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nous attendent (1) ». Avec son autorité de chef de parti, Lord Lansdowne avait déjà fait discrètement connaître son opinion sur ce point: « La question que j'oserai poser à ceux des nobles Lords qui peuvent encore mettre en doute la sagesse de notre détermination est celle-ci : Quand viendra la lutte, notre position sera-t-elle plus forte ou plus faible si nous reculons aujourd'hui devant notre responsabilité ? Sans doute, Mylords, un grand principe est en jeu. Il doit passer avant tout. Mais si même vous le mettiez de côté, que gagnerionsnous en refusant d'agir à propos de ce Bill en vertu de nos droits certains? Soyez sûrs que les citoyens de ce pays nous ôteront une partie de leur estime si nous n'avons pas le courage de nos opinions (2). » Ses partisans jugèrent comme lui qu'il valait mieux aborder la lutte avec un prestige intact que de se laisser désarmer avant la bataille.

Par là même la crise qui s'est ouverte le 30 novembre, devait être d'une violence exceptionnelle. Jamais les Lords ni les Communes n'ont affirmé avec plus d'intransigeance ce qu'ils considèrent comme leurs droits imprescriptibles.

Il faut lire le compte rendu des derniers débats à la Chambre Haute pour saisir toute la rigueur de la thèse que soutiennent les Pairs. Des concessions pratiques faites jadis à la Chambre des Communes, il ne reste aujourd'hui presque rien. « Autrefois, dit Lord Cawdor, chaque taxe budgétaire vous était soumise sous la forme d'un Bill distinct, et vous aviez alors le droit certain et incontesté de rejeter chaque Bill et par suite chaque taxe. On s'est efforcé depuis de défier les droits de cette Assemblée; dans cette intention, on a réuni toutes les taxes en un seul Bill. Mais il est assurément vain de soutenir qu'un changement de procédure de la part de l'autre Chambre puisse affecter le moins du monde les droits, les responsabilités et les devoirs des Lords (3). »

Ce n'est pas tout. Les anciennes prétentions des Pairs trouvent un appui dans une théorie relativement moderne, celle qui fait de la seconde Chambre, une sorte d'instrument de referendum. Lord Salisbury l'avait déjà définie en 1869, à

(1) Times, Lord's Debate, etc., p. 130.
(2) Times, Lord's Debate, etc., p. 35.
(3) Times, Lord's Debates, etc., p. 143.

l'époque où les Lords hésitaient à voter la séparation de l'Eglise et de l'Etat en Irlande, bien qu'elle eût été approuvée par les électeurs. « Le rôle d'une seconde Chambre, disait-il alors, c'est de réparer les oublis et les défauts qui peuvent gâter les résolutions de la première... Nous devons décider, au mieux de notre jugement, si la Chambre des Communes représente ou ne représente pas la conviction pleine, réfléchie et résolue du corps de la nation. » Cette doctrine cons titutionnelle qui assigne aux Lords le rôle d'intermédiaires entre la nation et ses représentants directs est désormais celle du parti unioniste entier. Elle justifie la motion Lansdowne qui se garde bien de rejeter le budget et se contente de le soumettre au jugement du pays. Elle a été reprise et développée le 2 décembre à la Chambre des Communes par le leader des conservateurs, M. Balfour. Peut-être se rattachet-elle au vieil argument de Rousseau, d'après lequel les dépu tés ne représentent exactement la volonté de leurs commettants qu'au moment de l'élection (1). Dans son essence, elle est fort simple. Le Gouvernement d'une seule Chambre était déjà, aux yeux de Cromwell (2), l'image même de l'arbitraire. Pour protéger les électeurs contre la tyrannie de leurs propres représentants, il faut que la seconde Chambre empêche ces représentants de dépasser leur mandat et les renvoie au besoin devant le suffrage universel. Loin que ce rôle de chien de garde soit aujourd'hui inutile, il est d'après M. Balfour, plus nécessaire que jamais; le despotisme de la majorité parlementaire devient chaque jour plus étroit; au sein du parti dominant, c'est à peine si les députés osent critiquer les actes ou les propositions de loi du cabinet; la libre discussion disparaît graduellement de la Chambre des Communes, chassée par le bon plaisir d'une coterie ministérielle. Pour maintenir l'équilibre constitutionnel, il faut que la Seconde Chambre conserve le droit d'intervenir dans les circonstances graves et de réclamer un appel au peuple (3). C'est là toutefois une prétention que le parti libéral ne pourra jamais admettre. A peine le rideau était-il tombé à

(1) Cf. ESMEIN. Eléments de Droit constitutionnel, 5o édit., 1909, p. 107. (2) Cité par Lord Lansdowne. (Times, Debates, etc., p. 30.) (3) Cf. le discours de M. Balfour. (Times du 3 déc. 1909.)

la Chambre des Lords, que M. Asquith soutenait, au nom de la majorité, une doctrine plus sévère encore que par le passé. Les résolutions de 1860 avaient bien eu pour but de ligoter les Lords en matière de finance; elles n'avaient cependant pas nié leur droit de rejet. La motion de M. Asquith déclare au contraire qu'en refusant de voter le budget, la Chambre des Lords a violé la Constitution et usurpé les prérogatives des Communes. Cette affirmation est entièrement nouvelle. M. Asquith l'a complétée en faisant vigoureusement le procès de ce qu'il appelle le césarisme de la Chambre Haute. Rien ne justifie à ses yeux la doctrine de l'appel au peuple. Dans des discours antérieurs il avait déjà nié que les Lords eussent le droit d'exiger du ministère une dissolution du Parlement. Les arguments qu'il a énoncés l'autre jour ont une force indéniable. Toute la procédure budgétaire actuelle est incompatible avec la doctrine unioniste; comment admettre que les Communes puissent mettre les nouvelles taxes en vigueur avant le vote du budget, ou que le Parlement donne son adhésion à l'Approbation Bill, si les Lords ont le droit de rejeter le budget au dernier moment? En admettant d'ailleurs que les Communes tendent à abuser de leur privilège, les Lords ne sauraient leur barrer le chemin sans remplacer un arbitraire par un autre. « C'est ici qu'intervient la Providence; on dirait vraiment que la naissance ou la création d'une pairie confère à un individu favorisé une sorte d'instinct de divination qui lui permet de discerner à point, chaque fois qu'un gouvernement libéral est au pouvoir, — les occasions et les questions à propos desquelles les représentants du peuple trahissent leur mandat (1). »

Aux théories des Unionistes, les libéraux opposent tout un système de gouvernement. Le déséquilibre, affirment-ils, est du côté de ceux qui veulent rendre la Chambre des Pairs omnipotente. En effet la Chambre des Lords a toujours été conservatrice; quand les Unionistes sont au pouvoir, elle n'a pour eux que des complaisances; elle combat au contraire

(1) Discours de M. Asquith. (Times du 3 déc. 1909.) Cette critique avait déjà été formulée par M. ESMEIN. Eléments de Droit constitutionnel, p. 168.

à outrance les cabinets libéraux. Dans le premier cas le gouvernement est en réalité aux mains d'une seule Chambre, car les Communes font ce qu'elles veulent. Dans le second cas, les Communes sont entièrement paralysées. Le véritable équilibre constitutionnel ne sera atteint que le jour où les Lords ne pourront plus se mettre en travers de ceux qui représentent la volonté du peuple. En matière financière, le veto des Lords a aussi peu de validité que celui de la Couronne. Les libéraux réclament donc en fait le gouvernement d'une seule Chambre. A aucune époque de l'histoire d'Angleterre, le pays ne s'est trouvé en présence de deux conceptions plus diametralement opposées du gouvernement parlementaire.

III

L'heure n'est pas encore venue de prédire le résultat du conflit actuel. L'attitude décisive qu'adoptera le parti victorieux à l'égard de la réforme constitutionnelle, dépendra, sans aucun doute, de la situation parlementaire au lendemain des élections. Rien ne prouve par exemple que les libéraux, s'ils l'emportent, seront assez forts pour imposer aux Lords l'abandon de leurs anciens droits; une résolution des Communes ne suffit pas à modifier la constitution anglaise ; à moins que le roi ne se décide à menacer les Lords d'une fournée de six cents pairs libéraux, on ne voit pas encore comment le cabinet libéral viendra à bout de la résistance des Lords; enfin parmi les adversaires des Pairs, il en est aujourd'hui un bon nombre, entre autres tous les membres du Labour Party, qui tiennent pour l'abolition radicale de la Seconde Chambre et qui se prêteront de mauvaise grâce à un compromis. Du côté des Unionistes, l'avenir de la réforme constitutionnelle est encore plus incertain.

Si obscur que soit l'horizon politique, il est néanmoins probable que, tôt ou tard, la crise actuelle sera suivie d'une réforme de la Chambre des Lords.

Les libéraux se sont en effet trop sérieusement engagés

pour pouvoir escamoter leur promesse. Depuis 1906 leurs chefs officiels ont répété à maintes reprises que le parti libéral sera paralysé tant que les Lords resteront l'instrument tout puissant des Tories. Depuis un mois les membres les plus modérés du cabinet, sir Edward Grey par exemple, annoncent comme leurs collègues qu'ils n'accepteront pas de portefeuille avant d'avoir obtenu satisfaction. Il s'agit là désormais pour tout le parti d'un véritable article de foi. Les libéraux oublient volontiers que les Lords ont voté le Trades Disputes Bill, les Retraites ouvrières, le salaire minimum dans les industries à domicile, et mettent le rejet des Bills. sur l'enseignement, sur les boissons et sur le suffrage plural, en contraste avec l'aveugle soumission des Pairs aux volontés du précédent cabinet. De son côté, le clergé dissident vient de proclamer la guerre sainte contre une Chambre où siègent 20 évêques, tous anglicans. La croisade politique et religieuse a commencé à moins d'accident, il faudra bien qu'elle aille jusqu'au bout.

Or, nous savons où elle va. En juin 1907, la Chambre des Communes vota sous l'inspiration de sir Henry CampbellBannerman et par 432 voix contre 147 la résolution suivante:

« Pour donner effet à la volonté du peuple telle qu'elle est exprimée par ses représentants élus, il est nécessaire que le pouvoir retenu par la seconde Chambre de modifier ou rejeter les Bills votés par cette Assemblée, soit restreint par la loi de telle façon que pendant la durée d'un seul Parlement, la décision finale de la Chambre des Communes soit assurée de prévaloir.

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Cette résolution a été commentée en février dernier, par un des membres du cabinet libéral, M. Harcourt (1). Elle implique toute une série de mesures nouvelles. La première de ces mesures consisterait à définir désormais par la loi écrite, les pouvoirs de la Chambre Haute, au lieu de s'en remettre comme autrefois à la coutume parlementaire qui vient de faire faillite. Puis on ramènerait de sept années à cinq la durée légale de la législature. Enfin on ferait en sorte

(1) Discours prononcé le 6 février 1909 à Waterfoot par M. Harcourt, First Commissioner of Works.

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