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que dans l'espace de ces cinq années n'importe quel Bill des Communes ait le temps de venir à bout de l'opposition des Lords.

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Supposons qu'un Bill ait quitté la Chambre des Communes, dit M. Harcourt, et qu'il ait été rejeté ou radicalement transformé par les Lords... Si ces amendements ne sont pas acceptés par le gouvernement et les Communes, notre système entre en action. On convoquerait une conférence composée de membres des deux partis et des deux assemblées... Leur discussion serait probablement privée, ce qui facilite les transactions; leur décision ne s'imposerait, ni au gouvernement, ni aux Communes, mais on pourrait raisonnablement espérer qu'ils trouveraient des terrains d'entente... Mais supposons que la Conférence se termine sans avoir mis fin au différend. Le Gouvernement aurait alors le pouvoir de présenter une seconde fois le même bill, ou un bill amendé, ou encore un bill ayant un objet analogue. Mais, cette seconde présentation ne pourrait avoir lieu immédiatement; le bill devrait attendre qu'un laps de temps légal, six mois par exemple se soit écoulé, afin qu'il n'y ait pas de précipitation dans la procédure et que les adversaires du Bill aient le loisir d'éprouver et même de stimuler l'opinion par l'intermédiaire des réunions publiques et de la presse. Une fois le Bill présenté et voté à nouveau par les Communes, il retourne à la Chambre des Lords. Si le désaccord persiste et qu'une nouvelle impasse se produit, une seconde conférence pourra se réunir pour régler le différend. Si enfin cette nouvelle conférence échoue à son tour, le Bill serait immédiatement réintroduit et rapidement voté par les Communes, puis il serait encore renvoyé aux Lords. La Chambre Haute saurait cette fois que si elle n'acceptait pas le Bill sous cette dernière forme, il serait transformé en loi sans leur assentiment. >>

Cette procédure se ramène à la suppression du veto absolu des Lords, non seulement pour le budget, mais pour tous les projets de loi. Elle cherche sans doute à prévenir par certains correctifs les excès de pouvoir que pourraient commettre les Communes; en fixant à cinq années la durée de la législature, elle soumet les députés à un contrôle plus étroit;

les libéraux calculent d'ailleurs que les délais imposés à un Bill avant qu'il devienne loi malgré les Lords, seraient d'environ deux ans seules les mesures proposées pendant les trois premières années de la législature, c'est-à-dire tant que les députés sont encore sous l'influence directe des électeurs, auraient chance de franchir la barrière de la Chambre Haute. Mais si ingénieuses que soient ces atténuations, le système recommandé par le cabinet libéral n'en consiste pas moins à rogner les griffes du vieux lion féodal. S'il était en vigueur depuis 1906, les réformes fiscales de cette année fussent venues trop tard pour passer avant la fin de la législation ; en revanche les bills mutilés du début de la législature auraient aujourd'hui force de loi; à l'avenir, aucun frein parlementaire n'empêcherait plus les libéraux de supprimer le vote plural, d'étendre le suffrage à tous les adultes, de séparer l'Eglise anglicane de l'Etat et de donner le Home Rule à l'Irlande. Toute la face traditionnelle de l'Angleterre en serait transformée. Le pouvoir législatif de la Chambre des Lords dépasserait à peine celui d'un Président de République (1).

Toutefois la menace des libéraux pourrait avoir une conséquence très différente celle de décider les Conservateurs, s'ils reviennent les premiers au pouvoir, à réformer eux-mêmes la Chambre Haute.

L'idée n'est pas faite pour les surprendre. Parmi les nombreux projets de réforme qui ont été proposés depuis 1856 pour le rajeunissement de la Chambre des Pairs, quelquesuns des plus importants avaient été préparés par des conservateurs, entre autres par Lord Salisbury lui-même en 1888 (2). Aujourd'hui les Unionistes reconnaissent volontiers qu'une réforme des Lords est urgente. « Avoir dans ce pays une seconde Chambre, - une Chambre des Lords réformée, suivant l'expression ordinaire qui possède des éléments de force dont nous sommes privés et qui s'alimente

(1) Ces prévisions sont confirmées par le discours que M. Asquith a prononcé à Albert Hall le 10 décembre 1909. Non content de priver les Lords de leur veto absolu, M. Asquith prétend leur interdire par une loi explicite de s'occuper en aucune façon des questions financières. (2) Report from the select Committes on the House of Lords, 1906, p. XXXIX.

par

des sources vers lesquelles nous ne pouvons nous tourner, c'est là une aspiration chère à nombre de ceux qui siègent dans cette Chambre. J'espère qu'il sera réservé au parti a qui j'ai l'honneur d'appartenir, si l'occasion devait s'en présenter, de réaliser cette aspiration (1). » Ainsi parlait l'autre jour Lord Curzon et il exprimait nettement l'espoir que les prochaines élections générales fussent suivies d'une réforme capable de fortifier la Chambre des Lords. Les défauts du système actuel sont en effet trop manifestes pour que les conservateurs eux-mêmes songent à les nier. Le plus grave tient au caractère héréditaire de la Pairie; sur les 615 Lords (non compris les trois princes du sang) qui composent aujourd'hui la Chambre Haute, il en est à peine 200 qui prennent une part active à la vie politique; les autres n'apparaissent à la Chambre que tous les quinze ans, quand il s'agit de rejeter le Home Rule ou le budget de M. Lloyd George. Le privilège qui permet à la couronne de créer chaque année de nouvelles pairies tend d'ailleurs à aggraver le vice du système ; de 1848 à 1898 la Chambre des Pairs s'est accrue de 171 membres; de 1898 à 1908, 71 nouvelles pairies ont été créées. Malgré la présence à la Chambre Haute d'un grand nombre d'hommes distingués, le prestige et l'autorité de l'Assemblée sont voués par là même à un affaiblissement certain.

Aussi le Comité présidé par Lord Rosebery qui se réunit en 1907, à l'époque de la motion Campbell-Bannerman, a-t-il tracé un plan de réforme qui s'efforce de mettre fin aux abus actuels (2). Désormais la pairie ne suffirait pas à conférer le droit de siéger au Parlement. Les Lords of Parliament, non compris les trois princes du sang et les cinq Lords of Appeal (3), se recruteraient de la façon suivante :

1° 200 d'entre eux seraient élus par un collège électoral composé de tous les Pairs héréditaires et pour la durée d'un seul Parlement. Ce principe n'est pas nouveau puisqu'un certain nombre de Pairs, ceux d'Irlande et d'Ecosse, ne siègent à la Chambre des Lords qu'en vertu de l'élection, et

(1) Times, The Lord's Debates, etc., p. 134.

(2) Report from the select Committee on the House of Lords, 1908, (3) Les Lords of Appeal sont chargés des fonctions judiciaires de la Chambre Haute et choisis dans la magistrature.

dans le cas de l'Ecosse, pour la même durée limitée. L'innovation consisterait à appliquer à l'élection des Lords du Parlement la représentation proportionnelle par le moyen du vote cumulatif, afin de ménager les minorités irlandaise et écossaise.

2° 130 Pairs héréditaires auraient le droit de siéger à vie au Parlement à condition d'avoir été chargés de certaines fonctions importantes dans la politique, l'administration coloniale, la diplomatie, l'armée ou la marine.

3o La Couronne pourrait créer 4 Lords of Parliament à vie par an, à condition que le nombre total des nouveaux Pairs ainsi nommés ne dépasse pas 40.

4° Enfin le nombre des représentants du clergé serait réduit à 10 et le Comité se déclare disposé à admettre à la Chambre Haute des membres du clergé catholique ou dissident.

Si ces propositions étaient adoptées, le nombre total des Lords of Parliament n'atteindrait pas 400. Un certain nombre de règles secondaires obligeraient d'ailleurs ces Lords à prendre leur rôle au sérieux; un lord qui s'absenterait une année entière sans autorisation, perdrait par là même son siège. Ainsi la Chambre Haute se débarrasserait une fois pour toutes du poids mort qui l'affaiblit actuellement. Elle sortirait de cette transformation avec un regain d'influence. Si les conservateurs hésitent à accomplir la réforme proposée par le Comité de Lord Rosebery, ce sera uniquement dans la crainte de donner à la majorité qu'ils auront alors aux Communes un allié trop puissant.

Que la balance électorale penche à gauche ou à droite, il est néanmoins probable que nous assisterons bientôt à une limitation des pouvoirs de la Chambre des Lords ou à une refonte de sa constitution. La crise d'aujourd'hui n'est pas fortuite; elle ne fait que porter à l'état aigu le malaise déjà ancien qu'a fait naître en Angleterre la présence simultanée d'une institution aussi surannée que celle des Lords et d'une Chambre des Communes ouverte à toutes les idées modernes. Proche ou éloigné, le dénouement doit venir. Si les libéraux remportent une victoire incontestée, nous le verrons demain. Mais si la majorité passe aux Unionistes, il y a

gros à parier pour que la réforme soit accomplie, sinon dans le même esprit, du moins tout aussi vite. Ce ne serait pas la première fois dans l'histoire d'Angleterre que le parti conservateur désarmerait ses adversaires en s'emparant d'une fraction de leur programme (1). Il suffira pour le décider à prendre les devants, que l'opinion publique donne des signes d'émotion. Les Unionistes agiront alors en songeant à ce qu'écrivait déjà Bagehot en 1872: « Si la Chambre des Lords s'en va jamais, elle s'en ira dans une tempête, et cette tempête ne laissera pas tout le reste tel qu'il est. Elle ne détruira pas la Chambre des Pairs pour permettre aux riches jeunes Pairs de siéger à la Chambre des Communes. Elle balaiera probablement tous les titres, du moins les titres légaux, et d'une manière ou d'une autre, elle brisera le curieux système par lequel les propriétés des grandes familles vont au fils aîné (2).

PHILIPPE MILLET.

(1) M. Balfour a fait à cette réforme une allusion directe dans son manifeste électoral du 10 décembre dernier.

(2) BAGEHOT. Essays on Parliamentary reform. The Reform Act of 1867, and the functions of the Peers, p. 207.

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