Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Aussi le programme de la Direction relatif à la réduction des trains et à la diminution du nombre des places offertes ne put-il être réalisé qu'en partie.

((

V. D'après le Message relatif au rachat, le public ne devait pas être seul à retirer des avantages de l'exploitation des chemins de fer par la Confédération. « La situation du personnel s'en trouvera notablement améliorée. » Et cela sans qu'il en coûte rien au budget. « La réduction du person« nel dont nous avons parlé ci-dessus, fournira les ressour«< ces nécessaires pour couvrir le surplus des dépenses que << nécessitera l'égalisation des salaires. » D'autre part « l'exploitation par l'Etat mettra fin aux réclamations que sou« lève l'application imparfaite de la loi fédérale sur la durée << du travail des agents de chemins de fer...; l'exploitation par « l'Etat améliorera, sous ce rapport aussi, la situation des « employés » (pages 56 à 59).

[ocr errors]

Comme suite à ces promesses une loi relative aux traitements du personnel des chemins de fer fut promulguée le 29 juin 1900. Le personnel fut réparti entre 9 classes: pour chacune le traitement variait d'un minimum à un maximum ; les traitements s'élevaient de 1.200 fr. à 2.500 fr., pour la 9o classe, jusqu'à 10.000 francs à 15.000 francs pour la 1" classe. D'autre part, une loi du 19 décembre 1902, réglementant la durée du travail dans les entreprises de transport, fixa cette durée à onze heures au maximum par jour.

Il n'est pas douteux que, depuis le rachat, l'administration des chemins de fer ait fait beaucoup pour le personnel, ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que les Compagnies n'en eussent pas fait au moins autant. Ce qui est certain, c'est que les sacrifices consentis en faveur du personnel n'ont guère répondu aux illusions que celui-ci s'était faites sur les conséquences du rachat, illusions que les partisans du rachat avaient soigneusement entretenues. Dès le lendemain de la loi de 1900 les réclamations des agents prenaient un tour si vif qu'en 1902 le Président de la Direction générale, M. Weissenbach, déclarait à une délégation d'agents ceci : « Je saisis « cette occasion pour vous déclarer ici, devant témoins, au « nom de la Direction générale, que le personnel n'a point

« de droits du tout; tenez-vous-le pour dit une fois pour tou<< tes. >>

Un règlement du 7 janvier 1902 dit « échelle des traitements », complétant la loi de 1900 et répartissant les agents entre les classes, causa au personnel pas mal de déceptions. Pour beaucoup ce fut un recul de leurs espérances (1). Le 29 mars suivant, le Comité de l'Union du personnel des entreprises suisses de transport faisait cette déclaration : « L'A«gence télégraphique suisse a lancé, dans les derniers jours « de février, à la presse, une communication, qui paraît offi«< cieuse, dans le but de faire supposer que le personnel des «chemins de fer serait mieux rétribué sous le régime de la « Confédération que sous celui des Compagnies privées. Le « Comité soussigné, en sa qualité d'autorité jouissant de la «< confiance de plus de 12.000 employés de chemins de fer, se << voit dans l'obligation de repousser cet exposé comme étant << absolument inexact. A l'époque de la votation sur la natio<<nalisation, il a en effet été donné l'assurance que les employés des chemins de fer verraient leur sort s'améliorer. « Nous devons, hélas ! constater que ces assurances n'étaient qu'un leurre. Si l'on prend en considération la perte des «< gratifications et des billets de faveur, nous pouvons cons«tater que la plus grande partie des employés voient leur « situation amoindrie. »>

[ocr errors]

((

En ce qui concerne les conditions du travail, les plaintes du personnel ne furent ni moins fréquentes ni moins vives. Les organes des associations d'agents sont remplis de leurs doléances.

En 1903, à l'Assemblée générale de la Fédération du personnel, le Président central, le D' Kury, déclarait qu'« on « avait promis dans le temps toutes sortes de choses qu'on << ne pouvait tenir maintenant »... « Les grandes idées de na«tionalisation de chemins de fer auxquelles le peuple suisse «s'intéressait avec enthousiasme sont disparues. Partout on << entend des plaintes. Les chemins de fer fédéraux sont de

(1) M. Weissenbach, dans l'étude que nous avons citée à la page 58 reconnaît que, même après les dispositions nouvelles, les traitements des agents des chemins de fer fédéraux demeurent inférieurs à ceux des autres fonctionnaires de l'Administration fédérale.

<< venus impopulaires. » (Journal Suisse des chemins de fer, du 21 novembre 1903.)

En 1904, ce journal qui est l'organe des Associations du personnel, résumant, dans son numéro du 24 décembre, les plaintes des agents, déclarait : « Ce que les cheminots récla«ment, et cela de toute l'énergie dont ils sont capables, c'est l'accomplissement des promesses faites avant le rachat. Ils << ont le droit d'exiger cela. »

((

་་

[ocr errors]

:

En 1905, le même journal (numéro du 25 août) répète que «la nationalisation a eu pour résultat de ne pas apporter à « la majorité des cheminots l'amélioration tant désirée, at«tendue; en outre, une partie importante du personnel a « même subi un amoindrissement ». En 1906 (numéro du 6 octobre), nous relevons la même constatation: « Tout chemi« not sait que le rachat n'a apporté aucune amélioration à <«< la situation pécuniaire du personnel... Quant aux autres << revendications des sociétés du personnel, notre Direction générale répond invariablement et systématiquement par « un non possumus. » En 1908 (numéro du 22 février), même plainte Le rachat n'a pas donné au personnel ce qu'il en « attendait et ce qui lui avait été promis par le Message du « Conseil fédéral. » Des allocations de renchérissement ont été, il est vrai, accordées au personnel, mais le journal des agents considère que ce n'est là que « la compensation obligatoire du << renchérissement sensible de la vie ». Il est bien certain que les Compagnies auraient été amenées à accorder des allocations semblables. Le journal énumère toutes les mesures prises, depuis le rachat jusqu'à cette date, qui constituent un amoindrissement de la situation des agents. En 1909, le secrétaire général de l'Association des employés de chemins de fer, M. Rimathé, déclare qu'« on n'a pas tenu les engage<<ments pris envers le personnel ». Le Signal, de Zurich, exprime cette opinion d'un représentant du personnel, dans son numéro du 11 décembre 1909: « Si nous étions encore << au service des Compagnies privées, nous aurions déjà conquis des positions meilleures que celles que nous deman« dons en ce moment à l'Etat. » Une nouvelle désillusion attendait le personnel lors de la discussion de la nouvelle loi sur les traitements en 1910. « Pendant toute cette cam

[ocr errors]

«pagne nous n'avons éprouvé que des déceptions. >> Tout récemment encore, dans son numéro du 6 juin dernier, le Journal suisse des Chemins de fer déclarait que : « depuis <«<le rachat les intérêts du personnel n'ont pas été pris en con«sidération dans la mesure voulue... Il est d'autant plus « nécessaire de revenir à de meilleures dispositions à l'en« droit du personnel qu'à l'heure actuelle il règne dans ses << milieux un esprit qui ne laisse pas d'inquiéter l'observateur. « C'est un flot d'indignation et d'amertume qui monte, lente«ment, mais irrésistible. >>

La meilleure preuve que le rachat n'a pas eu pour conséquence de rendre la situation du personnel des réseaux rachetés meilleure que celle qu'il avait au service des Compagnies, c'est que lors du rachat du réseau du Gothard le personnel de cette Compagnie n'eut pas d'autre préoccupation que d'obtenir le maintien de sa situation, de beaucoup supérieure à celle du personnel des chemins de fer fédéraux. Dans une réunion tenue à Altdorf, au mois de décembre 1906, le personnel de ce réseau, après avoir voté à l'unanimité une résolution exprimant la reconnaissance du personnel envers la Compagnie du Gothard, invitait les autorités fédérales à remplir la promesse faite lors du rachat d'après laquelle la situation du personnel ne devrait pas être diminuée. Une disposition spéciale de la loi du 23 juin 1910 dut garantir à ces agents les avantages dont ils jouissaient. Mais cette garantie pourrait bien n'être plus tard qu'illusoire. Le rapporteur du budget de cet arrondissement au Conseil national en 1909, après avoir constaté que la situation du personnel du Gothard était supérieure à celle de l'ancien réseau des chemins de fer fédéraux, ajoutait qu'il faudrait que cette inégalité disparaisse un jour. Déjà l'an dernier, un certain nombre des avantages garantis aux agents de ce réseau ont été retirés. «< Depuis que "nous sommes sous le régime des chemins de fer fédéraux, on cherche à nous extorquer l'une après l'autre les posi<«<tions acquises. »

Un autre sujet de réclamations du personnel concerne le contrat qui lie les agents au réseau. D'après le Message du rachat, l'un des avantages de la reprise des réseaux devait être de consolider le respect dû à ce contrat qui, d'après un

arrangement du 28 février 1896, avait une durée de six années, l'agent ne pouvant être congédié en dehors de ce terme que pour négligence grave dans le service (page 56). Déjà la situation faite aux agents par cet arrangement était moins avantageuse que celle dont bénéficient les agents des chemins de fer français dont le contrat n'a pas une durée limitée et qui peuvent obtenir des dommages-intérêts s'ils sont congédiés, à quelque époque que ce soit, sauf pour motif grave. Or, la Cour civile du Tribunal fédéral a rendu, à la fin de l'année dernière, un arrêt aux termes duquel le contrat d'attachement qui lie les agents à l'administration du chemin de fer est considéré comme n'ayant qu'une durée de trois ans, à l'expiration de laquelle l'administration peut congédier les agents sans invoquer aucun motif. Cet arrêt a causé une grande déception dans le personnel et soulevé de vives protestations.

Enfin, le personnel se plaint beaucoup du favoritisme. Récemment encore, le Journal suisse des Chemins de fer (numéro du 4 juillet dernier) s'exprimait en ces termes : « Il est «< un fait notoire qu'aux C. F. F., l'avancement des fonction<< naires qui ne peuvent se recommander d'un protecteur « influent, même s'ils sont pleins de zèle et intelligents, se « trouve parfois fortement entravé. Tout le monde sait que « le favoritisme s'est introduit au sein des administrations de <«<l'Etat plus que partout ailleurs, soulevant d'innombrables « et légitimes colères et causant un mal énorme. »>

Pour soutenir que les agents des chemins de fer ont obtenu une situation meilleure que s'ils étaient restés au service des anciennes Compagnies, il faudrait une foi quelque peu aveugle dans les vertus de l'étatisme; il faudrait surtout fermer systématiquement l'oreille aux plaintes des intéressés.

[ocr errors]

VI. C'est surtout au point de vue de ses intérêts politiques et nationaux que la réalisation du rachat devait causer au peuple suisse la plus grave désillusion.

Les promoteurs du rachat ne s'étaient pas fait faute d'insister sur l'argument nationaliste, en représentant les réseaux suisses comme subordonnés aux influences étrangères. « Que «<les propriétaires de nos principales voies de communica

« AnteriorContinuar »