Imágenes de páginas
PDF
EPUB

d'amender les money bills, on leur répondit, comme M. Asquith, qu'ils garderaient ce droit de rejet au même titre que le roi « Le roi doit rejeter l'ensemble de chaque bill ou l'accepter; et pourtant cela ne le prive pas de son veto. » (1) Les Communes revinrent à la charge en 1678 par une résolution qui lui sert encore aujourd'hui de règle fondamentale (2): << Toutes les aides et tous les subsides, et toutes les aides accordées à Sa Majesté dans le Parlement, sont le don des Communes seules; tous les bills pour accorder ces aides et ces subsides doivent être initiés par les Communes; et c'est le droit certain et exclusif des Communes de régler, de limiter et de désigner dans ces bills le but, les circonstances, les conditions, les limitations et les qualifications de ces subsides. qui ne doivent être ni changés, ni modifiés par la Chambre des Lords (3). »

Depuis cette époque et jusqu'à nos jours aucun amendement des Lords n'a été accepté par les Communes en matières financières.

On se tromperait pourtant en supposant que les Lords aient ratifié les résolutions des Communes. S'ils ont cédé en fait dans la plupart des cas, ils ont toujours pris soin d'affirmer la persistance de leurs anciens droits, comme à la suite de la controverse qui dura de 1689 à 1692 :

« La Chambre des Pairs considère que l'acte d'amender et de réduire les taxes dans les bills de finances envoyés par les Communes, est un droit fondamental, inhérent et certain de la Chambre des Pairs, auquel les Lords ne sauraient renoncer. Ils ont par suite, jugé nécessaire de l'affirmer en cette occasion. Mais considérant qu'un désaccord entre les deux Chambres au sujet du présent Bill, causerait un retard qui pourrait être fatal dans les circonstances présentes, les Lords n'ont pas cru convenable d'insister en ce moment sur leurs privilèges (4). »

Cette affirmation était si peu platonique que de 1688 à 1860, on cite une quarantaine de bills de finances ou indi

(1) Parliamentary History of England, 23, Charles II, 1671. (2) ERSKINE MAY. Parliamentary Practice, 9e édit., p. 641.

(3) Cité par le Times du 5 juillet 1909.

(4) Cité par le Times du 5 juillet 1909.

rectement relatifs aux finances à propos desquels les Lords firent usage du droit d'amendement. Aucun d'entre eux ne fut accepté par les Communes, mais les Communes se bornèrent plus d'une fois à sauver la face en proposant un nouveau bill qui donnait satisfaction aux Lords. Non contents de résister, les Lords posèrent eux-mêmes un principe nouveau. En 1700 et 1702, comme les Communes avaient tenté de faire adopter, sous le couvert d'une loi financière, des innovations étrangères au bill en question, les Lords votèrent chaque fois une résolution par laquelle ils interdisaient ce procédé appelé le tacking :

« Le fait d'annexer à un Bill financier une ou plusieurs clauses dont le contenu est étranger à ce bill n'est pas parlementaire et tend à la destruction de la constitution du Gouvernement (1). »

La dernière phase s'ouvre en 1860. Jusqu'à cette époque les Communes avaient bien nié le droit d'amendement que les Lords n'avaient que mollement défendu; elles n'avaient pas songé à les priver du droit de rejet. L'exercice de ce droit était d'autant moins contestable que sauf de rares exceptions, le budget de l'année était toujours présenté sous forme de lois distinctes et que le rejet d'une seule des mesures financières n'entraînait pas un irrémédiable déficit. Aussi les Lords s'en étaient-ils donné à cœur joie. Entre 1708 et 1854, ils avaient rejeté 18 Bills budgétaires proprement dits, sans compter un nombre au moins double de bills de finances étrangers au budget. Mais la réforme de 1832 avait transformé les Communes. Fortifiées par l'appoint des classes moyennes, elles étaient moins disposées qu'autrefois à se courber sous la férule. Quand les Lords se mirent en travers du mouvement libre-échangiste et rejetèrent, en 1860, un Bill abolissant les droits d'entrée sur le papier, l'assaut fut donné cette fois au dernier pouvoir qui leur restât, celui de rejeter l'ensemble des Money Bills.

Gladstone fut le héros du combat. Il était alors ministre des Finances dans le cabinet Palmerston et Lord Morley nous a raconté comment il parvint à décider ses collègues récalci

(1) Times, 5 juillet.

trants et à entraîner la Chambre (1).Dans un mémoire qu'il lut au Conseil des ministres et qui eut raison des dernières hésitations de Palmerston, il déclarait que la question financière n'était rien comparée avec la nécessité vitale de maintenir les droits exclusifs de la Chambre des Communes en matière de finances. « A l'avenir, ajoutait-il, il n'y aurait pas une seule intervention des Lords, sauf le fait de prendre l'initiative d'une loi fiscale, que ce précédent ne suffit à justifier. On pourra alléguer qu'ils ont assez de sagesse pour n'en pas abuser. Même en admettant qu'ils seront sages, je ne puis admettre que la Chambre des Communes conserve au dixneuvième siècle, par simple tolérance, un privilège qu'elle a conquis au dix-septième, affermi et étendu au dix-huitiène (2). » L'acte des Lords constituait à ses yeux « une gigantesque innovation constitutionnelle ». Aursi la Chambre vota-t-elle, sous son inspiration les trois résolutions sui

vantes :

« 1° Le droit d'accorder des aides et subsides à la couronne appartient aux Communes seules, comme faisant essentiellement partie de leur constitution ainsi que le droit de limiter ces subsides au point de vue du contenu, de la manière, de la mesure et du temps.

2° Bien que les Lords aient exercé le droit de rejeter divers bills relatifs aux impositions en refusant leur assentiment à l'ensemble de ces bills, cependant l'exercice de ce droit n'a pas été fréquent et est justement jalousé par cette Assemblée en tant qu'il affecte le droit qu'ont les Communes d'accorder les subsides et de pourvoir aux voies et moyens pour le service de l'année.

3° Pour prévenir à l'avenir tout exercice injustifié de ce pouvoir par les Lords et pour assurer le légitime contrôle des Communes sur les impôts et subsides, cette Assemblée a entre les mains le pouvoir d'imposer et de réduire ces taxes et de disposer des bills budgétaires de telle manière que le droit des Communes, au point de vue de la manière, de la

(1) Lord MORLEY. Life of Gladstone, t. II, ch. II. (2) Lord MORLEY. Life of Gladstone, t. II, p. 38.

mesure et du temps, puisse être maintenu dans son intégrité (1). »

L'expédient imaginé par Gladstone consistait, non pas à retirer aux Lords le droit théorique de rejeter les lois financières, mais à lier toutes les lois budgétaires en une seule loi-omnibus que les Lords ne pouvaient pratiquement arrêter. En fait, il s'agissait de les annihiler à jamais au profit des Communes. « C'est ainsi que la Chambre des Lords, écrit lui-même Gladstone, fut justement privée, pour son inconduite, de tous ses droits en matière de finance (2). »

Cette prédiction semblait s'être réalisée puisque la Chambre des Lords n'avait, avant cette année, amendé ou rejeté aucun budget depuis 1860. Même en 1894 elle accepta sans résistance un budget libéral qui introduisait pour la première fois le principe de la gradation dans l'impôt sur les successions. Aussi pouvait-on croire que les deux Chambres avaient fini par tomber d'accord sur l'interprétation de la constitution. Il n'en était rien cependant. Après cinq siècles de débats, les chances de conflit constitutionnel restaient plus sérieuses que jamais.

Elles tenaient d'abord à l'imprécision d'une constitution qui repose uniquement sur la coutume.

En apparence le privilège financier des Communes était incontesté. Lord Salisbury, le leader conservateur de la Chambre des Lords, n'avait-il pas déclaré lui-même, au moment du débat sur le budget Harcourt (juillet 1894), que la Chambre Haute ne pouvait, sans grand péril, amender ou rejeter le budget? « La raison qui empêche cette Assemblée d'agir ainsi, dit-il, est que la Chambre des Lords n'a pas le pouvoir de changer le ministère; or, le fait de rejeter le bill de finances tout en laissant le même gouvernement au pouvoir crée une situation sans issue (3) » Toute la pratique parlementaire paraissait justifier les prétentions des Communes. Par exemple, quand la Chambre des Lords prend l'initiative d'un bill ordinaire, elle est censée ne voter aucune clause relative à la dépense; dans le projet de loi qui est ensuite

(1) Times, 5 juillet 1909.

(2) Lord MORLEY, Life of Gladstone, t. II, p. 39. (3) Times, 5 juillet 1909.

transmis aux Communes, les clauses financières sont imprimées en caractères rouges et considérées comme de simples suggestions (1). Il en est de même pour la procédure originale qui règle la discussion et le vote du budget. La loi annuelle de finances est votée en Angleterre pendant l'année même à laquelle elle s'applique. Pour que les taxes nouvelles entrent immédiatement en vigueur, les Communes votent dès l'ouverture des débats une série de résolutions budgétaires qui autorisent la perception immédiate de ces taxes avant leur acceptation définitive par les deux Chambres; un peu plus tard le Parlement vote également un Appropriation Bill qui permet au Trésor d'emprunter les sommes nécessaires aux dépenses prévues par le même budget. Ces pratiques seraient impossibles si l'assentiment de la Chambre des Lords n'était escompté d'avance au même titre que celui de la Couronne (2).

Mais en regard de cette forte tradition, il en subsistait une autre, celle des Lords, qui s'étaient momentanément inclinés devant les Communes sans renoncer pour cela à leur droit d'amendement, encore moins à leur droit de rejet. A aucune époque ils n'avaient rayé de leurs statuts la vieille protestation par laquelle ils avaient affirmé, au xvir° siècle, leur droit imprescriptible de modifier les money bills. Ils étaient restés. beaucoup plus affirmatifs encore sur la question du veto. Quand Gladstone incorpora en 1861 sa loi sur les droits du papier au budget de l'année courante, les Lords ne se soumirent pas sans déclarer que les résolutions de 1860 ne pouvaient avoir force de loi pour la Chambre Haute. Leurs résolutions contre le tacking subsistaient également. Lord Salisbury rappelait lui-même au cours des débats de 1894, que la Chambre des Lords devait retenir toutes ses prérogatives et ses droits législatifs, « car nous ne savons pas quand il pourra être bon de les exercer (3). » La même année un pair libéral, Lord Spencer disait en apportant le budget : « Nous savons tous que dans cette Chambre nous ne pouvons amender un Money Bill, mais nous avons parfaitement le droit de

(1) ERSKINE MAY, Parliamentary Practice, 9e édit., p. 644.
(2) ERSKINE MAY, Parliamentary Practice, 9o édit., p. 640.
(3) Times, 5 juillet.

« AnteriorContinuar »