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tablissement de lignes régulières. Mais il ne nous dit pas s'il s'agit de Compagnies françaises ou étrangères.

« Qu'on évalue, dit M. Toutain, le tonnage perdu au Havre par suite de l'abandon des escales par les grands paquebots transatlantiques à passagers, surtout allemands..., on connaîtra la raison de la stagnation relative du trafic de ce port. >>

Le Gouvernement, nous dit-on encore, doit faire tout ce qu'il peut pour attirer le commerce international dans nos ports et y établir les grands carrefours des routes terrestres vers les chemins de la mer.. Les ports sont un peu comme les routes : une chose commune à tous » (M. CHARDON, Les travaux Publics).

Ainsi donc, pour tout le monde, le résultat voulu et recherché de préférence dans l'agrandissement et la restauration des ports, c'est le plus grand trafic, le plus grand mouvement de navires possible. On peut même craindre que les travaux faits dans ce but soit par l'Etat, soit par une administration autonome, soit par une société de capitalistes jouissant de la garantie d'intérêt de l'Etat (Projet de M. Hersent), ne fassent qu'aiguiser cet appétit ; car plus il passera de navires de tous les pavillons dans les ports, et plus les recettes provenant des droits, taxes et péages de toute sorte couvriront rapidement les dépenses et permettront d'entreprendre d'autres ouvrages.

On serait ainsi amené à souhaiter des concurrences à nos armateurs, à nos marins. N'y a-t-il pas là, comme l'a dit M. Marcel Dubois, en analysant le projet de M. Hersent (1), « un germe d'indiffé rence au pavillon, une prime à l'internationalisme ?... Attirer les navires étrangers en foule, les placer sous le même régime que les nationaux, c'est rechercher le mouvement des ports pour le mouvement lui-même, puisque de là dépendent les recettes. Ne risque-t-on pas de tuer notre marine en ressuscitant l'activité maritime de nos ports, ce qui n'est point notre activité maritime, mais seulement une activité maritime localisée chez nous ? >>

<< L'Etat, en tout cas, ne peut pas donner d'une main des primes à la marine, de l'autre garantir l'intérêt d'entreprises dont le succès rendrait les primes inefficaces au salut de notre pavillon. »

Il est certes difficile de négliger de pareilles considérations et de ne pas s'émouvoir des conséquences dommageables que pourraient avoir pour notre pavillon un trafic et un mouvement de navires s'élargissant de plus en plus exclusivement dans le sens cosmopolite.

(1) La prospérité des ports français,par MARCEL DUBOIS. Opinion, du 4 avril 1908.

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Mais il convient aussi de ne pas trop pousser le tableau au noir, de songer que parmi les grands ports de l'étranger, ceux qui s'accroissent au bénéfice du pavillon national constituent l'exception, que quoi que nous fassions, les causes naturelles d'infériorité de notre marine marchande ainsi que la concurrence des pavillons étrangers, inévitable dans un domaine international et décuplée par « la ruée vers la mer » empêcheront toujours le nôtre de dominer dans nos ports d'une façon absolue.

Ce qui est profondément regrettable, c'est qu'il y soit supplanté dans une aussi forte proportion. Or, il est incontestable que les améliorations de nos ports, de leurs bassins, de leurs quais et de leur outillage pourront contribuer malgré tout à diminuer cette proportion, surtout si les commerçants et les industriels veulent solidariser leurs intérêts avec ceux des armateurs et aider ceux-ci à trouver plus facilement le fret de sortie et le fret de retour que leur enlève la concurrence étrangère, si enfin les pouvoirs publics de leur côté, fournissent aux ports les moyens immédiats d'utiliser dans une plus large mesure le concours de la marine marchande française.

III

L'industrie des transports maritimes a subi depuis quelques années deux grandes évolutions. Tout d'abord les navires ont considérablement augmenté dans leurs dimensions et leur vitesse. Les frais d'armement se sont élevés à leur tour tant par le prix de la construction que par les dépenses d'exploitation. Pour les couvrir, la concentration des cargaisons s'impose de plus en plus, un navire ne pouvant lever l'ancre qu'avec un chargement d'une certaine importance. Par suite de ces transformations, les capitaux individuels ne sont plus en mesure de couvrir les aléas d'un grand service maritime et de résister aux périodes de crises commerciales dont les répercussions sont si profondes sur les transports de terre et de mer. Sous l'influence de ces causes économiques, l'armement n'est plus dispersé en de nombreuses mains; il s'est concentré et appartient presque tout entier à quelques puissantes sociétés anonymes qui groupent autour d'elles un immense faisceau d'inté rêts. En un mot, le commerce des transports maritimes est sou mis désormais au régime de la plus grande industrie (1).

RENÉ

(1) GEORGES VILLAIN, La périodicité des crises économiques. VERNEAUX. L'industrie des transports maritimes. LOUIS FRAISSINGEA, Le Problème de la marine marchande.

En second lieu, les marchandises qui composent notre fret de sortie ne sont en général ni lourdes ni encombrantes et représentent un fret de cueillette éparpillé. Depuis que la concentration est devenue la caractéristique des transports, elles demandent à être groupées en vue de former un chargement qui justifie la mise en route d'un navire. Ce groupement exige du temps, et nos armateurs ne peuvent offrir des départs aussi nombreux que leurs concurrents anglais et allemands qui, profitant des avantages que leur donne la navigation d'escale, peuvent venir à chaque instant récolter dans nos ports, sans grand détour de route et sans perte de temps appréciable, le complément de leur cargaison. Nos commerçants sont ainsi amenés naturellement à préférer parmi les moyens de transport qui leur sont offerts ceux qui se présentent le plus fréquemment et dont le prix est le moins élevé.

Mais on ne cesse de le leur répéter : cette infidélité au pavillon national qui leur procure, pour le moment, un certain bénéfice les expose à pâtir prochainement de la règle : la marchandise suit le pavillon. Leurs produits ne sauraient sans danger être transportés indéfiniment par des navires étrangers. Il en est ainsi lors même qu'ils ont la chance de conserver leur origine et de n'être pas démarqués par des intermédiaires trop souvent enclins à les livrer sous l'apparente nationalité du navire qui les transporte. En se déchargeant sur le pavillon étranger du soin d'exporter leurs marchandises, nos commerçants ne font pas autre chose que de confier leur service de livraison à une maison concurrente.

« Au reste, les destinataires subissent d'eux-mêmes l'ascendant. des grands bâtiments modernes qui, par leur seule présence et la régularité de leur service, constituent une réclame permanente. pour les pays dont ils portent le pavillon. » (Fraissingea).

Eh bien le moment est venu pour les commerçants et les industriels qui déjà se sont fédérés en une association comptant près de 5.000 adhérents, de conjurer le danger qui les menace, en s'intéressant d'une façon effective à la création ou au développement des Compagnies régulières de navigation françaises, puisque les grands travaux des ports vont enfin permettre à celles-ci de construire les grands navires qui leur manquent, d'obtenir les places à quai qui leur font défaut et l'outillage qui accélérera leurs opérations de chargement et de déchargement. Il faut qu'ils deviennent euxmêmes en quelque sorte les propres transporteurs de leurs marchandises ou de leurs produits, en entrant en plus grand nombre possible dans les sociétés d'armement. Si au lieu de placer leurs économies, comme tant de Français, dans les entreprises étran

gères parfois rivales des nôtres, ils consacraient une partie de leur épargne à quelques entreprises de navigation nationales dont ils pourraient devenir les actionnaires influents, ils les seconderaient en favorisant leurs propres intérêts.

Par leurs représentants dans les Conseils d'administration, ou leurs délégués dans les Assemblées des actionnaires, ils changeraient l'esprit trop administratif de certaines sociétés, ils feraient prévaloir leurs intérêts dans le choix des types de navires répondant le mieux à leurs besoins, dans celui des lignes régulières à établir, dans la fixation des dates de départ, dans la tarification des frets suivant les marchandises et leur destination, etc..., ils obtiendraient enfin des administrations des ports que ceux-ci soient aménagés à leur profit et non pour celui des voisins ou étrangers (1).

Pour sauver la marine marchande, a dit M. Charles Roux, la première chose à faire « est de changer l'esprit public » trop indifférent à son sort. C'est surtout l'esprit des commerçants et des industriels qu'il faut changer, pour qu'ils finissent par comprendre la solidarité étroite de leurs intérêts et de ceux du pavillon français.

Les aménagements du port de Hambourg ont grandement contribué au développement de son trafic. Mais la coopération du législateur, du négociant et de l'armateur a été la source de sa prospérité.» (BORSEN, Halle de Hambourg, 1899). Que nos commerçants méditent ces paroles !

D'autre part, c'est une grande erreur de croire qu'il suffit de créer le moyen de communication pour créer le trafic ou le grandir. « D'abord et avant tout, il faut avoir des négociants entreprenants pour envoyer les produits de l'industrie nationale dans les pays éloignés et en faire venir en échange, les produits d'outre-mer. » Tel est l'avis de M. Ballin, directeur de la Hamburg America Linie et aussi, semble-t-il de tous les armateurs hambourgeois. Il a été compris des négociants allemands qui ont merveilleusement servi la politique nationale et économique de leur pays, en allant s'implanter partout où il y avait des marchés ou des débouchés à conquérir, donnant ainsi du même coup un aliment de fret aux navires de leur nationalité et de trafic à leurs ports. C'est encore là

(1) M. MARCEL DUBOIS, dans son article précité de l'Opinion, disait que le moyen de retirer au projet des grands travaux des ports de M. Hersent sa proportion nocive de caractère cosmopolite, était d'y intéresser fortement par des combinaisons dont le secret lui échappe, armateurs, constructeurs, négociants et industriels. L'association du commerce avec l'armement nous paraît être une de ces combinaisons faciles à réaliser.

un exemple dont nos commerçants et nos industriels ne s'inspirent pas suffisamment ; et n'est-ce pas à leur inertie relative qu'il faut attribuer l'abandon de plus en plus marqué par notre pavillon des ports de l'Amérique du Sud et du Canada, abandon qui réagit forcément sur son mouvement à Bordeaux, au Havre et à Dunkerque (1)? Qu'ils cessent donc de se désintéresser aussi visiblement de l'expansion de la France au dehors, fût-ce même tout d'abord au prix de quelques sacrifices! Ceux-ci ne seront perdus ni pour eux ni pour les Compagnies d'armement auxquelles ils seront affiliés, surtout, quand celles-ci pourront profiter des améliorations réalisées dans leurs ports d'attache.

Mais il ne faut pas se le dissimuler. Une association plus étroite d'intérêts entre le commerce et l'armement ne suffira pas à elle seule pour faire reprendre sa place à notre pavillon, dans les grands ports français une fois restaurés et devenus même des modèles d'installations matérielle.

Il faut encore que ces ports réalisent une condition essentielle : la concentration des marchandises et partant celle du fret d'exportation. Pour cela, ils doivent cesser d'être isolés de l'intérieur du territoire et être reliés, mieux qu'ils ne le sont aujourd'hui, aux centres terrestres de production agricole et industrielle par des voies d'accès capables de dériver vers eux les courants commerciaux du continent. Ils doivent devenir le point terminus des voies ferrées et navigables harmonieusement combinées pour concourir à leur mission commune de transport (2). C'est à ce prix qu'ils exerceront la grande force attractive susceptible de faire affluer sur leurs quais la masse des marchandises d'exportation qui, quoi qu'on en dise, existent en très grande abondance dans notre pays, mais dont beaucoup ne peuvent pas parvenir jusqu'à eux, ce qui explique que nos navires, privés d'un fret régulier, sont dans l'impossibilité d'offrir au commerce des moyens de transport aussi rapides et fréquents que ceux qu'il réclame.

Deux fautes ont été commises dans l'organisation de nos voies de communication intérieure. On a délaissé le remarquable réseau de canaux et de voies fluviales que possédait la France et on ne l'a pas développé. On a laissé les Compagnies de chemins de fer établir trop souvent des tarifs qui ont ruiné la batellerie intérieure, nui à la marine marchande (3) et au commerce d'exportation.

(1) Une statistique des maisons de commerce allemandes et des représentants de commerce allemands à l'étranger mettrait en relief l'inertie de nos agents d'expansion.

(2) MAURICE SARRAUT, Le Problème de la marine marchande.

(3) La navigation de cabotage a beaucoup à souffrir à Bayonne de la

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