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haute main, soit sur la flotte armée, soit sur les services de construction, on se rendra compte que toutes les questions militaires ou techniques traitées au ministère de la Marine aboutissent à l'un quelconque des membres du conseil d'amirauté. Celui-ci se trouve réunir tous les fils qui font mouvoir la formidable machine de la rue Royale. Par cette réforme, se trouve consacré ce principe, dont l'élaboration a été lente, et selon lequel tous les services d'action doivent être placés sous l'autorité des officiers de marine. Nous verrons ce que ce principe donnera à l'application et il ne me paraît heureux que si l'on fait aux ingénieurs, dont les susceptibilités sont légitimes, la part à laquelle leur donnent droit leur compétence, leur valeur professionnelle et surtout le labeur qu'ils fournissent, ce qu'on est tout disposé à reconnaître. Sous ces réserves il est juste de donner l'autorité suprême à ceux qui auront la charge glorieuse de conduire nos escadres au combat.

L'article 150 de la loi de finances du 13 juillet 1911 a institué, auprès de chaque ministère, un service de contrôle de l'exécution du budget. A différentes reprises, par l'organe de la commission des comptes définitifs de la Chambre des députés, le Parlement a manifesté son intention de voir ce contrôle agir dans des conditions efficaces. Pour satisfaire à ces désirs, le ministre de la Marine a remanié les règles de fonctionnement du contrôle de la marine, en accentuant la séparation entre le contrôle préventif des engagements de dépenses et le contrôle d'exécution du budget, cette dernière fonction est spécialement réservé aux contrôleurs en service à Paris, et notamment à trois groupes de contrôleurs (flotte armée, services de travaux, marine marchande), qui doivent annuellement remettre au ministre un rapport d'ensemble par chapitres du budget. Ce rapport devra être le résumé de leurs constatations faites localement, et qui donneront lieu à des rapports particuliers et périodiques. Le nouveau règlement ne supprime pas l'action du contrôle résident qui s'exerce toujours soit préventivement, soit par voie de redressement. Cependant afin d'alléger les contrôleurs de leur besogne courante de vérification de pièces, le ministre a cru devoir restreindre leur visa aux opérations les plus importantes. On estime que de cette façon l'activité des contrôleurs pourra se déployer plus fréquemment à l'extérieur, dans les ateliers, les chantiers et les magasins où leur présence a pour but de saisir les faits au moment où ils s'accomplissent et d'aboutir à des sanctions, si cette éventualité est jugée nécessaire. L'administration de la marine a donné lieu à de nombreuses critiques. La faible expérience que je puis avoir de ce qui se passe

dans les départements voisins m'a convaincu que les choses ne s'y passent pas mieux.

Je pense même que, tout compte fait, la somme de bonne volonté et d'efforts dépensés dans la marine est plutôt plus grande qu'ailleurs. Mais depuis quelques années, l'attention des parlementaires et du pays tout entier s'est portée sur la flotte comme étant un champ de découvertes curieux et intéressant. La marine a été sur la « sellette » continuellement. Or, il n'existe pas d'organisme plus complexe et plus délicat à administrer, non seulement à cause de la dispersion ou de l'éloignement des centres d'activité et de la variété des fonctions, mais encore, et surtout, parce que la marine est en perpétuelle période de gestation. Elle s'efforce chaque jour, hâtivement, de résoudre les plus graves problèmes de la science industrielle. Elle forme des projets qu'elle réalise souvent avant maturité complète afin de ne point se laisser dépasser par les autres. Distancer pour avancer. voilà sa devise! Chez elle, le progrès du lendemain annule celui de la veille; et voilà pourquoi les erreurs sont fréquentes, inéluctables. Il faut s'habituer à vivre chez nous avec un poids lourd de profits et pertes qui, souvent, déjouent les calculs. Cette démonstration établit la nécessité d'organiser dans la marine, un contrôle puissamment armé et toujours en éveil, mais aussi un contrôle libéral, qui sache discerner la part de la fatalité, de celle de la responsabilité personnelle de l'administrateur un contrôle, en un mot, qui soit réellement l'organe de renseignement et le conseil du ministre, non seulement par la justesse de sa clairvoyance, mais encore par la sagacité et l'impartialité de son jugement.

LA

VIE POLITIQUE & PARLEMENTAIRE A L'ÉTRANGER

RUSSIE

Par PIERRE CHASLES

Le mécanisme constitutionnel de la Russie.

par les ministres.

Boycottage de la Douma Restriction de la compétence parlementaire en matière de défense nationale et de législation religieuse. L'affaire Iouchtchinski et le réveil de l'opinion. Les libertés « nécessaires >>.

La situation politique de la Russie est actuellement des plus singulières. Le mécanisme constitutionnel, créé en 1905, fonctionne pour ainsi dire « à vide », et tout le monde, à droite comme à gauche, est obligé de reconnaître l'insignifiance du rendement. L'œuvre des réformes est en quelque sorte immobilisée. Le mal est flagrant il importe d'en diagnostiquer les causes.

Au fond, ce qui frappe l'observateur politique, c'est que les rouages fondamentaux de l'appareil gouvernemental, la Cour, le Conseil des ministres, le Conseil d'Empire et la Douma, loin de combiner leur action et de faire converger leurs efforts, travaillent chacun dans leur sphère respective, s'ignorant les uns les autres et, parfois même, se heurtant. Bien plus, la marche de chaque rouage est elle-même entravée, car les pièces qui le composent ne jouent pas entre elles. Aucune cohésion et, par suite, aucune cohérence.

Les influences qui peuvent s'exercer dans l'entourage de l'Empereur, sont souvent contradictoires et versatiles. L'homogénéité ministérielle, rêvée jadis par le comte Witte, est absolument illusoire. Le président du Conseil n'est guère qu'un ministre des Finances, et ce n'est pas lui qui pourra réunir en un faisceau l'activité discordante de ses collègues. La quatrième Douma n'a, d'autre part, aucune majorité véritable. Les octobristes, qui siègent au centre et seraient par là même un élément nécessaire de toute ma

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jorité, sont tiraillés dans des directions contraires, les uns vers la gauche, les autres vers la droite. Tout le monde a les yeux fixés sur leur Congrès national leur Parteitag comme diraient les Allemands qui délibère actuellement à Saint-Pétersbourg et s'efforcera, nous voulons du moins l'espérer, de tracer nettement la ligne de conduite du parti, en précisant son programme et en définissant sa tactique.

Le Conseil d'Empire, dont la moitié des membres est nommée par l'Empereur, sans contre-seing ministériel, stérilise, non seule ment l'œuvre législative de la Douma, mais encore celle du gouvernement. Le ministère pourrait, sans doute, vaincre cette force d'obstruction, s'il était uni, toujours d'accord avec le Tsar (1), et soutenu, tout au moins sur certaines questions fondamentales, par l'opinion publique ou la Douma. Même dans les pays à constitution dualiste, les plus éloignés du régime parlementaire, il est indispensable qu'une certaine harmonie s'établisse entre le ministère et le Parlement. C'est précisément cette harmonie qui fait de plus en plus défaut en Russie.

Le droit public russe, déjà si profondément original, vient de s'enrichir encore d'un nouveau précédent à coup sûr peu banal. Les ministres, faisant en quelque sorte grève, se sont mis à « boycotter » la Douma. Et ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'ils ont ainsi protesté contre l'intempérance de langage dont s'est rendu coupable, en pleine séance de la Douma, un député de droite, élu naguère avec l'appui du gouvernement! Au mois de juin dernier, le député Markov II (2), accusant M. Kokovtsov de trahir les intérêts de la Russie au profit de la « finance internationale », en vint à s'écrier impudemment : « Il ne faut pas voler. » Cette injure atteignait le gouvernement tout entier. Le président de la Douma, M. Rodzianko, rappela énergiquement l'orateur à l'ordre, mais la majorité refusa de prendre, contre M. Markov, la sanction plus sévère de l'exclusion. Les ministres, pour une fois solidaires les uns des autres, se jugèrent offensés. Ils décidèrent qu'aucun d'entre eux ne paraîtrait plus à la Douma, tant que le président de l'Assemblée n'aurait pas fait des excuses, en séance publique. M. Rodzianko était disposé à faire une déclaration, qui, tout en sauvegardant la dignité de la Douma, aurait aplani le différend, mais, les octobristes s'y étant opposés, les choses restèrent

(1) En mars 1909, l'Empereur a refusé de sanctionner un projet de loi, voté par les Chambres et appuyé par le gouvernement!

(2) Quand pluseurs députés portent le même nom, il est d'usage en Russie de les distinguer par une numérotation,

en l'état. Jusqu'à ces derniers temps, les ministres ont boycotté. non seulement l'assemblée générale, mais encore les commissions de la Douma. Sans doute, ils ont délégué à leur place des « adjoints », correspondant par certains côtés à nos sous-secrétaires d'Etat, ou bien de hauts fonctionnaires de l'administration (1), mais il est évident qu'à la longue, cette abstention menaçait de paralyser tout le travail parlementaire. La Douma s'est réunie de nouveau le 28 octobre 1913 (nouveau style), sans qu'aucun ministre ait assisté à la séance d'inauguration. Nous comprenons, certes. que le gouvernement se soit senti froissé dans son amour-propre, mais il y a quelque chose de plus haut qu'un froissement d'amourpropre, même ministériel, c'est l'intérêt supérieur de la Russie... Les ministres l'avaient, semble-t-il, un peu vite oublié.

Heureusement que, le 14 novembre dernier, M. Markov s'est enfin décidé à faire des excuses. Si la grève ministérielle a trop duré, elle se trouve du moins aujourd'hui définitivement terminée.

On peut d'ailleurs se demander si certains ministres ne voyaient pas avec plaisir cette séparation du ministère et de la Douma, cet abaissement du prestige parlementaire et, faut-il ajouter, cette affirmation de l'indépendance ministérielle. Le gouvernement russe, qui est déjà si formidablement armé vis-à-vis des Chambres, cherche encore à brider par tous les moyens la liberté de la tribune parlementaire (2) et à s'arroger, par une interprétation arbitraire des Lois fondamentales, le pouvoir législatif le plus étendu. Cette tendance est surtout caractérisée, en ce qui touche les législations militaire et ecclésiastique.

En matière de défense nationale, le règlement du 6 septembre 1909, interprétant l'article 96 des Lois fondamentales, a réduit le pouvoir des Chambres au simple vote des crédits. Fort de ce texte interprétatif, dont la portée juridique est d'ailleurs très douteuse (3), le ministre de la Guerre, général Soukhomlinov, a prétendu réviser, sans le concours du Parlement, le statut organique

(1) Cette délégation semble illégale, en ce qui touche les interpellations.

(2) Non seulement les députés peuvent être poursuivis pour des discoursprononcés à la tribune du Parlement, mais, comme nous l'expliquons plus loin, la presse elle-même n'a pas le droit de reproduire in extenso, certains discours parlementaires.

(3) En effet, d'après l'acte du 19 juin 1905, les lois ne peuvent être interprétées d'une façon authentique que par la loi. Tout récemment encore, dans la séance du 14 novembre 1913, la Douma d'Empire a protesté par un refus de crédits, contre l'interprétation abusive de l'article 96 des Lois fondamentales.

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