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amenés à examiner de plus près, et à définir aussi exactement que possible le type de l'« éclaireur ».

C'est un bâtiment qui doit avoir une vitesse supérieure d'au moins quatre à cinq nœuds à celle des navires formant le corps de bataille. Les cuirassés modernes marchant à 20 nœuds, ou 21 nœuds, les éclaireurs doivent en faire plus de 25.

D'autre part, ils doivent être capables de conserver leur vitesse même par des mers agitées, ce qui conduit à leur donner un tonnage assez fort et des œuvres mortes assez développées. Un déplacement de 4.000 tonneaux paraît alors le minimum admissible, surtout en tenant compte de ce que l'approvisionnement de combustible doit permettre de tenir la mer longtemps sans ravitaillement.

Si nous cherchons alors dans les marines de nos voisins quels sont les bâtiments de plus de 4.000 tonneaux et de plus de 25 nœuds, nous en trouvons une trentaine environ en service ou en construction pour l'Angleterre, une douzaine pour l'Allemagne, deux en projet pour la Russie, et c'est tout. Ce sont donc les seules marines réellement de premier ordre, ayant comme bâtiments de combat le complet de ce qu'elles estiment nécessaire, qui se permettent d'ajouter à leurs véritables armes des accessoires utiles, mais sans valeur militaire.

Malheureusement la France n'est pas dans la même situation; le nombre de ses cuirassés est notoirement insuffisant, puisque, même en tenant pour bon l'effectif prévu à la loiprogramme de 1912, il lui en manque encore une douzaine : et toutes les personnes compétentes s'accordent à reconnaître qu'en présence du développement des marines autrichiennes et italiennes ce programme est insuffisant.

De plus, il faut remarquer que pour l'Allemagne et l'Angleterre, en raison même des conditions où elles se trouveraient en cas de guerre, des éclaireurs leur seront plus utiles qu'à la France. Dans une lutte entre ces deux pays, l'Angleterre peut être amenée à diviser ses forces pour barrer à la fois le Pas-de-Calais et la mer du Nord, elle peut avoir à surveiller à la fois le canal de Kiel et la côte de Norvège. De son côté, l'Allemagne peut avoir à reconnaître la position

exacte de ces deux groupes anglais. La France, pour le moment, n'a pas à envisager de combinaisons de cet ordre.

Il semble donc que ce soit par un esprit d'imitation peu judicieux que notre marine réclame dès maintenant des éclaireurs. Il se passe même ceci d'assez singulier, c'est que, tandis que pour les cuirassés, et même pour les contre-torpilleurs, qui sont des instruments de combat d'une autre classe, la France est toujours, par raison d'économie, en retard comme tonnage et puissance offensive sur ses voisins, pour les éclaireurs projetés, elle semble vouloir faire grand et adopter un type sensiblement plus important.

Les plus grands éclaireurs anglais (type Birmingham) ont 5.500 tonnes de déplacement; les plus rapides (type Aréthuse) ont 29 nœuds de vitesse (1). Les éclaireurs allemands font 27 nœuds et oscillent entre 4.300 et 5.000 tonnes. Les futurs éclaireurs français sont prévus de 6.200 tonneaux environ, et 28 nœuds. Cela tient à ce qu'on a voulu leur donner une certaine protection cuirassée. Mais cela n'augmente en rien leur valeur militaire.

Nous ne saurions trop insister sur le fait que, dans la zone des opérations, ce genre de bâtiment ne peut rendre aucun service, alors qu'il n'en est pas de même des contre-torpilleurs dont nous parlerons tout à l'heure. Il ne peut pas prendre part à l'action, faute d'une artillerie et d'un cuirassement suffisants; il ne peut pas profiter d'une occasion pour s'approcher de l'ennemi et le torpiller, vu son tonnage et les difficultés de manœuvre qui en résultent; pour les mêmes raisons, il ne peut pas servir de grand-garde aux cuirassés et les protéger contre les attaques des sous-marins. Son rôle militaire est donc bien nul.

Mais il y a plus encore; il est exposé à être détruit au cours de son œuvre d'éclairage.

En effet, en même temps qu'elles construisent des éclaireurs de 4 à 5.000 tonnes, l'Angleterre et l'Allemagne construisent des croiseurs cuirassés de 22.500 à 28.000 tonnes, qui eux aussi donnent une vitesse de 28 nœuds. Ce type de bâtiment que l'on a appelé un moment le « cuirassé croiseur » et que

(1) D'après les renseignements les plus récents, les mises en chantier anglaises de 1913-1914 comprendraient huit éclaireurs de 30 nœuds.

l'on appelle maintenant le « croiseur de combat » correspond au programme suivant: même vitesse que celle des éclaireurs (vitesse qu'il conservera encore plus facilement qu'eux par mer agitée, vu son déplacement); protection un peu inférieure à celle des cuirassés, mais le mettant complètement à l'abri de l'artillerie des éclaireurs ; armement inférieur comme nombre de pièces à celui des cuirassés, mais constitué par des canons de même calibre.

Ces bâtiments peuvent donc accompagner les éclaireurs de leur flotte, les soutenir et anéantir les éclaireurs ennemis ; au moment du combat, ils peuvent rallier le gros de l'escadre et joindre leur tir au sien. Ils ont donc une valeur militaire réelle, puisqu'ils sont sûrs de détruire certaines unités des adversaires, et qu'ils peuvent prendre part à une bataille navale.

La France n'a pas de croiseurs de combat et son programme naval n'en comporte pas. Les éclaireurs français seront donc à la mercì des croiseurs de combat ennemis ; d'autant plus que ceux-ci sont dès maintenant presque aussi nombreux que ne le seront les éclaireurs français projetés. Il y a en effet dix croiseurs de combat anglais en service ou en construction, armés chacun de huit canons de 305 ou de 343; et six allemands en service ou en construction armés chacun de dix canons de 280 ou de 305.

Ainsi, nous croyons avoir établi que le type éclaireur n'est pas un bâtiment de combat, qu'il n'aura à jouer qu'un rôle problématique au cours des opérations et enfin qu'il a grande chance d'être rapidement détruit s'il s'écarte du gros de l'ar

mée.

Mais au moins est-ce un bâtiment économique? La dépense qu'entraîne sa création est-elle en rapport avec les faibles services qu'il peut éventuellement arriver à rendre? Nullement, les éclaireurs seront des bâtiments chers.

Les dépenses relatives à un navire se divisent en deux catégories; celles nécessaires à sa construction et à la création de son stock personnel d'approvisionnement et de ravitaille

ment, et celles relatives à son fonctionnement journalier et à son entretien.

Le prix de construction et d'armement d'un bâtiment de 6.200 tonneaux tel que celui projeté, n'est pas encore connu avec précision, la marine n'en ayant pas publié le devis ; comme première approximation nous croyons qu'on ne peut. guère l'évaluer à moins de 22 millions; c'est d'ailleurs le chiffre qui avait été indiqué par M. Nail en 1912, dans son rapport sur la loi-programme, à une époque où le tonnage que l'on envisageait était inférieur à 6.000 tonnes.

Or, le prix d'un cuirassé du dernier type Bretagne, est d'environ 66 millions. Avec le prix des six éclaireurs prévus on pourrait donc avoir deux cuirassés.

Le prix d'un contre-torpilleur de 850 tonneaux, type Francis-Garnier est d'environ 3 millions et demi. Celui d'un contretorpilleur de 1.400 tonneaux dont nous parlerons plus loin, serait d'environ cinq millions. Avec le prix des six éclaireurs on pourrait donc avoir vingt-six grands contre-torpilleurs.

Pour le fonctionnement et l'entretien, les dépenses sont en raison du tonnage, de la puissance de la machine, et du nombre d'hommes d'équipage. Les éclaireurs de 6.200 tonneaux auront une machine d'environ 35.000 chevaux et à peu près 400 hommes d'équipage. Si nous les comparons d'une part, aux cuirassés de 24.000 tonnes, dont la machinefait 30.000 chevaux et dont l'équipage est de 1.075 hommes; d'autre part, à des contre-torpilleurs de 1.400 tonneaux dont la machine ferait environ 25.000 chevaux et dont l'équipage serait d'une centaine d'hommes, nous arrivons à cette conclusion que les dépenses courantes de six éclaireurs seront à peu près équivalentes à celles de trois cuirassés ou de vingt contre-torpilleurs (1).

Et nous revenons à la question que nous posions au début de quelle façon l'argent serait-il le mieux employé ?

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Il est inutile de faire ressortir la valeur effective du cuirassé. L'époque n'est plus où l'on préconisait en France la constitution d'une marine surtout défensive constituée par des flottilles et des croiseurs. Le rôle du bâtiment de combat proprement dit est maintenant apprécié comme il convient: on sait que c'est lui qui constitue l'ossature d'une marine, et qu'il ne faut jamais le sacrifier.

Or, la France a-t-elle assez de cuirassés ? Certainement non sans la comparer à l'Angleterre et à l'Allemagne, qu'elle ne songe plus à égaler, nous avons signalé déjà que par rapport à l'Italie et à l'Autriche qui, depuis deux ans font un effort maritime considérable, la France allait se trouver en état d'infériorité si on n'augmentait pas le nombre des cuirassés portés à la loi de 1912. Il faut donc activer le plus possible la construction de cuirassés nouveaux.

D'autre part, la constitution prévue pour la flotte française pêche par une pénurie inquiétante de contre-torpilleurs. C'est là un point sur lequel nous devons insister. D'autant plus que des contre-torpilleurs d'un tonnage convenable peuvent, dans une certaine limite, jouer le rôle d'éclaireurs, surtout dans la Méditerranée.

Pendant longtemps les contre-torpilleurs que l'on a construits en France n'ont pas dépassé le déplacement de 400 tonneaux. C'étaient en réalité de grands torpilleurs et lorsque l'on a voulu leur faire faire un service un peu intensif dans les escadres, on s'est rapidement aperçu qu'ils manquaient de souffle et d'endurance. On a passé alors à une classe supérieure comprenant des bâtiments de 700 à 850 tonnes. Ce sont eux qui constituent actuellement les contre-torpilleurs d'escadre, les seuls dont nous nous occupons ici. Les petits contre-torpilleurs dont nous ne médisons nullement, sont destinés à la défense des côtes.

Quel est le rôle du contre-torpilleur d'escadre, et comme conséquence, quelles doivent être ses dimensions et ses caractéristiques ?

L'un des principaux dangers qui menacent une escadre stationnant ou naviguant ailleurs qu'à très grande distance des côtes, est une attaque de sous-marins. Pour s'en défendre les cuirassés n'ont pas de meilleur procédé que de s'entourer

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