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tiennent, comme on voit, une grande place dans l'esprit de ces militaires qui n'ont sans cesse à la bouche que les grands mots d'armée et de patriotisme. Ils songent tout autant, sinon plus, à leur propre avancement qu'à la réorganisation des forces militaires. C'est justement là ce qui rend si peu intéressante leur attitude. Qu'avons-nous vu dès le début? Des officiers séditieux, qui partaient en lutte contre les abus, mais aussi contre les princes royaux coupables de leur barrer la route aux grades supérieurs.

L'opinion que j'exprime là ne m'est certes pas personnelle : elle est partagée par des hommes dont les sentiments philhellènes sont bien connus. M. Denys Cochin, par exemple, lors d'une discussion récente au Palais-Bourbon, a dit nettement à ses amis de Grèce qu'il n'aimait pas du tout cette Ligue militaire, son ingérence brouillonne et oppressive dans les affaires de l'Etat Il a motivé son verdict sur des souvenirs d'Aristophane, pour bien montrer aux Grecs qu'il ne les condamnait pas sans les entendre. Et cependant l'on sait avec quel zèle M. Denys Cochin prit la défense des intérêts grecs lors de l'affaire crétoise. M. Pichon, ministre des Affaires étrangères, s'est exprimé à peu près dans le même sens.

Tandis qu'ils mécontentent ainsi les hommes politiques qui s'étaient fait de tout temps leurs défenseurs, les Grecs sont en train de fâcher les archéologues et les artistes. M. Karvadias, éphore des antiquités, vient d'être en butte à une campagne violente de la part d'un journal jeune-grec, ami de la Ligue militaire. On reprochait, entre autres choses, à cet éminent archéologue, d'avoir livré aux étrangers, aux barbares, les richesses artistiques de sa patrie. Cette accusation-là ne manque pas d'une certaine bouffonnerie, quand on songe que lesdits barbares, Français, Allemands, Anglais, etc., consacrent tous les ans des sommes considérables à fouiller les places célèbres, à mettre au jour des statues et des temples dont tout, jusqu'à la moindre parcelle, demeure en Grèce...

Il serait grand temps vraiment qu'un peu plus de sérieux et de raison prévalût à Athènes. Le mouvement actuel pouvait avoir des causes très honorables. Il pouvait, et il peut encore, porter remède à des abus très réels, dont la Grèce a considérablement souffert; mais il est nécessaire pour cela, qu'il ne verse, ni dans la dictature, ni dans l'anarchie.

*

La crise ministérielle en Italie.

Depuis quelques mois, la si

tuation du cabinet Giolitti n'était pas très solide. Le débat relatif aux conventions maritimes avait failli amener sa chute. Le ministère est tombé cependant au moment où l'on s'y attendait assez peu, sur la question, moins grave, semblait-il, des taxes nouveltes. Il se forma dans les comités une majorité contre ces taxes que proposait le gouvernement. Le premier ministre a aussitôt remis au roi sa démission.

C'est le baron Sonnino qui a été chargé de constituer le nouveau cabinet. Sa tâche n'était guère facile, puisqu'il ne dispose, on le sait, que d'un petit nombre de voix à la Chambre. Il lui fallait donc, de toute nécessité, obtenir le concours de certains lieutenants de M. Giolitti. Des négociations assez longues se sont engagées; elles ont été facilitées par l'attitude de M. Giolitti, qui semble résolu, pour quelque temps, à ne faire au nouveau ministère aucune opposition. Le cabinet de M. Sonnino comprend le comte Guicciardini aux Affaires étrangères, l'amiral Belloto à la Marine, le général Spingardi à la Guerre (il détenait ce portefeuille dans le cabinet Giolitti), M. Luzzatti à l'Agriculture, M. Salandra ministre du Trésor, M. Arlotta ministre des Finances, M. Rubini ministre des Travaux publics. Il y a trois membres du parti Sonnino, trois membre de la droite, trois membres du parti Giolitti et deux sénateurs.

C'est un grand ministère, si l'on tient compte de la personnalité et du talent de certains de ses membres. Le comte Guicciardini, des Affaires étrangères, a occupé ce portefeuille dans le cabinet Sonnino de 1906. Il appartient à une vieille famille florentine. M. Luzzatti, le nouveau ministre de l'Agriculture, est bien connu chez nous. C'est un des économistes et des financiers les plus remarquables de l'Italie. L'amiral Bettolo jouit d'une três grande popularité, il sera d'un grand secours pour le nouveau ministère.

Il est donc possible que ce cabinet retrouve, grâce au prestige et à l'influence de quelques-uns de ses membres la force qui lui manque un peu au point de vue parlementaire.

Le chemin de fer de Bagdad et les emprunts étrangers à Paris. - Le 7 décembre, les journaux français publiaient le télégramme suivant, de Berne:

<«< Il vient de se constituer à Glaris une compagnie qui a pour objet la construction de la seconde section du chemin de fer de Bagdad (840 kilomètres). La Compagnie a choisi Glaris pour

siège, en raison des facilités spéciales que présente pour son organisation la législation du canton. Le président est Herr Gwinner, directeur de la Deutsche Bank, chargé par ladite banque de toutes ses affaires orientales. Le Conseil comprend quatre Allemands, un Autrichien, un Turc, trois Suisses et trois Français, MM.` d'Arnoux, Auboyneau et Bénac. La Compagnie sera constituée avec le concours de la Banque ottomane, afin d'obtenir sur le marché français les fonds nécessaires à l'opération. »

En même temps qu'ils cherchaient le concours, d'ailleurs indispensable, des capitaux français, les directeurs allemands de l'entreprise tâchaient également de s'assurer l'appui des financiers anglais. Sir Ernest Cassel, l'intime ami d'Edouard VII, le financier bien connu, créateur à Constantinople de la Banque nationale ottomane, rivale de la Banque Impériale ottomane, partait pour Berlin; il déjeunait chez Guillaume II, il négociait avec les hommes de la Deutsche Bank. Nous manquons de renseignements précis sur le résultat de ces négociations, Sir E. Cassel n'ayant pas l'habitude de confier ses secrets à tout venant. Mais il suffit de lire attentivement les grands journaux anglais, le Times, notamment, pour être sûr qu'on n'est encore arrivé à aucun arrangement définitif, et surtout que le gouvernement britannique entend se réserver un droit absolu de surveillance sur toutes ces négociations. Si l'Angleterre rend un service à l'Allemagne en lui avançant les capitaux nécessaires à la réalisation de l'entreprise, elle désire que ce service ne soit pas gratuit. Une des premières concessions qu'elle exige, c'est le contrôle entier de la ligne, depuis Badgad jusqu'au golfe Persique. Là-dessus, aucune discussion, aucune transaction possible, selon elle ce tronçon de ligne ou bien ne se fera pas, ou bien il sera anglais. Voilà l'Allemagne privée du morceau qui aurait pu être le plus productif. L'Angleterre, d'autre part, demande qu'on tienne compte des intérêts de la France, de la Russie, et surtout de ceux de la Turquie elle

même.

J'en ai assez dit, il me semble, pour montrer que cette attitude, pratique et sage, du gouvernement britannique, doit être celle du gouvernement français. Nos financiers peuvent conclure tous les accords qu'il leur plaira, accepter de siéger dans un Conseil où ils seront toujours en minorité. C'est leur métier et, dans une certaine mesure, leur devoir de gagner de l'argent. Mais c'est le devoir strict du gouvernement de veiller à ce que les capitaux français, sans lesquels, je le répète, on ne peut absolument rien entreprendre, ne soutiennent pas une opération destinée à nuire aux

intérêts français. Le chemin de fer de Bagdad n'est pas une simple affaire économique ; c'est, au premier chef, une affaire politique et, par conséquent, le droit de surveillance et de contrôle du gouvernement sur elle doit demeurer entier. Il importe que nos financiers le sachent bien, pour éviter tout malentendu fâcheux.

Cette coopération indispensable de la finance et de la politique, ce n'est pas seulement dans cette affaire, mais dans d'autres, qu'elle doit exister. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, d'un emprunt bulgare que devait conclure une banque française de second ordre. Les Bulgares ont déjà emprunté sur le marché de Paris ils ont donné les garanties nécessaires pour cela. Nous avons envoyé à Sofia, un de nos compatriotes, d'un très grand mérite, M. Bousquet, qui contrôle, sans aucune difficulté, les recettes affectées à cette garantie. Il vend au gouvernement bulgare de petites bandes que l'on colle sur des objets divers, paquets de tabac, allumettes, et tout est pour le mieux dans la meilleure des Bulgaries.

Mais depuis que la principauté est devenue royaume, ses ambitions se sont accrues.

Tout marquis veut avoir des pages

Tout prince des ambassadeurs

La Bulgarie a plus que jamais le besoin d'emprunter. Mais elle désire le faire, sans aucune garantie, comme les grandes puissances. Elle s'est naturellement adressée à Paris; elle avait trouvé une banque disposée à tenter l'opération. Notre gouvernement a fait aussitôt savoir qu'il refuserait l'admission à la cote. On a eu beau insister auprès de lui, essayer d'ébranler le ministre des Finances, plus directement soumis que son collègue du quai d'Or say à l'influence des financiers. Le gouvernement a tenu bon et on ne peut que l'en féliciter vivement.

La Bulgarie, j'ai déjà eu l'occasion de le noter, accomplit un effort militaire, qui, par rapport à son budget et au chiffre de sa population, est exactement le double de celui qu'accomplit l'Allemagne. C'est dire que, beaucoup plus que l'Allemagne, dont elle n'a pas la résistance, elle ploie littéralement sous le fardeau des armements. A moins de se résoudre à emprunter sans cesse, elle est donc obligée de diminuer son budget de la guerre. Mais, à cette seule pensée, son cœur saigne et, plutôt que de s'y résoudre, nul ne sait ce dont elle est capable, si quelque occasion se présentait.

Dans ces conditions-là, est-ce notre rôle à nous de lui fournir des capitaux sans garanties?

Les Bulgares, échouant à Paris, se sont adressés à Vienne. Si mon information est exacte, leur emprunt n'est pas encore conclu là-bas, et la chose ne va pas sans difficultés. Nous souhaitons ardemment qu'elle se fasse. Il est excellent que Paris ne soit pas la seule ville de l'univers à négocier des emprunts à l'étranger. L'Autriche, dont les ambitions balkaniques sont bien connues, peut bien placer un peu d'argent dans les Balkans...

Il est vrai que si elle prête de l'argent à la Bulgarie, c'est la France qui devra en prêter prochainement à son associée, à « cette moitié d'elle-même », la Hongrie. Il est très sérieusement question d'un emprunt hongrois de 500 millions qui serait placé bientôt à Paris, par les soins de la maison Rothschild. Cet emprunt est destiné à solder la part de dépenses incombant à la Hongrie par suite de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, et aussi à payer une partie des nouveaux armements de la monarchie.

Nous n'avons aucune objection de principe à faire contre lui. Mais ici encore, le gouvernement devra veiller à ce que nous obtenions des avantages en échange du grand service rendu. On m'assure notamment que le chemin de fer de la Südbahn, dont les actionnaires sont en grande partie français, prospérerait bien davantage si les gouvernements autrichien et hongrois lui marquaient un peu plus de bienveillance. Cette bienveillance-là, nous pouvons profiter des circonstances actuelles pour la demander, ou plutôt pour l'exiger.

RAYMOND RECOULY.

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