LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DU MOIS La liquidation orientale et l'Empire de la Méditerranée. Les problèmes d'Asie-Mineure. Les coulisses du drame balkanique. Paris, 1er décembre 1913. La liquidation orientale et l'Empire de la Méditerranée. Les négociations turco-grecques qui, depuis plusieurs semaines, se traînaient d'une manière très fâcheuse, ont enfin abouti. Le traité de paix a été signé le 13 novembre, à Athènes, par les plénipotentiaires turcs et grecs. Les deux gouvernements se sont fait des concessions réciproques; les Grecs surtout ont manifesté un esprit des plus conciliants. Jusqu'au dernier moment on a pu craindre quelque nouvel accès de l'intransigeance ottomane qui aurait fait échouer les pourparlers et tout remis en question. Fort heureusement, une intervention énergique s'est produite qui a eu pour résultat de faire réfléchir les Turcs et de les rendre beaucoup plus accommodants : c'est celle de la Roumanie. M. Take Jonesco, ministre de l'Intérieur, un des membres les plus influents du cabinet roumain, a fait tout exprès le voyage d'Athènes, en s'arrêtant à Constantinople. Il a dit en passant les paroles qu'il fallait dire et qui n'ont pas manqué d'impressionner les hommes d'Etat ottomans. La Roumanie déclarait, par son entremise, l'intention très ferme où elle était de faire respecter, coûte que coûte, le traité de Bucarest. Or, son armée est intacte alors que les forces militaires de tous les autres pays balkaniques sont épuisées. Il n'est nullement certain que le cabinet actuel jeuneturc fût désireux de provoquer une rupture avec la Grèce. Mais il est sûr qu'il y était poussé par quelques Bulgares, par le général Savof notamment qui prolongeait outre-mesure son séjour à Constantinople. Un certain nombre de Turcs auraient pu finalement céder à ces suggestions, écouter ces conseils de revanche, essayer de recommencer pour Kavala ou Salonique ce qui leur avait si bien réussi pour Andrinople. Dès l'instant que la Roumanie se mettait résolument en travers de ces intrigues, l'opération ne comportait plus que des risques, sans aucun avantage. Les Turcs l'ont parfaitement compris et ils se sont décidés à conclure. Voilà donc la diplomatie roumaine qui vient de s'affirmer une fois de plus comme l'arbitre de la situation balkanique. Elle a su, au moment opportun, manifester nettement sa résolution et faire en sorte que cette résolution fût obéie. La Roumanie sort de là matériellement et moralement grandie. Elle a travaillé au maintien de la paix Balkanique. C'est une chose dont tout le monde, à commencer par les Balkaniques eux-mêmes, devait lui être profondément reconnaissant. Les différentes commissions internationales qui opèrent actuellement en Albanie, ont poursuivi leur tâche avec une sage lenteur. La mort du délégué autrichien est venue apporter une nouvelle cause de retard. Sur la proposition du délégué britannique, les cabinets des grandes puissances ont examiné un mode de délimitation qui présentait l'avantage de mieux tenir compte des réalités ethnographiques et géographiques. Cela ne modifiera pas beaucoup d'ailleurs le tracé de la frontière qui n'est pas encore officiellement fixée. Les points les plus importants Argyro-Castro et Koritza, dans tous les cas, resteront acquis à l'Albanie. Il n'y a aucun doute à cet égard. C'est la chose essentielle et c'est aussi la plus grave. Car les habitants de Koritza ont déclaré, de la façon la plus formelle qu'ils entendaient ne pas être soumis à la domination des Albanais. Ils sont prêts à résister par la force aux occupants, lorque ceux-ci se présenteront. Ils ont constitué une légion sacrée bien pourvue d'armes et de munitions. Des officiers hellènes qui donneront leur démission de l'armée viendront se mettre à sa tête. Il y a là un risque très sérieux de complications. Ce n'est d'ailleurs pas le seul en ce qui concerne le problème albanais. Il semble que la candidature du prince de Wied doive être, sans trop de difficultés, adoptée par les puissances. Le prince William-Frédéric-Henri de Wied est âgé de 37 ans. Il est le neveu de la Reine de Roumanie et c'est le gouvernement roumain qui a pris l'initiative de sa candidature. Il a fait son service dans l'armée allemande, et il est actuellement capitaine au génie, régiment de uhlans de la garde. Il a épousé la princesse Sophie de Schonbourg Waldenbourg. C'est un officier prussien qui va devenir en somme le chef de la nouvelle principauté. Mais il ne suffira pas de l'expédier en Albanie, même en lui constituant une garde du corps et un apanage suffisant pour le ver tous les obstacles qui se présenteront à lui. Dans quelle mesur les chefs locaux, surtout les plus influents d'entre eux, reconnaîtront-ils son autorité? Comment cet étranger parviendra-t-il à se faire obéir par des gens n'ont jusqu'ici obéi à personne ? La question des îles de la mer Egée, une des plus graves qui restent à résoudre, ne s'est pas encore posée. Le désir des grandes puissances semble être de ne l'aborder que le jour où on aura terminé la délimitation de l'Albanie. Il n'est pas certain que les Turcs aient la patience d'attendre jusque-là. Ils sont très décidés à revendiquer énergiquement les grandes îles voisine de l'Asie Mineure, surtout Lesbos et Chio. C'est la conférence de Londres qui doit normalement se prononcer sur l'attribution de ces îles. Mais on n'entend plus parler de la réunion de cette conférence et sir Edward Grey ne paraît pas très pressé de la convoquer. A défaut des ambassadeurs, les différents cabinets auront à se concerter sur ce point. Les Grecs accepteront-ils d'évacuer les îles qu'ils occupent militairement? Il y a aussi, ne l'oublions pas, les îles du Dodécanèse détenues par les Italiens. On ne peut évidemment pas régler le sort des unes sans régler celui des autres. Le cabinet de Rome a déclaré à différentes reprises qu'il remettrait les îles occupées par lui à la Turquie le jour où les stipulations du traité de Lausanne seraient entièrement exécutées. Il a pris à cet égard les engagements les plus formels. Rien n'autorise à supposer qu'il ne les tiendra pas. C'est là une question des plus importantes qui intéresse au plus haut point les puissances ayant une situation à défendre dans la Méditerranée, par-dessus toutes, l'Angleterre et la France. Sir Edward Grey s'est exprimé la-dessus l'été dernier de la façon la plus nette. Jamais notre ministre des Affaires étrangères n'a tenu à cet égard -un langage aussi catégorique. Et cependant c'est contre nous que les Italiens tournent leur mauvaise humeur toutes les fois qu'ils en trouvent l'occasion. Il y a même en ces derniers temps un renouveau de gallophobie dans leurs principaux journaux. Nous étions accusés de soutenir à tout propos et même hors de propos les intérêts des pires ennemis de l'Italie. On dénonçait avec vivacité notre attitude hostile en ce qui concerne l'Albanie. Les journaux semblaient prendre à cœur d'exciter l'opinion publique contre nous. Leurs attaques ont pris un tel caractère qu'il était impossible de les passer sous silence, et de ne pas se demander ce qu'il pouvait bien y avoir au fond de tout cela. Etait-ce un mot d'ordre du gouvernement? S'agissait-il de préparer le public en vue de quelques gros événements ? |