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de vue par la commission, il a été décidé qu'une loi sera nécessaire, pour accorder une concession, toutes les fois que les travaux d'appropriation comporteront un détournement des eaux de leur lit naturel, sur une longueur de plus de 10 kilomètres (au lieu de 20), ou que la puissance brute, à l'étiage, dépassera 5.000 kilomètres.

Le projet de loi qui doit régler le statut des usines hydrauliques établies sur le domaine public a fait l'objet, nos lecteurs ont pu s'en rendre compte, de minutieuses études. Nous avons tenu à noter scrupuleusement les modifications sucessives qu'il a subies, au cours d'une laborieuse gestation. Cet exposé n'était pas inutile. Il nous permettra de mieux apprécier les avantages et les inconvénients du texte adopté par le Sénat.

Il importe tout d'abord de dégager la pensée directrice qui doit, à notre avis, guider le législateur en l'occurrence. Les cours d'eau navigables et flottables, formidables réservoirs d'énergie, n'ont pas encore été mis en valeur. Ils n'actionnent guère que trois grandes usines distribuant la force et 1.200 à 2.000 moulins de moindre importance. Il convient, dans l'intérêt du pays tout entier, de tirer parti de cette richesse latente. Sur ce point tout le monde est d'accord. Mais, on peut concevoir diverses méthodes pour atteindre le but désiré. On peut s'efforcer, par des mesures appropriées, de faciliter la multiplication, sur les berges de nos fleuves, de ces petits établissements privés auxquels divers orateurs du Sénat ont paru témoigner d'une infinie sollicitude. Ou bien encore, même au prix d'un retard dans l'aménagement industriel des cours d'eau du domaine public, on peut préférer réserver à la collectivité tout le bénéfice de cette utilisation qu'un avenir prochain rendra encore plus féconde.

Ce dernier point de vue est le nôtre pour plusieurs raisons. La tendance de l'industrie hydro-électrique est, aujourd'hui, dans la construction de puissantes centrales, productrices en gros d'électricité, alimentant à bas prix, en force et lumière, toute la région environnante. Or, par l'abondance de leurs chevaux permanents, les cours d'eau du domaine public se prêtent admirablement à l'aménagement de ces génératrices géantes dont l'Etat doit faciliter l'établissement sur son domaine.

En soi, les distributions de force et de lumière, au même titre que les distributions d'eau, constituent, au premier chef, un service public que l'Etat, représentant la collectivité des citoyens, doit contrôler, sinon diriger. Au surplus, l'énergie électrique trouve tous les jours de nouveaux emplois. De tous côtés, des expériences sont faites au sujet de la traction électrique des chemins de fer. N'est-il pas prudent d'envisager, d'ores et déjà, cette perspective et de ne pas gaspiller, à d'autres usages, la force qui nous fera besoin demain. Nous ne voulons pas dire que l'Etat doive aménager lui-même les cours d'eau du domaine public, bien qu'à la vérité, par le peu de maind'œuvre qu'elle nécessite, cette branche de la production soit d'une gestion plus commode que telle autre entreprise exigeant de ses dirigeants un esprit d'initiative et de décision, un sens des affaires, une liberté d'allures que n'a pas toujours l'Administration. Mais, nous pensons que la force des cours d'eau du domaine public, richesse nationale dans toute l'acception du mot, doit être réservée exclusivement à la production de l'énergie en vue de l'alimentation en force et lumière des populations et des services publics. Sans doute, là où, pour des raisons économiques ou techniques, cet aménagement devrait être retardé, il serait absurde d'interdire aux industries privées, l'accès des cours d'eau navigables. Mais alors, il importe que la situation de ces établissements particuliers soit telle, qu'en aucun cas, ils puissent devenir une gêne pour l'aménagement en grand du domaine public.

Le projet du gouvernement répondait parfaitement à cette conception. Toutes les usines privées, quelle que fût leur puissance, restaient soumises au régime de l'autorisation précaire et révocable, limitée à trente ans. Toutes les usines faisant le commerce de l'énergie devaient être concédées. De la sorte, le moulin, le tissage, ne pouvaient pas devenir un obstacle à l'édification d'une centrale de distribution de force. Mais il a paru à la Chambre que cette distinction impliquait une aliénation du domaine public au profit d'intérêts particuliers. Et alors, qu'a-t-on fait ? A ces industriels que l'on pouvait contraindre à déguerpir du jour au lendemain, on a imaginé d'imposer un contrat, aux termes duquel, pendant 75 ans, plus peut-être, ils seront établis sur le domaine public, comme chez

eux, sans crainte d'éviction, à moins d'une forte indemnité ! Quelle source de conflits, de complications pour l'avenir.

Si, au moins, l'ndustriel gagnait quelque chose à troquer sa permission précaire contre un contrat de concession en règle? Mais on peut en douter. A quel prix va-t-il acheter 75 ans de tranquillité ? Il lui faudra accepter un cahier des charges qui lui imposera toutes sortes de réserves en faveur des services publics. Car enfin, si on lui donne le pouvoir exorbitant de porter atteinte aux droits de propriété de ses voisins par l'expropriation, ce ne peut être que pour une cause d'utilité publique et non pas uniquement dans le but d'aménager une chute destinée à alimenter son usine. Il sera indispensable de masquer, derrière quelques réserves publiques, le caractère privé de l'entreprise. Mais il y a plus, l'usine génératrice, le barrage, toutes les installations destinées à produire la force sont incorporées au domaine public et feront retour à l'Etat en fin de concession. Que deviendra alors le tissage, privé de l'énergie qui l'alimente? Que fera l'industriel, de ce capital désormais improductif ?

Donc, le régime de la concession imposé aux usines privées d'une puissance supérieure à 200 kilowatts risque de faire obstacle à la mise en valeur rationnelle des cours d'eau du domaine public. C'est une atteinte aux droits de l'Etat, sans profit du reste pour l'industrie privée.

Il vaudrait mieux revenir à la classification en usines privées et usines publiques du projet primitif, que l'on pourrait même encore corriger, dans un, sens plus libéral. On a vivement critiqué, au Sénat, la limitation à cinquante ans de la durée des permissions précaires. Cette latitude laissée, à écoques fixes, à l'Administration, d'obliger un industriel à déguerpir sans indemnité, sans même avoir à lui donner un motif de cette soudaine disgrâce, peut paraître excessive. Les bonnes paroles d'un ministre qui passe, ne constituent pas une gagarantie suffisante, contre l'arbitraire administratif. Pourquoi ne laisserait-on pas les choses en l'état, quitte à préciser que lorsqu'un de ces établissements tolérés se trouvera compris dans le périmètre d'une usine publique projetée, la permission sera révoquée ad nutum ? L'intérêt public doit ici primer toute autre considération.

Il nous reste à répondre à une dernière objection, soulevée par M. Baudin, au sujet de la classification du projet gouvernemental. L'honorable rapporteur semble craindre que, subrepticement, par suite de la faculté qui lui serait laissée de vendre ses excédents d'énergie, une usine privée ne se transforme en usine publique, au détriment du consommateur qui ne serait pas protégé, contre l'élévation des tarifs, par un cahier des charges. Or cette métamorphose ne sera pas possible pour peu que l'Administration fasse preuve de vigilance, puisque, pour la vente des excédents disponibles à certaines heures du jour ou à certaines époques de l'année, une autorisation du Conseil d'Etat sera nécessaire.

Il n'y a donc aucun danger, il n'y aurait, au contraire, que des avantages à réserver la concession aux seules usines assurant un service public de distribution d'énergie. Mais là encore, il ne faudrait pas que sous prétexte de protéger nous ne savons quels intérêts privés, on multiplie les formalités à accomplir pour obtenir la déclaration d'utilité publique. Le décret doit être la règle, la loi, l'exception et l'on peut regretter que, contrairement à l'avis de sa commission, le Sénat ait cru devoir imposer la nécessité d'une loi pour toutes les entreprises d'une puissance supérieure à 10.000 kilowatts ou comportant un canal de dérivation de plus de 10 kilomètres. Le chiffre de 15.000 kilowatts, proposé par M. Cazeneuve, a semblé excessif. Or, les grandes usines existant actuellement sur les cours d'eau navigables atteignent, ou peu s'en faut, ce maximum. Les centrales futures le dépasseront à n'en pas douter, puisqu'une nécessité économique pousse à la production en gros de l'énergie. Le Sénat a paru oublier également que nombre de cours d'eau, classés comme navigables, ont un débit si restreint et si capricieux qu'un simple barrage, en travers de leur cours, ne permet pas d'aménager une chute puissante. D'où la nécessité d'un canal d'amenée d'autant plus long que la pente est faible. Le maximum de 10 kilomètres nous semble dans ces conditions insuffisant. Les riverains, les usiniers précédemment établis trouveront, auprès du Conseil d'Etat, toutes les garanties auxquelles ils ont droit pour la protection de leurs intérêts légitimes. Au contraire, l'intervention trop fréquente du Parlement en pareille matière

présente de multiples inconvénients sur lesquels il nous parait inutile d'insister. Nous savons trop en effet par une récente affaire dont toute la presse s'est occupée et s'occupe encore, combien l'ingérence de la Chambre est de nature à favoriser les pires chantages et à retarder indéfiniment, une solution désirée par tous ceux qui mettent le développement économique du pays, au-dessus de leurs intérêts de parti.

Enfin sans nous prononcer, en principe, pour ou contre l'exploitation directe par l'Etat ou les collectivités de la force dépendant du domaine public, nous approuvons pleinement l'amendement de MM. Goy et Cazeneuve, qui donne aux départements et aux communes la faculté de solliciter, avec droit de préférence, la concession de chutes sur les cours d'eau navigables en vue de l'alimentation de leurs services publics. Mais, pour que l'expérience soit décisive, il convient de mettre les usines départementales et communales, sur le même pied que les autres et des autoriser, notamment, à céder leurs excédents d'énergie. Nous savons que telle est la pensée des auteurs de l'amendement. Dans tous les cas, étant donnée, la jurisprudence du Conseil d'Etat, hostile à toute immixtion des municipalités dans le domaine commercial, il serait bon de compléter l'article 14 du projet, de manière à éviter toute difficulté dans l'avenir.

Concluons le projet que nous avons analysé et critiqué ne nous paraît pas sauvegarder suffisamment les droits de la collectivité, ni répondre à la destination naturelle des cours d'eau navigables, réservoirs d'énergie où doivent pouvoir puiser, demain, sans compter, les services publics. Il importe, avant tout, de favoriser l'établissement, sur le domaine public, de vastes centrales, distribuant au loin, sous le contrôle de l'Administration, à des tarifs très bas, la force et la lumière. Toute disposition de nature à retarder ou à paralyser cette mise en valeur d'une richesse nationale, doit être délibérément écartée, comme contraire à l'intérêt général.Le Parlement, nous en avons l'intime conviction, ne voudra pas grever les cours d'eau navigables d'une servitude grosse de conséquences pour l'avenir.

G. TOCHON.

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