de responsabilités écrasantes. Il est grevé d'une dette de 40 milliards, la plus lourde du monde entier.

On est bien forcé aussi de songer à quelles aventures l'Etat peut se trouver entraîné par le jeu des événements politiques. S'imagine-t-on, en 1870, l'Etat garant du paiement de 200 milliards de capitaux assurés par lui ? Qui, alors n'eût déploré, même parmi les plus fanatiques apôtres du monopole, un pareil aveuglement ?

Ce n'eût pas été la première fois que l'Etat eût succombé à de telles tentations et qu'il en aurait fait supporter à la nation la cruelle expérience. Au cours de la Révolution, l'Etat avait cru facilement qu'il possédait toutes les capacités, toutes les aptitudes, qu'il pouvait exercer tous les métiers, gérer les intérêts privés les plus compliqués.

Et pour son début, l'Etat révolutionnaire se fit banquier. Il avait pris à son compte le monopole de l'émission des billets de banque, des assignats, comme on les appelait alors. L'entreprise eut peu de succès. Malgré les milliards des biens d'émigrés qui formaient sa garantie, l'Etat banquier, par une série de fautes invraisemblables, en arriva à faire une banqueroute retentissante. Corrigé par cette leçon ruineuse pour le pays, l'Etat dut se hâter de renoncer à son privilège. Le gouvernement du Consulat constitua une Compagnie à laquelle il rétrocéda le monopole de l'émission des billets de banque. La Banque de France fut créée. Et depuis, dans le cours d'un long siècle, rempli de péripéties et de catastrophes, son crédit a plusieurs fois sauvé le crédit de l'Etat, le crédit national.

En 1815, en 1848, en 1870, le billet de banque de l'Etat eût perdu au moins 50 %. La valeur du billet de banque est restée intacte. Pour obtenir de si féconds résultats, il avait suffi de remettre les choses à leur place.

A un degré bien moindre sans doute, les Compagnies d'assurances assument spontanément la fonction de débarrasser l'Etat de responsabilités qui ne sont pas dans ses attributions

essentielles. Comme la Banque, moins étroitement, elles sont placées sous son contrôle. Les garanties qu'elles offrent sont de premier ordre. C'est d'abord un ensemble de réserves de plusieurs milliards. C'est ensuite et surtout la prudence de leur gestion. Outre l'assurance, elles pratiquent entre elles la réassurance des capitaux qui leur sont confiés. Compagnies françaises et Compagnies étrangères se prêtent à cet égard un mutuel appui et une mutuelle garantie. Arcboutées les unes contre les autres, elles offrent contre toutes les adversités possibles une construction financière d'une solidité inébranlable.

Ces Compagnies ont pris toutes les précautions contre toutes les éventualités qui peuvent surgir. Il faudrait que le crédit, non pas d'une nation, mais presque du monde entier, s'effondre subitement, pour que, solidaires les unes des autres, leurs entreprises fussent atteintes irréparablement. Le monopole aurait, au surplus, à résoudre quelques difficultés qui ne laisseraient pas de lui susciter de graves embarras.

Les Compagnies d'assurances étrangères qui opèrent en France sont nombreuses et appartiennent aux nations avec lesquelles nous entretenons les meilleures relations.

En vertu de la loi du 17 mars 1905, qui constitue le dernier état du droit en matière d'assurances, ces Compagnies étrangères, presque libres jusqu'ici dans leurs opérations, ont été soumises à des obligations fort onéreuses.

C'est à ce point que quelques-unes de ces Sociétés, et non des moins considérables, ont préféré renoncer à continuer les affaires en France plutôt que de remplir les prescriptions rigoureuses de la nouvelle loi.

Le plus grand nombre des autres Compagnies s'est conformé à ces récentes dispositions légales. Elles ont obéi, confiantes qu'elles étaient dans l'avenir et dans la fixité des principes de la législation économique française. Elles ont fourni tous les cautionnements exigés, acheté à chers deniers des immeubles parisiens de la plus haute valeur, placé des sommes considérables en valeurs françaises, développé leur installation de la manière la plus large et la plus dispendieuse. Elles n'ont pas jeté tant d'argent au vent pour une œuvre

d'un jour. Elles ont semé pour pouvoir récolter à longue échéance.

Si le monopole est constitué, sur quelle base se fera vis-àvis d'elles le règlement de l'indemnité d'expropriation? Suffira-t-il de les rembourser sur leur chiffre d'affaires actuel, alors qu'elles ne sont qu'au début de leurs opérations, dans la période des frais de premier établissement? L'Etat reprendra-t-il les immeubles avec les transformations qu'ils ont subies au prix coûtant?

N'y aura-t-il pas là le germe de sérieuses difficultés diplomatiques? Les représailles ne s'exerceront-elles pas contre celles de nos Compagnies françaises qui exercent à l'étranger, et qui s'y sont créé une situation importante?

Ce n'est pas, en effet, moins de 35 à 40 millions de primes que touchent annuellement les Compagnies françaises qui pratiquent leur industrie au dehors, surtout en Angleterre, Hollande, Belgique, Italie, Espagne, Turquie.

Quelle nouvelle et insolite cause de perturbation dans les relations internationales ?

Et pour quel profit ? Le public y a tout à perdre. L'industrie des assurances est à son apogée. La concurrence a réduit les prix à leur extrême limite. Les affaires sont devenues peu rémunératrices. Les puissantes Compagnies qui existent ne vivent que sur leur acquit. On connaît, par expérience, le sort réservé, la plupart du temps, aux nouvelles sociétés qui veulent entrer dans la lice.

L'Etat peut-il gagner quelque chose à son monopole ?

La marge des bénéfices est si réduite que ce n'est pas là où échouent tant de tentatives privées de la plus rare énergie que peut réussir la gestion si molle et si onéreuse de l'Etat.

Il pourra joindre tout au plus les deux bouts, après avoir engagé des sommes énormes pour la mise en train du monopole. Et il perdra tout net une bonne recette qui ne lui donne aucune peine à recueillir celle des 40 millions d'impôts que lui paient chaque année les Compagnies d'assurances.

Sans doute, acculé dans ses derniers retranchements, pour réparer ses erreurs, l'Etat pourra se tirer d'affaire en doublant, triplant le tarif des assurances, en rendant l'assurance obligatoire.

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