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Mais ce sont là des remèdes à longue échéance, et, en attendant qu'ils aient pu agir, le malade a le temps de mourir dix fois. C'est pourquoi il importe d'en trouver d'autres, d'un effet immédiat. Déjà, en Afrique occidentale et en Afrique équatoriale, l'administration a décidé la réduction de moitié des droits de sortie sur les caoutchoucs. Toutefois, cela ne suffit pas encore et il faudrait supprimer totalement ces droits. Il faudrait également, du moins en Afrique occidentale, puisque aussi bien la question ne se pose pas, et pour cause, en Afrique équatoriale, abaisser considérablement les tarifs de transport de ce produit. Il n'est pas douteux, d'autre part, que si l'impôt de capitation auquel sont soumis les indigènes était généralisé et si la perception en était mieux organisée, ceux-ci se verraient, pour l'acquitter, obligés de se livrer à une production plus intensive et que, surtout en Afrique équatoriale, où cet impôt n'existe encore qu'à l'état rudimentaire, on arriverait ainsi, par l'augmentation des quantités exportées à compenser dans une certaine mesure la diminution du prix de vente en Europe, les frais généraux des sociétés qui se livrent à ce commerce restant, dans cette hypothèse, sensiblement les mêmes, et l'on sait combien lourdement ces frais généraux grèvent le prix de revient du produit dont il s'agit.

Enfin, on a agité dans la presse coloniale la question de savoir s'il ne conviendrait pas, pour favoriser les caoutchoucs provenant de nos colonies, de frapper d'un droit à l'entrée en France les caoutchoucs étrangers. Et certes, ce serait là une dérogation grave au principe en vertu duquel il est admis que les matières premières nécessaires à notre industrie doivent être admises en franchise, sans distinction d'origine. Mais on peut faire observer qu'après tout ce principe n'a pas la valeur d'un dogme absolu dont la rigueur ne saurait fléchir en aucun cas. C'est si vrai que le tarif des douanes actuellement en vigueur admet un certain nombre d'exceptions à la règle. On ne voit pas bien pourquoi il n'en serait pas fait une de plus, en vue d'assurer à nos caoutchoucs coloniaux une situation privilégiée sur le marché métropolitain. Les industries françaises qui utilisent le caoutchouc comme matière première réalisent, du fait de l'abaissement des cours de ce produit, un bénéfice aussi considérable qu'inespéré. Il n'y aurait rien d'exorbitant à ce qu'une part de ce bénéfice fût employée à venir en aide, sous une forme indirecte, à nos possessions africaines, alors que pour celle-ci, il s'agit d'une question de vie ou de mort. Rien n'empêcherait d'ailleurs, une fois la crise passée, de revenir au principe.

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Le port de Papeete. L'article qu'on a lu plus haut sous la signature autorisée de M. J. Volmat nous dispense d'insister à cette place sur la nécessité qui s'impose aux pouvoirs publics métropolitains de mettre sans retard, par la création d'un port d'escale avec dépôt de charbon à Papeete, nos Etablissement de l'Océanie à même de profiter de la situation privilégiée que ceux-ci occupent sur la grande route maritime nouvelle dont l'ouverture va être la conséquence de la mise en exploitation prochaine du canal de Panama. Nous ne saurions rien ajouter non plus à l'exposé si complet qu'a fait notre collaborateur des conditions dans lesquelles se pose la question, du point de vue économique et commercial, ainsi que des chances d'avenir réservées au port projeté. Mais peut-être n'est-il pas inutile, à raison du caractère exceptionnel de la convention qui fait l'objet du projet de loi déposé par le Gouvernement en vue de la création de ce port et du dépôt de charbon y annexé, d'entrer dans quelques détails destinés à mettre en lumière les caractéristiques essentielles de la conception qui a servi de base à cette convention.

Aux termes de celle-ci, il est fait par l'Etat à la Société d'Etudes pour l'établissement de ports dans les colonies françaises, à charge par celle-ci de se substituer une Compagnie française au capital minimum de 3 millions de francs, dont 1.500.000 francs au moins libérés avant toute émission d'obligations, concession, pour une durée de cinquante ans, du port de Papeëte, avec obligation, pour le concessionnaire, d'y établir et exploiter un dépôt de charbon. L'Administration s'est réservé la faculté d'exécuter directement certains travaux, et, notamment, les phares, l'approfondissement de la passe d'entrée, le poste de télégraphie sans fil, les quais, etc., en en imputant la dépense soit sur les ressources fournies par l'Etat ou la colonie, la contribution de celle-ci étant fixée forfaitairement à 900.000 fr., soit sur les sommes que le concessionnaire est tenu de remettre à l'administration sur sa demande et qu'il est autorisé à se procurer au moyen d'obligations garanties par l'Etat. Les autres travaux et fournitures, spécialement pour tout ce qui concerne la création et l'aménagement du dépôt de charbon, seront effectués directement par le concessionnaire et imputés également sur le capital-obligations garanti.

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Comme on le voit, trois éléments : l'Etat, la Colonie et une So

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ciété privée, sont appelés à concourir à l'entreprise. Tenant compte de cette situation complexe, la convention s'est attachée à régler avec un soin minutieux les droits et les obligations de chacune des parties intéressées. A cet effet elle prévoit l'établissement de trois comptes distincts. L'un d'eux comprendra les travaux de premier établissement qui, ainsi qu'il a été dit plus haut, seront imputés sur des obligations émises par le concessionnaire avec garantie de l'Etat. Les recettes et dépenses relatives à l'exploitation du port, de même que les intérêts et l'amortissement des dépenses afférentes aux travaux complémentaires et que l'extension du trafic pourra rendre nécessaires feront l'objet d'un autre compte, dont les déficits seront supportés pour un dixième par la Compagnie concessionnaire et pour neuf dixièmes par l'Etat, et dont les bénéfices appartiendront, pour un dixième à la Compagnie et quatre dixièmes à l'Etat, les cinq autres dixièmes devant être versés à un fonds de réserve destiné à pourvoir aux grosses réparations et au renouvellement de divers ouvrages et engins. spécifiés au contrat. La colonie participera, d'ailleurs, par moitié, aux charges incombant ainsi qu'aux bénéfices revenant à l'Etat du fait de l'application de cette clause, sans toutefois que sa part dans les déficits de l'exploitation puisse dépasser annuellement une somme de 50.000 francs. Enfin, à un troisième compte seront portées les recettes et dépenses propres à l'exploitation du dépôt de charbon. Ce compte, qui ne comportera aucune garantie de l'Etat devra comprendre, en faveur de celui-ci, une redevance progressive sur la quantité de charbon vendue.

L'Etat devient ainsi, pour cette partie de l'entreprise, comme il l'est déjà pour l'exploitation du port, l'associé de la Compagnie concessionnaire; mais, ici, il l'est seulement dans les bénéfices et non dans les risques. A ces bénéfices il participe, d'ailleurs, encore sous une autre forme; il est stipulé, en effet, que si le compte spécial du dépôt de charbon permet la distribution aux actionnaires de la Compagnie d'un dividende supérieur à 5 0/0, la moitié de l'excédent reviendra à l'Etat, qui, si les espérances fondées sur l'avenir du port de Papeete se réalisent comme il y a tout lieu de le croire, se trouvera, du fait des redevances perçues par lui et de sa participation aux bénéfices, couvert et au delà des charges qu'il assume.

Dans le cas où, au contraire, l'entreprise ne donnerait pas les résultats attendus, une clause de la convention limite le chiffre du sacrifice incombant éventuellement à l'Etat, au titre des déficits de l'exploitation du port. Lorsque la totalité des sommes versées par

lui de ce chef aura atteint deux millions de francs, il pourra reprendre la concession.

Telle est l'économie générale de la convention. On ne saurait nier qu'elle concilie heureusement tous les intérêts en jeu, en faisant à chacun d'eux sa juste part, et en réduisant au minimum les risques et les responsabilités qu'encourt l'Etat et qui ne sont que la contre-partie légitime et nécessaire du service d'intérêt public dont la Compagnie concessionnaire assume la charge.

Il est possible cependant que la combinaison qui a été adoptée déconcerte au premier abord, par sa nouveauté même, certains esprits plus familiarisés avec les choses métropolitaines qu'avec les choses coloniales. Il est certain que, s'il s'agissait de la Métropole, la concession d'un port à une Société privée aurait de quoi surprendre. Mais, ainsi que l'a justement fait observer, dans une étude qu'a publiée la Revue Bleue, M. A. Lebrun, à qui son titre de ministre des Colonies d'hier et sa qualité d'ingénieur confèrent en cette matière une double autorité, la dérogation apportée ici aux règles,ou plutôt aux usages suivis en France, s'explique et se justifie par « une situation spéciale ». Il ne faut pas oublier, en effet, qu'il s'agit d'une colonie située à six mille lieues de la métropole, colonie minuscule où les services administratifs, y compris et surtout celui des Travaux publics et celui de la Douane, sont réduits à leur plus simple expression et n'ont qu'une organisation rudimentaire qui leur permettrait difficilement d'assurer l'exploitation d'un port. Il ne faut pas oublier non plus que, quelle que doive être l'influence exercée sur le développement du trafic du port de Papeete par le mouvement qu'y créera la nouvelle route maritime sur laquelle il est appelé à jouer le rôle d'escale, ce trafic, en raison même du peu d'étendue de l'île de Tahiti, de la faible importance relative de sa production, du chiffre infime de sa population, restera toujours extrêmement restreint en tant qu'alimenté par des marchandises proprement dites, provenant ou à destination de la colonie ellemême. La très grande majorité des navires qui feront relâche à Papeete n'auront aucun fret à y déposer ou à y prendre, et n'y seront attirés que par la nécessité de se ravitailler en charbon. C'est dire que la création d'un dépôt de charbon était l'objectif principal à atteindre et que, dans le fonctionnement même du port, le service de ce dépôt aura une part de beaucoup prépondérante. La conséquence va de soi, étant donné que l'Etat ne saurait assumer la charge et la responsabilité d'une entreprise purement commerciale comme l'est l'exploitation d'un dépôt de charbon: l'accessoire devait suivre le principal et la concession du port être jointe

REVUE POLIT., T. LXXVIII.

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å celle du dépôt de charbon. Toute autre solution se fût heurtée dans la pratique à des difficultés et eût donné lieu à des complications qui en auraient rendu l'application extrêmement onéreuse et malaisée.

Aussi sommes-nous convaincu que le Parlement se ralliera sans hésiter à la formule que le Gouvernement lui propose après s'être entouré des avis de ses Conseils techniques. Nous sommes convaincu également qu'il comprendra la nécessité d'une solution rapide. Il n'y a pas une minute à perdre si nous voulons être prêts, en temps utile, à profiter des avantages qui doivent résulter, pour la Métropole et pour nos établissements de l'Océanie, de l'ouverture prochaine du Canal de Panama, et tout retard apporté à l'approbation de la convention soumise aux Chambres serait gravement préjudiciable à l'influence et aux intérêts français dans le Pacifique,

Le régime bancaire des vieilles colonies. Tout vient à point à qui sait attendre. On a distribué, il y a quelques semaines seulement, le projet de loi sur le régime bancaire des vieilles colonies déposé par le gouvernement avant la séparation des Chambres. Voici donc posée officiellement devant le Parlement cette question qui jusqu'ici ne l'était que devant l'opinion, et l'on peut espérer que les banques de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane qui, depuis le 30 décembre 1911, ont vécu sous le régime du provisoire en vertu de deux lois successives portant prorogation annuelle de leur privilège, vont enfin recevoir prochainement un statut définitif. Le mérite en reviendra pour une large part à M. Jean Morel qui, en déposant le projet de loi destiné à leur donner ce statut, n'a pas hésité à prendre, les responsabilités devant lesquelles avaient reculé ses prédécesseurs.

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La solution que ce projet de loi apporte au problème des vieilles banques coloniales rompt résolument et c'est ce dont on ne saurait également trop louer le ministre actuel des Colonies — avec le régime institué par les lois du 30 avril 1849 et 11 juillet 1851 qui leur ont donné naissance. Il ne se borne pas en effet, à moderniser, par quelques réformes de détail destinées à les adapter aux besoins actuels du crédit, des organismes vieillis qui ne répondent manifestement plus à ces besoins. Il consacre une innovation qui touche aux bases mêmes de leur constitution. Cette innovation consiste à remplacer les quatre banques autonomes par un établissement

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