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des petits fournisseurs qui, souvent, doivent avoir recours à des emprunts pour faire face à leurs obligations. Certains fournisseurs ont été, dans ces dernières années, acculés à la faillite par ces retards; il est vrai que, plus d'une fois, le retard venait de la négligence des ministres à signer les pièces comptables.

La Marine et ses fournisseurs souffrent souvent par insuffisance de crédits, ils ne souffrent pas moins par excès de crédits. Voici, en effet, ce qui se passe chaque année ; la Marine fait, aussi exactement que possible, ses prévisions de paiements en tenant compte des marchés en cours. Ceux-ci stipulent que ces paiements auront lieu, soit après livraison, soit après essais en usine, soit lorsqu'il s'agit d'une fourniture importante, par acomptes fixés d'après les travaux exécutés. Les marchés précisent les conditions qui ouvrent droit au paiement ce seront, par exemple, pour un lot de blindage, le tir de la plaque d'essai ; pour une chaudière l'essai à froid; pour un bâtiment, le lancement ou l'essai à toute puissance, etc., etc. Mais il se trouve trop souvent qu'un incident se présente, qui recule le jour où les droits sont ouverts un accident à Gavres force à remettre l'expérience de tir une soupape rebutée empêche l'essai à froid de la chaudière; l'essai à toute puissance a été interrompu par le mauvais temps. Il en résulte que la Marine ne peut pas payer; de grosses sommes, réservées pour ces paiements, restent sans emploi et tombent en annulation. Sans doute, on peut sauver une partie de ces sommes; des paiements prévus pour janvier 1910 peuvent être faits en décembre 1909. L'administration se prémunit d'avance de paiements qui pourront être ainsi faits; mais si l'on tient compte à la fois du grand nombre de chapitres, de l'extrême division des fournitures, et, de ce fait, que les crédits sont gérés à la fois par Paris, les cinq ports et les trois établissements hors des ports, on se rend compte du travail intense que nécessite, chaque année, la crainte de l'annulation des crédits, annulation qui, en réalité, constitue une perte absolue pour le département.

A plusieurs reprises, on a demandé au Parlement le droit de reporter d'un exercice à l'autre les crédits non dépensés;

il paraît que pareille prétention ne saurait même être exami

née...

On a créé, pour aider la Marine, le service des dépenses engagées. ajoutant ainsi une nouvelle difficulté aux autres. De ce que nous avons exposé ci-dessus, il ressort que beaucoup des fournitures prévues payables dans un exercice, ne sont pas prêtes en temps voulu si, à un moment donné, les dépenses engagées prévues payables en 1909, s'élèvent à 20 millions, l'expérience prouve qu'une partie notable ne sera pas, par suite de retard, payée en 1909. Si le crédit budgétaire s'élève à 20 millions, il faut donc, pour dépenser effectivement ces 20 millions, engager une somme de dépenses beaucoup plus considérable, 25 ou même 30 millions. Il est arrivé maintes fois que le service des dépenses engagées a voulu ne pas tenir compte de ce fait et en empêchant les services d'exécution, d'engager au-delà du chiffre budgétaire, ont, par cela même, fait perdre à la Marine de nombreux millions; nous voudrions pouvoir affirmer que certains ministres n'ont pas commis la même erreur.

Quoi qu'il en soit, ces explications montrent à quer point. est difficile la gestion des crédits d'achat. On ne peut imaginer combien de paperasses sont nécessaires et quel travail est imposé à tous les officiers et agents de divers ordres, pour parvenir à régler à peu près le budget et éviter de nombreuses annulations.

On a cherché à sortir de ces difficultés et il y a quelques années, on a étudié l'application à la marine du système de fonds de roulement en usage au chemin de fer de l'Etat. Le système eût été le suivant tous les achats auraient été payés sur un crédit mis une fois pour toutes à la disposition de la Marine sous le nom de fonds de roulement; le service chargé des achats serait resté possesseur des fournitures jusqu'au moment de l'emploi; à cet instant, le remboursement aurait été fait sur les crédits budgétaires annuels. On tournait ainsi la spécialité d'exercices, les services d'exécution ayant en fin d'année la faculté d'épuiser leurs crédits en prenant d'avance les fournitures dont ils auraient l'emploi l'année suivante.

Il eût été, sans doute, assez aisé d'appliquer à la Marine le régime du chemin de fer de l'Etat, malgré les très grandes différences existant entre ces deux administrations. Malheureusement le commissariat de la Marine vit dans l'établissement du fonds de roulement, le moyen de rétablir sa prédominance sur tous les services de la Marine qu'on lui avait retirée peu d'années auparavant par la suppression du Magasin général. L'organisation du fonds de roulement fut étudiée avec cette arrière-pensée ; d'autre part, la Marine n'osa pas demander l'ouverture d'un crédit suffisant pour constituer son fonds de roulement. La loi qui devait créer celui-ci stipulait que l'avoir de ce fonds de roulement serait constitué par tout le matériel en magasin au 1er janvier 1898 et par les crédits restés sans emploi sur les chapitres du budget de 1897 et tombés en annulation. Il était facile, en examinant la situation vraie, d'apercevoir que le fonds de roulement ainsi constitué serait notoirement insuffisant, et que la première année ne se terminerait pas sans que la Marine soit contrainte de suspendre ses paiements, faute d'argent; le Parlement eut la sagesse, au dernier moment, d'écarter cette solution.

Ce que nous venons d'exposer montre à quel point il serait désirable que la Marine, aux prises déjà avec tant de difficultés réelles, fût débarrassée des difficultés purement artificielles que la spécialité d'exercices apporte à la gestion de ses crédits. Si l'on envisageait le problème à la lumière seule du sens commun, et en mettant de côté les traditions surannées, il n'est pas douteux que nombre de solutions pourraient être admises, qui ne violeraient nullement le principe même de la spécialité d'exercices. Pour rester dans la lettre absolue de la spécialité d'exercices, il faudrait, en effet, interdire de conclure en 1909 un marché qui ne serait pas entièrement exécuté et soldé en 1909. Du moment que l'on autorise l'administration à prendre en 1909 des engagements qui devront être tenus en 1910 et 1911, on peut dire que l'on viole de la façon la plus grave la spécialité d'exercices; il est cependant matériellement impossible de faire autrement. Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux considérer que toute dépense engagée correspond à une dépense réelle pour laquelle les crédits sont ouverts d'une façon définitive? Si la constata

tion des droits ne peut avoir lieu avant le 31 décembre, les sommes restées libres ne devraient pas tomber en annulation, mais seraient déposées à la Caisse des Dépôts et Consignations, jusqu'au jour de la liquidation.

La création d'un fonds de roulement pour les achats constituerait également une solution acceptable, à la condition de tenir compte de la nature toute spéciale des approvisionnements de la marine. Celle-ci, en effet, a des charges toutes différentes de celles des chemins de fer de l'Etat. Dans une Compagnie de chemins de fer, dont le matériel est utilisé longtemps et a un service régulier, les prévisions d'emploi peuvent se faire d'une façon assez sûre pour qu'une très faible partie de ce matériel risque d'être immobilisé en magasin et d'être vendu à vil prix au bout de quelques années le fonds de roulement, qui est comptable de ce matériel, subit donc, de ce chef, des pertes très faibles.

La marine n'est pas une institution industrielle du même genre. Elle est créée en vue de la guerre, et son matériel en magasin est surtout destiné à faire face aux imprévus de la guerre sans doute, le charbon, la farine, les objets d'habillement, les huiles de graissage, et nombre d'articles sont d'une consommation courante et certaine. Mais, il y a un intérêt immense à munir d'avance les arsenaux de tout un matériel de réparation et de rechange; l'absence de quelques tubes de chaudières, d'une pièce de machine, d'un induit de dynamo suffit à paralyser un bâtiment de 60 millions, et cependant, ce bâtiment pourra fournir une longue carrière sans utiliser les matières et objets approvisionnés pour lui. Il en est de ces matières, comme des canons, des projectiles et des poudres; c'est une erreur grossière de les considérer comme du matériel de magasin et de les traiter comme des matières nécessairement consommables. Malheureusement, cette vérité si évidente est généralement méconnue; on reproche toujours à la Marine la quantité excessive de son matériel sans mouvement, et, d'ailleurs, la marine prête ellemême le flanc aux critiques en plaçant sous la même réglementation les matières d'emploi certain et les matières d'emploi incertain, mais qu'il est nécessaire d'entretenir dans les

arsenaux.

Si l'on faisait un juste départ de ces matières, c'est-à-dire, si on plaçait dans les comptes, soit au compte des bâtiments comme le matériel réservé actuel, soit à un titre spécial, le matériel d'emploi incertain, il deviendrait possible de créer un fonds de roulement viable. Seul le matériel d'emploi certain resterait jusqu'au moment de l'emploi, à la charge du fonds de roulement; le reste du matériel ne serait à sa charge qu'au moment de l'achat et, serait remboursé, suivant les possibilités budgétaires et dans un délai maximum d'un an, par les chapitres d'achat au compte des bâtiments ou des magasins de matériel d'emploi incertain. Chaque service gèrerait son fonds de roulement. D'autre part, il serait nécessaire de doter ce fonds du nombre de millions nécessaires pour assurer sa marche normale. Ne serait-il pas possible d'obtenir de la Banque de France ou de la Caisse des dépôts les avances, moyennant un intérêt modéré, des sommes nécessaires.

En tous cas, on ne saurait trop solliciter l'attention du Parlement sur cette grave question; les magasins de la marine sont vides et leur situation empêche l'entretien de nos bâtiments. Les annulations de crédits dues aux difficultés que nous avons signalées atteignent chaque année plusieurs millions; on leur doit donc, en réalité, la pénurie extrême de nos arsenaux. On peut affirmer que, dans ces quinze dernières années, la marine n'a pas perdu, de ce chef, loin de 100 millions.

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Chaque année, la loi de finances oblige la Marine à présenter les prévisions de constructions neuves sous la forme d'un état, dit état H, où la répartition des crédits est fournie, bâtiment par bâtiment et année par année. Cet état ne lie pas la Marine, mais il constitue, en fait, le programme de constructions neuves et paraît établir des prévisions précises.

Il constitue, en réalité, le plus dangereux et le plus fallacieux des documents, d'aucuns même pourraient ajouter, le moins sincère. Si ce document se contentait de fournir les prévisions de dépense globale, année par année, il présente

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