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d'une ceinture de sentinelles mobiles qui lui dénonceront si possible l'ennemi, et surtout qui, profitant de leur supériorité de vitesse sur les sous-marins toujours très lents en plongée ou demi-plongée, fonceront sur eux, chercheront à les couler, ou les avarier par choc, et à les empêcher de lancer leurs torpilles. Des contre-torpilleurs d'un millier de tonnes au moins, à coque suffisamment robuste pour ne pas craindre cet abordage, ayant une vitesse supérieure à 25 nœuds (qui dépasse le double de la vitesse maximum possible des sous-marins) et ayant de bonnes qualités manœuvrantes pour pouvoir évoluer rapidement constituent le meilleur type de sentinelles.

Pendant la période intense du combat, les contre-torpilleurs ne pourront guère intervenir et il est probable qu'ils se tiendront à l'abri, protégés contre l'artillerie ennemie par la ligne même des cuirassés amis. Cela ne les empêcherait pas de profiter d'une occasion favorable pour essayer de lancer quelques torpilles.

Mais une fois le combat plus avancé, les services qu'ils peuvent rendre deviennent considérables. Les bâtiments ennemis qui sont obligés de se retirer de la ligne et qui sont partiellement désemparés deviennent une proie pour eux et peuvent être définitivement achevés à coups de torpilles. Les bâtiments amis qui se trouveraient dans cette même situation et que les contre-torpilleurs ennemis ne manqueront pas d'assaillir ont besoin d'être protégés et ne peuvent l'être que par des contre-torpilleurs au moins égaux en puissance.

Nous conclurons de là que les contre-torpilleurs d'escadre doivent avoir un déplacement, une vitesse et un armement en artillerie au moins égaux à ceux des contre-torpilleurs adverses, pour pouvoir lutter efficacement avec eux, et qu'ils doivent avoir un armement en torpilles suffisamment nombreux pour pouvoir attaquer un cuirassé avec chances de succès. Or, les grands contre-torpilleurs anglais ont de 800 à 950 tonnes et filent de 27 à 31 nœuds, les Allemands ont de 650 à 900 tonnes et filent 32 nœuds et demi; les Italiens ont 650 tonnes et filent 30 nœuds. Diverses autres marines (Argentines, Chiliennes, Russes) construisent des contre-torpilleurs de 1.400

tonneaux et 35 nœuds. Tous ces bâtiments ont des canons de 100 mm. et quelquefois de 150 mm. ›

Aussi le programme auquel nous croyons que l'on devrait s'arrêter et qui est parfaitement réalisable serait le suivant : déplacement 1.400 tonnes, vitesse 32 nœuds; quatre canons de 100 mm., six tubes lance-torpilles. Nous ne pensons pas nécessaire de chercher à dépasser 32 nœuds, parce que, avec ce tonnage, une vitesse supérieure ne serait pratiquement utilisable que par mer complètement plate.

Des bâtiments de ce type auraient leurs œuvres mortes suffisamment élevées au-dessus de l'eau pour être à même de naviguer et de conserver leur vitesse, même par des temps médiocres; c'est pourquoi ils pourraient servir d'éclaireurs. Les marines que nous citions plus haut et qui construisent des contre-torpilleurs de 1.400 tonneaux comptent bien les employer à ce rôle.

Combien la flotte française devrait-elle avoir de ces bâtiments? On admet généralement que pour monter efficacement la garde autour des cuirassés, il faut au moins deux contre-torpilleurs par cuirassé; si on y ajoute ceux à détacher comme éclaireurs, on arrive à une proportion de trois par cuirassé. C'est à peu près ce que l'on trouve dans la marine anglaise qui outre les éclaireurs a 66 destroyers (ou contretorpilleurs) pour 28 cuirassés dans la Home Fleet, et qui commande chaque année une vingtaine de destroyers (1); c'est également ce que l'on trouve dans l'escadre allemande qui a 66 destroyers pour vingt-quatre cuirassés, et qui en commande une douzaine par an.

La loi-programme de 1912 prévoyait en France 52 contretorpilleurs d'escadre pour 28 cuirassés. Ce serait donc une proportion trop faible. Mais nous sommes bien loin de l'avoir réalisée. Nous avons actuellement en service ou en construction 15 cuirassés modernes, et seulement 21 contre-torpilleurs (nous ne comptons pas ceux de 400 tonneaux). Et, ce qui est

(1) Le programme des mises en chantier anglaises de 1913-1914 comprend 16 contre-torpilleurs, plus grands que les précédents et dont les caractéristiques exactes ne sont pas encore connues. L'Amirauté Anglaise considère leur nécessité comme tellement urgente que, d'après les dernières nouvelles, plusieurs de ces bâtiments ont été commencés avant le vote des crédits et la passation officielle des marchés.

plus grave, on ne semble pas songer à activer la construction des contre-torpilleurs : on n'en a commandé que 3 en 1913, et on ne parle pas de faire plus en 1914, au contraire.

De ce qui précède, nous déduisons que la France aurait besoin d'avoir une douzaine de contre-torpilleurs nouveaux le plus tôt possible, et ensuite d'en commander régulièrement trois ou quatre par chaque cuirassé mis en chantier. Même en tenant compte de ce que les contre-torpilleurs nécessitent environ une année de moins comme durée de construction, ce serait juste suffisant pour atteindre la proportion minimum nécessaire.

Résumons:

Au lieu de construire six éclaireurs qui coûteront au total environ 135 millions, et que l'on a l'intention de commander en deux fournées de trois, espacées d'un an, la marine augmenterait singulièrement plus sa puissance en commandant un premier groupe de huit contre-torpilleurs supplémentaires, six mois après un cuirassé supplémentaire et six mois après un groupe de cinq contre-torpilleurs supplémentaires. La première dépense de construction serait un peu inférieure, la dépense de service courant serait la même, et cela pourrait se faire sans apporter aucun trouble ni aucun à-coup dans la production des chantiers ou des arsenaux.

La situation de la France en Europe ne lui permet de consacrer aucune somme à des bâtiments qui n'accroissent pas réellement la valeur militaire de sa flotte. Sur mer comme sur terre, elle ne doit avoir qu'un objectif, puisqu'elle ne songe nullement à être agressive; c'est de se créer une force telle qu'elle donne à réfléchir à ceux qui voudraient l'attaquer.

Elle vient de faire l'effort nécessaire pour l'armée ; elle doit faire celui qui est nécessaire pour la marine, et cela lui est relativement d'autant plus facile, qu'elle n'est pas limitée par des questions d'effectifs, le nombre d'hommes qu'il faut pour armer quelques bâtiments supplémentaires étant infime.

Le Gouvernement et le Parlement ont le devoir absolu de mûrement réfléchir avant de fixer le type des mises en chantier nouvelles.

ANDRÉ DUPONT,

Ancien ingénieur en chef de la marine.

Nous venons d'assister, en Orient, à un retour de fortune sans exemple dans l'histoire.

En moins de quatre semaines la Bulgarie victorieuse a été envahie et sa puissance militaire s'est littéralement effondrée.

On a attribué cet événement à la lassitude et à l'épuisement de l'armée bulgare. L'appel de nouvelles classes et les enrôlements à outrance avaient cependant permis de combler numériquement les pertes subies pendant la guerre, qui venait de prendre fin. En réalité, ce sont les cadres qui ont fait défaut parce qu'il a été impossible de les compléter. On n'a pas su où trouver des officiers pour remplacer ceux qui étaient restés sur le champ de bataille en conduisant leurs soldats à la victoire. C'était également la pénurie d'officiers, qui, en 1905, avait empêché les Japonais de poursuivre leurs succès en Mandchourie et même d'en profiter lors de la signature du traité de Portsmouth.

Ces événements prouvent qu'on ne peut avoir une armée solide qu'avec des cadres assez nombreux et parfaitement instruits.

Ces cadres sont plus nécessaires que jamais à l'armée française après le vote d'une loi militaire qui va imposer au pays de lourdes charges.

Or, il existe, depuis plusieurs années, parmi nos officiers une véritable crise qui commence à gagner les sous-officiers. Il suffit de regarder ce qui se passe autour de soi pour faire certaines constatations peu rassurantes pour l'avenir.

Les vocations militaires diminuent, les officiers se recrutent difficilement, et de moins en moins dans les familles où il était de tradition de servir dans l'armée.

Ceux qui ont de la fortune personnelle démissionnent, ainsi que leurs camarades, auxquels leur valeur intellectuelle permet de trouver une situation dans la vie civile. Parmi ceux qui restent dans l'armée, un trop grand nombre semble désireux de changer de situation. Le chiffre des candidats à l'Ecole Supérieure de guerre est en diminution depuis 1911. En revanche, celui des capitaines qui se présentent au concours d'admission dans l'Intendance a triplé entre 1895 et 1910.

Lorsque après sa réorganisation, l'artillerie a demandé à l'infanterie un supplément de 150 lieutenants, il s'en est présenté plus de 900.

Enfin, les publications techniques ont peu de lecteurs et encore moins d'abonnés. L'attention semble concentrée sur les questions de la solution, desquelles dépend la situation pécuniaire du corps d'officiers.

Cette crise de désaffection et de mécontentement est connue des pouvoirs publics, qui n'y sont pas indifférents. Elle a des causes matérielles, morales et professionnelles, sur lesquelles on a attiré, à maintes reprises, l'attention des lecteurs de cette Revue.

Il n'est pas sans intérêt de les examiner dans leur ensemble en insistant particulièrement sur celles d'ordre matériel qui semblent prévaloir.

Causes matérielles. Les soldes sont insuffisantes. A situation hiérarchique égale, elles sont inférieures à celles des fonctionnaires civils, dont la plupart échappent à l'obligation de représenter, qui s'impose aux officiers. Le 7 août 1913, le Président du Conseil a déclaré à la tribune du Sénat que « la situation faite aux officiers par l'insuffisance des traitements ne pouvait pas se prolonger ». Il n'y a pas que les soldes qui soient insuffisantes. Les déplacements nécessités par le service deviennent de plus en plus fréquents et donnent lieu à des indemnités dont l'insuffisance est notoire.

Un officier marié, qui séjourne avec sa troupe dans un camp d'instruction, après avoir forcément laissé sa famille

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