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REVUE DES QUESTIONS POLITIQUES CONTEMPORAINES

France.

REVUE DU MOUVEMENT SOCIALISTE (1)

Par J. BOURDEAU

L'attitude des socialistes vis-à-vis du ministère Briand. L'opportunisme de M. Jaurès condamné par le Conseil National.

La campagne pour la représentation proportionnelle.

La Fédération des fonctionnaires.

La Confédération Générale du Travail contre le projet de loi des retraites ouvrières.

Le Congrès des employés de chemin de fer: la démission de M. Gué

rard.

Les socialistes intellectuels et l'école socialiste.

Allemagne. Le Congrès de Leipzig, la question des impôts. Le boycottage de l'alcool.

Succès électoraux en Bade, Saxe, etc.
Angleterre. La campagne contre les Lords.

La démonstration internationale contre la condamnation de Ferrer.

L'année qui vient de s'écouler a été marquée par un accroissement d'agitation ouvrière et prolétarienne qui, sans parler des grèves industrielles, s'est traduit en France par les deux grèves des postiers, par la grève générale en Suède, à la suite d'un lock out patronal, par l'insurrection de Barcelone, par un gain important de sièges législatifs en France et en Allemagne, par la campagne contre la Chambre des Lords en Angleterre. Il est conforme aux probabilités que l'année 1910 verra les principaux Etats européens aux prises avec les grandes difficultés fiscales et sociales que lui lègue l'année écoulée. La nécessité des armements et des lois ouvrières, la lutte toujours plus intense des intérêts et des passions obligeront les gouvernements à une augmentation d'impôts directs et indirects, sans qu'ils puissent donner satisfaction aux classes populaires toujours plus exigeantes, à mesure qu'elles obtiendront plus, toujours plus ardentes à transformer leur souveraineté politique en avantages, en privilèges économiques. Les partis socialistes qui représentent ces aspirations, ont le vent dans leurs voiles.

(1) Du 10 septembre au 25 décembre 1909.

Mais ces partis doivent-ils se montrer intransigeants et ne viser qu'à une guerre sans merci contre la société bourgeoise et l'Etat, jusqu'à ce qu'ils l'aient entièrement conquis, ou est-il, pour eux, préférable d'entrer avec lui en négociation et compromis dans les parlements, sous la pression des électeurs et des classes ouvrières organisées ? C'est la question que les socialistes agitent depuis plus de vingt ans dans leurs Congrès, et qu'ils résolvent par l'opportunisme dans les assemblées politiques, sans vouloir en convenir.

En France, un triumvirat socialiste, MM. Briand, Millerand, Viviani, occupe le pouvoir. Mais ce sont des socialistes de conciliation et d'alliance, de participation ministérielle avec les autres partis républicains. Les socialistes unifiés leur sont plus ou moins hostiles. L'entente, au sujet de l'attitude à prendre envers eux, n'existe ni parmi les députés socialistes, ni dans le parti même. Lors de la déclaration ministérielle de M. Briand, les uns se sont abstenus, les autres ont voté contre. Le Conseil national s'est réuni au mois d'octobre et pour tracer nettement aux députés leur ligne de conduite, il a adopté l'ordre du jour de la Fédération de la Seine ainsi conçu : « Le gouvernement représente nécessairement dans la période capitaliste l'intérêt bourgeois et l'ordre social existant. S'il passe des procédés d'extrême brutalité à des ménagements calculés, le but est le même, maintenir le prolétariat dans l'oppression, qui ne peut être écartée que par la chute de l'ordre capitaliste. Le conflit entre la domination capitaliste et la classe ouvrière doit toujours devenir plus aigu, d'après la décision du Congrès d'Amsterdam, qui est en France la charte fondamentale du parti socialiste unifié. Le fait que le ministère est occupé par des gens qui ont abandonné le parti est une raison de plus pour lui témoigner une grande défiance, d'autant qu'une décision du parti défend de voter pour les socialistes indépendants au second tour de scrutin, en période électorale. Le parti socialiste en conséquence refuser toute confiance au gouvernement. » On a donc de nouveau discuté, au Conseil national des Unifiés, la question rebattue de la diplomatie ou de la guerre ouverte visà-vis de l'Etat bourgeois et l'interprétation de la déclaration belliqueuse d'Amsterdam. Cette déclaration exige-t-elle que l'on vote contre tout ordre du jour de confiance ? Un tel vote peut-il être assimilé au refus du budget, qui est le moyen que possède l'Etat bourgeois pour maintenir sa domination de classe ? Est-il donc toujours de l'intérêt du parti socialiste de tâcher de créer une crise ministérielle en permanence ? M. Jaurès a rugi contre

doit

cet ordre du jour de la Fédération de la Seine, et il en a dénoncé le vieil esprit d'intransigeance stérile.Il a fait valoir qu'aucune section de l'Internationale n'appliquait rigoureusement la décision d'Amsterdam. Si l'on attribue de l'importance aux réformes, il faut juger les gouvernements sur leurs actes réformistes. Et pour parer à une nouvelle défaite analogue à celle qu'il avait essuyée à Amsterdam, M.Jaurès ne put se sauver du désastre total qu'en proposant une motion plusvague et plus atténuée, n'inmpli quant aucune sympathie ouindulgence pour le ministère, regrettant que les votes des députés socialistes se soient divisés sur la question de confiance,et disant que ceux-ci devaient adopter à l'égard de tous les ministères, les principes et les règles de l'action socialiste. Mais l'ordre du jour de la Fédération de la Seine plus intransigeant et plus précis, fut adopté par 52 voix contre 45. M. Jaurès, M. Varenne et leurs amis essayèrent d'atténuer leur défaite en prétendant qu'ils auraient eu la majorité, si l'heure tardive n'avait obligé nombre de délégués à se retirer avant le vote. Mais une discussion plus ample eût en réalité accentué le résultat; il suffit de lire la liste des fédérations absentes, pour constater qu'elles étaient hostiles à M. Jaurès. Ses adversaires soutinrent que la majorité eût été écrasante, si M. Jaurès n'eût pas improvisé une motion qui disait à peu près la même chose, et à laquelle se rallièrent quelques guesdistes. Mais le gros des guesdistes, alliés aux hervéistes, aux insurrectionnels, se félicitèrent de cette démonstration contre les velléités réelles ou supposées d'un flirt avec M. Briand, et une résurrection du millerandisme, du combisme et du waldeckisme. Cette coalition entre guesdistes et hervéistes ne saurait avoir d'ailleurs rien de durable, les hervéistes étant hostiles à la marotte parlementaire et légalitaire des guesdistes, qui veulent toutefois que les députés socialistes restent isolés à la Chambre, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu la majorité (1).

Il ne semble pas que cette décision doive amener un grand changement dans la tactique du groupe socialiste à la Chambre. Cette tactique consiste à se montrer antigouvernementaux avec indulgence, quand le gouvernement oblique vers la gauche. Cependant, ils eussent peut-être renversé volontiers M. Briand sur la question de la représentation proportionnelle.

A la Chambre, M. Jaurès, que nous croyions jusqu'alors partisan d'une indemnité en matière d'expropriation, a fait acte d'intransigeance, il a nié les droits des actionnaires dans le rachat

(1) Vorwaerts, 3 novembre. La Guerre sociale, 3 novembre 1909.

de l'Ouest. M. Compère-Morel, le député du Gard, élu avec le concours du duc d'Uzès, et qui s'est fait une spécialité de la propagande rurale en France et à l'étranger, a prononcé à la tribune, un discours de forme démagogique, où il a parlé de la misère des paysans, des ouvriers agricoles, qui permettent à leurs exploiteurs d'acheter « des robes de soie à leurs femmes ». En réalité, si l'on compare le présent au passé, les classes rurales dans l'ensemble, n'ont jamais été, en France, aussi prospères. Mais cette prospérité n'est pas un gage de modération. Les socialistes qui s'engagent, en dépit des principes collectivistes, à maintenir la petite propriété, considérée comme instrument de travail, promettent d'exproprier la grande et moyenne propriété, et rencontrent des oreilles attentives dans certaines régions. C'est le cas de la Haute-Vienne, où dans la circonscription vacante par le décès de M. Tourgnol, le candidat unifié, M. Pressemane, a obtenu au 2 tour 7.181 voix contre 1.876 en 1906, et après avoir échoué faute d'un millier de voix, vient d'être élu au Conseil général. Presque toutes les communes ont donné la majorité au socialiste révolutionnaire. Les socialistes bénéficient de l'impopularité et du dégoût inspirés par la longue tyrannie radicale, Les radicaux ont travaillé pour eux on s'en apercevra aux élections de 1910.

Les partis se préparent à ces élections les socialistes sont les alliés des progressistes et d'un certain nombre de radicaux dans la campagne de réforme électorale par le scrutin de liste et la représentation proportionnelle à laquelle M. Charles Benoît a attaché son nom, et pour laquelle il a fait la propagande la plus active. Le scrutin de liste joint à la représentation proportionnelle supprime les fiefs d'arrondissement et les intolérables abus de la féodalité politicienne; il permet de voter moins pour des hommes que pour des idées. La représentation proportionnelle est favorable aux partis de minorité. Le nouveau mode de scrutin aurait, pour les socialistes, le grand avantage de les délivrer de la question si embarrassante de l'attitude à prendre, au second tour de scrutin. La grande majorité du parti est contre la « discipline républicaine ». Au deuxième tour, il tend à considérer, selon la formule, tous les partis comme une masse réactionnaire, qu'ils soient cléricaux ou radicaux. Avec le système proposé il n'y a plus de second tour, tout contact avec les ennemis de la classe ouvrière est supprimé ; plus de compromis, plus de classes mêlées. Le candidat du parti ne recueille que des voix socialis

tes. L'esprit de classe se trouve de la sorte fortifié et épuré. On échappe à la confusion des partis et des programmes.

Aux élections de mai 1910, les candidats socialistes inscriront donc en tête de leur plateforme le scrutin de liste et la représentation proportionnelle.

L'organe officiel du parti, le Socialiste, propose au prochain Congrès qui se réunira pendant les jours gras, d'adopter la motion de la Fédération de Loir-et-Cher, qui propose que les socialistes donnent au second tour leurs voix au candidat quel qu'il soit, qui prendra des engagements formels sur la réforme électerale, et la dissolution de la prochaine Chambre, dès qu'elle aura accompli cette œuvre, ou qui s'engage à donner sa démission dans le délai d'un an si la représentation proportionnelle n'est pas votée. Il importe peu que la nouvelle Chambre renferme une majorité d'élus de coalition; si cette Chambre a la vie courte.

Mais à d'autres cette idée, qui est celle de M. Jaurès, semble peu réalisable. Est-il admissible que des députés élus pour quatre ans, abandonnent bénévolement leur traitement et leur souveraineté au bout d'une année ? (1). M. Jaurès, toutefois, semble craindre qu'au prochain Congrès, les représentants des fédérations n'arrivent avec des mandats impératifs qui rendraient les discussions stériles.

Il n'y a pas unanimité absolue dans le parti pour la représentation proportionnelle, mais ses adversaires y sont très peu nombreux et ne jouissent pas d'un grand crédit, c'est Breton, Basly, Lamendin, Chauvière qui vient d'être rayé des contrôles par suite de non-paiement de ses cotisations parlementaires.

La minorité insurrectionnelle ou hervéiste ne combattra pas la représentation proportionnelle, mais elle ne mettra à la soutenir aucun enthousiasme. Le mode de scrutin est affaire non de justice mais d'intérêt. Avec ou sans représentation proportionnelle, le Parlement fera quelques petites réformes, les retraites, la nationalisation des chemins de fer, l'impôt sur le revenu, mais rien à peu près ne sera changé il ne réhabilitera pas le parlementarisme, déconsidéré par trente-huit ans de République parlementaire et des reniements sensationnels. Que les camarades se procurent de bons revolvers. Il n'y a de salut que dans la grève générale, l'insurrection, et, en dehors de la propagande au grand jour, du syndicalisme, de l'antimilitarisme, de l'antipatriotisme, dans une organisation discrète et secrête, une organisation de

(1) Le Socialiste, 14 novembre, 12 et 19 décembre 1909.

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