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Déjà l'Administration postale a charge des transports d'argent: or ces remises peuvent être faites de façon plus large, plus économique, plus rationnelle; par exemple, par les virements et les compensations d'un compte à un autre. Ce sont là des procédés dont usent les banquiers et on ne voit pas pourquoi l'Administration des Postes n'en userait pas elle-même pour ses propres services.

M. Ferneuil observe que des résultats analogues ont été obtenus à l'étranger, en Angleterre et aux Etats-Unis, par les clearing house et la libre association des banques.

Cela est incontestable : j'ajouterai même que je préfèrerais qu'il en fût ainsi chez nous.

Si nos institutions de crédit et nos grandes banques avaient su s'organiser en France pour mettre une ou des institutions semblables à la disposition du plublic, je n'eusse point eu l'idée d'imiter d'autres pays qui ont dû les demander à des organisations d'Etat.

Mais il n'y a malheureusement aucun rapport entre les services rendus et les résultats obtenus par les clearing houses anglo-saxons et les essais analogues qui ont été tentés en France.

C'est une chose reconnue que l'usage des chèques et des compensations qui existe en Angleterre, en Ecosse, aux Etats-Unis, depuis plus d'un siècle, a contribué dans ces pays au développement de leur industrie, de leur agriculture et de leur commerce.

En Angleterre on peut dire que presque tous les paiements ne se font plus qu'en chèques : 4 à 5% seulement sont faits en espèces. Tous ces paiements aboutissent aux Chambres de compensation. Au Clearing-house de Londres, on compense ainsi annuellement une somme de 350 milliards. Au Clearing-house de New-York, on atteint le chiffre de 525 milliards.

Il en résulte une économie considérable de temps et de numéraire.

On a bien essayé d'acclimater en France ce système du chèque et des compensations: la loi de 1865 avait été votée dans ce but.

Mais les tentatives ont été vaines et l'usage des chèques n'a pu pénétrer que très imparfaitement dans les mœurs de notre pays; la Chambre des compensations des banquiers de Paris n'a jamais compensé que des sommes tout à fait dérisoires (9 milliards), si on les compare à celles que nous fournissent les clearing-houses des grandes villes de l'Angleterre et des Etats-Unis.

Nos grandes institutions de crédit et nos banques de dépôts se sont-elles suffisamment prêtées à ce mouvement et à cette organisation? Je ne le pense pas.

M. Ferneuil, au contraire, croit qu'il faut s'en prendre à nos mœurs, à nos habitudes et à notre organisation économique, et il a raison dans une certaine mesure.

Quoi qu'il en soit, le fait est là: que la responsabilité en incombe surtout à nos établissements financiers ou au tempérament national, il est certain qu'en France ne s'est pas acclimaté le système des chèques et des compensations, qui est pour d'autres pays un élément important de force économique.

Or, ce que ces pays ont obtenu par l'association libre des banques, nous voyons que l'Autriche et la Hongrie l'ont réalisé et le réalisent tous les jours davantage par une organisation d'Etat: par le chèque postal. L'exemple a été si décisif que la Suisse n'a pas tardé à le suivre et voici que la Belgique et l'Allemagne organisent à leur tour des services semblables.

En vérité, puisque l'initiative privée s'est montrée dans notre pays impuissante à organiser, comme dans les pays anglosaxons, le système général des clearing-houses, pourquoi n'imiterions-nous pas les autres pays qui ont obtenu des avantages analogues par le développement de l'institution postale?

Cela faisant, l'Etat ne crée pas de monopole : il développe simplement un des services publics en y adaptant des procédés qui ne sont interdits à personne, ni à aucun groupement d'institutions privées.

C'est là le point sur lequel il m'importait surtout de répondre à l'article que vous avez publié : c'est, du reste, l'objection principale qui s'y trouve développée.

Quant au danger de l'accumulation des capitaux à la Caisse des Dépôts et Consignations, il ne me paraît pas à craindre ; si, comme elle fera bien de le faire, l'institution nouvelle limite le chiffre des dépôts et ne leur sert aucun intérêt, la somme de ces dépôts sera de beaucoup inférieure au chiffre des dépôts de nos grands établissements de crédit.

Votre collaborateur paraît également s'effrayer de la création d'un budget annexe ; je suis loin de partager ses craintes. Il s'agit d'un budget industriel, et la clarté et la logique exigent un budget spécial. Il en est de même pour l'exploitation de nos Chemins de fer d'Etat. A mon sens, il devrait en être ainsi pour notre exploitation des Téléphones, et, au surplus, nous pouvons à cet égard citer l'exemple des Anglais, qui sont nos maîtres en matière budgétaire.

Il n'est pas douteux qu'une institution tendant à développer le système des paiements par chèques, virements et compensations rendrait les plus grands services à tous nos commerçants, aux plus considérables comme aux plus petits, à tous nos industriels, voire même à nos agriculteurs.

Il s'agit moins de théories que de réalisations. Pouvonsnous demander celles-ci aux institutions privées ? L'expérience a montré que notre pays était réfractaire.

Pouvons-nous les demander à l'Institution postale ? L'exemple d'autres pays nous paraît suffisamment probant. C'est pourquoi, mon cher Directeur, je persiste à croire qu'en votant la proposition que je lui ai soumise, et que le Gouvernement a reprise à son compte sous forme de projet de loi, le Parlement s'inspirera de l'intérêt général et accomplira une œuvre dont les résultats ne tarderont pas à s'imposer à tous.

GUILLAUME CHASTENET.

Député.

A PROPOS DES MONOPOLES

C'est un fait assez généralement reconnu que les finances françaises ne sont pas en brillante situation. Dans nos budgets, le déficit est passé à l'état chronique et aigu.

Les dépenses publiques de la nation, celles de l'Etat, des départements, des communes, réunies en bloc, ont atteint le total respectable de 5 milliards. Durant la période de 1899 à 1909, l'accroissement n'a pas été moindre d'un milliard. C'est l'intérêt d'un capital de 20 milliards. La guerre de 1870 avait coûté 14 milliards, représentés au budget par 700 millions d'impôts.

Qu'est-ce donc qui a pu motiver dans ces derniers temps une semblable prodigalité. Avons-nous eu la guerre, la peste ou la famine? En aucune façon. Jamais les affaires n'ont été plus florissantes. C'est simplement le train de maison de la nation qui s'est développé.

Aujourd'hui, en effet, en cet an de grâce de 1910, nous payons un milliard d'impôts de plus qu'il y a douze ans sans qu'aucun événement considérable se soit produit. Les petits ruisseaux ont fait une grande rivière. Les lois votées successivement par le Parlement pour l'amélioration des services publics, pour la bienfaisance sociale, l'instruction populaire, la défense nationale, ont engendré ce résultat.

On voudrait espérer qu'il va nous être loisible de respirer un peu et de demeurer dans le statu quo, l'espace d'un moment. Mais non. « Marche ! marche ! » crie avec la voix impérieuse de Bossuet le Gouvernement au contribuable terrifié. Les causes qui nous poussent dans cette voie sont toujours agissantes. C'est d'abord le sentiment de plus en plus vif de la pitié et de la solidarité qui exige des créations nouvelles en faveur des déshérités de la fortune, des victimes de l'âge et de la maladie. C'est ensuite la formidable lutte pour la vie qui s'est instituée entre les peuples eux-mêmes.

Bien que les haines nationales se soient fortement atténuées, bien que l'on célèbre de plus en plus la « sainte alliance des peuples » comme déjà la chantait Béranger en 1820, bien que l'on proclame, après Pierre Dupont, en 1848, que « les peuples sont pour nous des frères », jamais les armements n'ont été poussés plus loin, ni avec la même ardeur. C'est que chaque nation a la claire intuition, que si elle est entraînée dans une guerre, ce n'est pas, en cas de défaite, une déchéance plus ou moins profonde qui l'atteindra, c'est son existence même qui sera irrémédiablement frappée.

En conséquence de ces poussées d'ordre divers, mais toutes irrésistibles, on peut dire que la danse des mliliards ne fait que commencer. Saluons notre budget actuel de 5 milliards, nous ne le reverrons plus. De quel afflux va-t-il s'enfler dans un court avenir, quand entreront en jeu les retraites ouvrières et paysannes, avec leurs 8 à 17 millions de parties prenantes, les augmentations de traitement pour lesquelles les fonctionnaires organisent leurs syndicats, les dépenses militaires et navales, la réfection du fusil Lebel usé et démodé, la reconstitution de notre flotte, les travaux des ports et des arsenaux maritimes et tout l'imprévu !

Nos législateurs ont-ils envisagé ces éventualités? On peut dire qu'ils se sont appliqués uniquement à vivre au jour le jour. L'accroissement annuel et en quelque sorte automatique des dépenses publiques leur a semblé un phénomène insolite et sans lendemain. Leur politique s'est inspirée de ces vues étroites. Au lieu d'assurer des recettes permanentes à des dépenses permanentes, on essaie de se tromper soi-même, de tromper le public avec des tours de passe-passe. On truque, on maquille le budget, on le boucle tant bien que mal par des moyens de circonstance et on renvoie à l'année prochaine les affaires sérieuses. Il s'est même produit dans le vote d'un des derniers budgets en déficit un fait caractéristique de la mentalité parlementaire et qui montre à quel point de déliquescence nous a conduits la terreur incoercible de l'électeur.

M. Rouvier, naguère ministre des Finances, avait enlevé avec son grand talent l'abolition de l'odieux privilège des

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